_____________________
Je
n'aurai pas publié ni vendu une seule photographie, je ne serai parti qu'une infime partie de
mon temps pour exercer cet art, les nuits auront
été passées à dormir
sur le siège de la voiture, à manger
de la nourriture périmée ou jetée,
l'unique expérience humaine aura consisté
à me faire repousser au loin par les
propriétaires de campings et les restaurateurs,
ou à me faire déverser dessus des ordures
quand je me lavais dans les
toilettes publiques ou au bord de la route, le ministère
de la Culture appelé à l'aide m'aura
fait enlever le RMI avec le préfet, la
Couronne britannique me souhaitera une longue et
heureuse retraite...
Quoi
d'autre ? Dès Juin 2020 j'ai saisi que la
"pandémie" de Covid-19 est une
vaste entreprise criminelle. La létalité
semblable à celle d'une grippe et l'âge
moyen de mortalité supérieur à
l'espérance de vie, l'interdiction des soins
précoces, ultérieurement les
statistiques de l'ATIH, rapidement les confinements
et le port d'un tissu sur la figure, bien sûr
les chiffres du réseau Sentinelles, traquer
le promeneur en forêt, tout ceci allait
radicalement à l'encontre de la gestion d'une
réelle pandémie, il s'agissait
d'une PSYOP...
Et
ceci dans le contexte eschatologique et apocalyptique
remplacera des milliers de pages et liens
Remercions
ici Ana Maria Mihalcea, M.D., Ph.D.*
pour ses informations sur la nanotechnologie
d'auto-assemblage par nano-robots, dont les
pseudo-vaccins et la peur propagée à
escient n'auront servi que de support pour corrompre
et contaminer
la biologie d'un "bétail humain", en le faisant participer
à la mort de son Humanité tant biologique,
intellectuelle, que spirituelle,
et de ce qui subsiste de libre
arbitre dans une société du WEF qui
se projette au-delà de la dystopie de 1984
de George Orwell. La pensée unique
et son ministère de la Vérité
mettent en place le culte obligatoire des nouvelles religions
qui préalablement n'étaient que des dogmes dans des relations
de pouvoir et de profit. Sans doute jamais l'Homme
n'aura autant été esclave. En 2024
aura été conforté le fait
odieux qu'il n'est plus permis d'exprimer librement
des opinions, au point que cela ne l'est même
plus permis en privé, que donc penser,
c'est-à-dire par soi-même, c'est-à-dire la
liberté de l'information, l'esprit critique
et la dialectique, sont complotistes et probablement
très bientôt des "crimes contre
l'Humanité", c'est-à-dire l'intelligence
artificielle, puisque les êtres humains
ne sont plus que des "animaux piratables"
selon Yuval Noah Harari. J'ai pris les devants,
dans une société inspirée des
régimes totalitaires les plus fanatiques
ou déments, j'ai veillé à effacer les
sujets interdits,
surtout je m'entraîne à paraître un légume...
*
Dr Mark
Trozzi : « Le Dr Ana Maria Mihalcea, MD, PhD est une
médecin de médecine interne certifiée avec un doctorat en
pathologie et plus de 20 ans d'expérience clinique. Elle est
extrêmement qualifiée en recherche clinique et en laboratoire,
ainsi qu'en microscopie. Elle a étudié de manière approfondie le
contenu des injections du Covid-19 et a des découvertes et des
solutions extrêmement importantes dont nous avons tous besoin. Cela
va au-delà de l’ARNm, de l'ADN, des protéines de pointe, du
changement de cadre des ribosomes et d’autres sciences importantes
de la toxicité que j’ai partagées en détail au cours des quatre
dernières années. Ici, nous obtenons également des informations
importantes et à jour sur les éléments nanotechnologiques invasifs
des injections de covid-19. Le Dr Mihalcea partage des images
profondes de son microscope, ainsi que d'autres analyses de
laboratoire, brevets et théories sonores. Même ceux d’entre nous
qui ont résisté aux injections forcées montrent maintenant des
changements dans leur sang. La technologie microscopique
d’auto-assemblage draine la force vitale de nos cellules sanguines
tout en assemblant des réseaux de filaments et de nanopuces. Nous
assistons au « piratage des humains » décrit par Noah Harrari
lorsqu’il célébrait sa vision qui inclut également la fin de
l’esprit humain. Le Dr Mihalcea explique que les injections de
covid-19 contiennent des matériaux de construction clés pour ce
câblage nanotechnologique des humains ; ainsi que les caillots caoutchouteux blancs non naturels trouvés chez les victimes. Ces
éléments invasifs clés sont également transférés aux individus
non injectés. Davantage de matière pour cet assemblage pourrait
être fournie par des protéines fabriquées par notre propre corps
en réponse aux éléments génétiques de ces mêmes injections. De
plus en plus de matériaux assemblés en nous sont des contaminants
intentionnels présents dans notre air, notre eau et nos aliments après du sang de ses patients, où
vous verrez comment des remèdes doux ont ramené le sang des gens à
la normale ».
Citons Ana
Maria Mihalcea, MD, PhD : « Nous
savons que les plasmons de graphène sont utilisés dans
l’informatique quantique, qui est nécessaire à la programmation
bidirectionnelle de la conscience par l’interface
cerveau-ordinateur. J'ai déjà expliqué que les nanotubes de
carbone ont le même diamètre que les microtubules du cerveau, où
la conscience est traitée selon la mécanique quantique. Vous pouvez
trouver plus d'informations sur la culture réussie d'un cerveau
artificiel à partir de nanotubes de carbone, de nanobots et
d'hydrogel et sur sa puissance de traitement informatique de la
conscience basée sur les équations de la lumière et des
mathématiques fractales du Quaternion de Maxwell. Les éléments constitutifs
de la nanotechnologie proviennent de notre corps, elle récolte les
métaux toxiques en nous, utilise les nanoparticules de polymère,
l'oxyde de graphène et d'autres matériaux comme le silicone pour
s'assembler. Le logiciel déterminant l’auto-assemblage se situe
clairement à un niveau quantique. La meilleure preuve visuelle de
cela est la microscopie à fond noir du Dr David Nixon montrant
l’auto-assemblage et le démontage des micropuces se développant à
partir du contenu du flacon Pfizer C19. Ce programme d’assemblage
est quantique et il est bien connu que les hydrogels à base de
graphène ont des capacités de tunneling quantique et de masquage.
J'ai déjà expliqué en quoi il s'agit d'ingénierie du vide, car le
potentiel de la micropuce assemblée existe toujours dans un état
d'information non matériel - elle est donc capable de se réassembler
sous la direction d'une fréquence EMF externe. J'ai
également écrit sur le fait que les champs plasmoniques de graphène
peuvent être manipulés pour créer des démons et peuvent donc être
utilisés pour le combat spirituel. Les gens sont possédés par
l’information quantique projetée sur une onde porteuse ou modulée
par un changement d’état de spin des particules subatomiques
».
«
Artificial Intelligent Transformation Of Humanity - Nano and Micro Robots In Human Blood
» Source
(Humanity United Now - Ana Maria Mihalcea, MD, PhD)
et lien RUMBLE vers la vidéo : https://rumble.com/v4nis10-artificial-intelligent-transformation-of-humanity-nano-and-micro-robots-in-.html
Mes
41
petites histoires courtes inspirées du quotidien, pour composer
un film lucide, noir et sadique (message
aux enculés de marchands
: histoires déposées)
1) Le rond-point
!
Préambule :
La voiture filait
à vitesse modérée et son conducteur conduisait les yeux rivés sur
le GPS, car avec tous ces nouveaux radars une seconde d'inattention
coûtait cher. Le ministre l'avait annoncé à la télévision :
« la guerre est déclarée pour lutter contre la mortalité sur
la route et tout sera mis en œuvre pour y parvenir ». Il avait
pourtant surpris tout le monde, le ministre, en décrétant
obligatoire le port d'armes. Il ne faut pas croire que l'on imagina
devoir conduire avec le pistolet posé sur le siège avant ou dans la
boîte à gants, il s'est d’ailleurs aussitôt avéré que l’arme
devait être transportée dans le coffre non chargée. Personne ne
comprit de quoi il s'agissait exactement. Certains crurent à une
plaisanterie, d'autres à une défaillance de l'intelligence
artificielle du Gouvernement, certains évoquèrent une maladie
dégénérative. Le complotisme également y est allé de
ses certitudes. Pourtant, le dépistage des zombies, on surnomme
ainsi les cinglés, est devenu systématique, surtout pour les hommes
et femmes politiques qui sont régulièrement remplacés et qui
finissent on ne sait où. Plus personne n’ose incriminer les ondes
ou les pesticides, de peur d’être déclaré fou, car les lobbies
sont devenus les sponsors attitrés de la prévention des maladies
dégénératives. D'autres enfin en ont profité pour tirer sur leurs
voisins, des automobilistes, ou tenter de braquer les banques, mais
les missiles chargés de phosphore blanc de la police furent
dissuasifs. Il est vrai que les hurlements ont saisi les badauds
d’effroi, et même si cela en a amusé quelques-uns au début, les
voitures fumantes laissées le long des routes les calmèrent. Une
guerre nous a dit le ministre ! Ce n'est que quelques jours plus
tard, c'est-à-dire lorsque la nouvelle génération de GPS arriva
dans les magasins, que l'affaire prit tout son sens, un sens radical
en quelque sorte.
Développement :
« Prenez le rond-point et sortez
à la première sortie... »
Tu as cours d'Histoire ce matin ?
As-tu fait tous tes devoirs ?
Non papa, la maîtresse n'a pas
donné de devoir pour aujourd'hui, je l'ai déjà dit à maman.
« Au rond-point tournez à droite
et allez tout droit... ».
Maman viendra te chercher à l'école
ce soir, tu n'as pas oublié ?
Non papa.
Matthieu se frotte le genou qu'il a
égratigné hier à la récré, la croûte commence à se décoller.
Il n'aime pas quand son père lui rappelle que maman et lui se sont
séparés. Il faut à chaque fois tout expliquer deux fois. Sa mère
s’inquiète pour la santé mentale de son père, n’a-t-telle pas
dit plusieurs fois qu’il est fou ? L’école invite les
enfants à dénoncer leurs papas et mamans.
« A 800 mètres prenez le rond
point et sortez à la troisième sortie... »
Maman t'aime tu sais.
Le soir venu sa mère lui dira la même
chose, en plus de dire qu’il est fou. C’est souvent la guerre
entre maman et papa, c'est pour ça que maman et papa se sont
séparés. La voiture file sur la double voie, à
cette heure-ci il n’y a presque personne, les panneaux
publicitaires défilent à une vitesse constante, ils marquent comme
le rythme de l’existence : achète ceci, achète cela, fais
ceci, ne fais pas cela.
Oui papa, je sais.
Mais aussitôt le GPS s'illumine en
rouge et clignote, une brève alarme retentit à l’intérieur de
l’habitacle et la musique est interrompue. Sur l'écran le visage
martial d’un militaire prend forme.
«
Prenez le rond-point et gardez le ! »
Les mains crispées sur le volant,
soudainement fébrile, Olivier engage la voiture vers le centre du
rond point, celle-ci tressaute violemment quand les roues avant
prennent contact avec le trottoir, un bref coup de volant à gauche
l'envoie déraper sur le terre-plein en faisant valdinguer la
sculpture d’art moderne qui s'y trouvait, le tête-à-queue qui
s’ensuit se termine dans un nuage de poussière. Tout ceci n’aura
duré qu’un bref instant.
Vite Matthieu, sors de la voiture !
D'un geste vif de la main gauche qui
plonge sous le siège, le père tire la commande qui ouvre le coffre,
puis il saisit la poignée de la porte tout en défaisant sa ceinture
de sécurité de la main droite. Sous l’emprise du stress, il doit
s'y prendre à deux fois, enfin la ceinture se libère, le voilà
dehors. Il ne peut s’empêcher de jeter un bref regard circulaire,
puis se dirige d’un pas allongé vers le coffre, comme cela est mis
en scène avec la publicité diffusée depuis quelques jours, à la
différence que l’acteur, lui, garde son calme. Mais là il ne
s’agit pas de cinéma, c’est pour de vrai et il ne sait pas
encore si c’est la poisse que ça tombe sur lui ou si c’est une
chance, curieusement il n’avait même pas pensé à cette
éventualité. C’est toujours aux autres que ça arrive.
Aide moi à sortir la caisse Matthieu,
vite !
«
Prenez le rond-point et gardez le ! »
Matthieu est transi de froid en ce jour
d’hiver particulièrement gris et au ciel plombé, il ne manque
plus que les corbeaux sautant d’une patte sur l’autre qu’il
observe à travers la fenêtre de la salle de classe, il a quant à
lui les jambes maigres qui tremblent. Le temps paraît soudainement
s'être arrêté, le silence est oppressant. Il regarde son père
s’activer pour extraire maladroitement une grosse caisse marron.
Enfin, celle-ci qui reste en équilibre quelques secondes bascule,
elle entraîne Matthieu à se courber jusqu’au sol pour ne pas en
lâcher une des poignées, puis à s'agenouiller devant elle. Son
père s’active à composer le code secret du cadenas et le jette au
loin.
Tiens mets vite ces vêtements !
«
Prenez le rond-point et gardez le ! »
Son père lui tend une veste militaire
trop grande pour lui et un casque rouillé qui lui tombe sur les
yeux, il se démène lui-même pour enfiler un genre de treillis de
camouflage par dessus ses vêtements, le voilà qui ressemble à un
clown. Sûr que maman rirait à gorge déployée si elle voyait la
scène, mais d’y penser le rend triste aussitôt. Sous les galets la plage, sous la pile
de vêtements kaki de la caisse apparaît un énorme fusil que son
père extrait à grand-peine. Il le prend à bras-le-corps et le
porte à plusieurs mètres de la voiture, face à l’intersection du
rond-point, à l’opposé d’où ils arrivaient. Enfin,
semble-t-il.
Matthieu, ramène moi la boîte
métallique qui est dans la malle, fais vite !
«
Prenez le
rond-point et gardez le ! »
Son père s’échine pendant ce
temps-là à poser le gros fusil sur une sorte de support, il doit
s’y prendre à plusieurs fois. Il ouvre ensuite la boîte en métal
et en extrait le bout d’une sorte de long ruban en tissu sur lequel
sont montées en rang serré les plus grosses cartouches que Matthieu
a jamais vues. Son père finit par s’allonger derrière la
Mitrailleuse Browning M2 de calibre.12,7 mm posée sur son
trépied M3, il plaque son fils contre le sol à côté de lui, fixe
et ressert la sangle de son casque, puis saisit l’arme par les deux
poignées placées à l’arrière et approche ses deux pousses de la
détente. Il vide ses poumons et prend une profonde inspiration, son
cœur bat la chamade.
Depuis que le GPS a déclenché
l’alarme quelques minutes seulement ont passé, mais ce moment
semble pour Olivier avoir duré une éternité. Une voiture se
profile soudainement à l’horizon et se dirige vers le rond-point.
Olivier se demande s’il devra viser le moteur, les pneus ou
l’habitacle. Il aurait peut-être dû prêter davantage attention
aux publicités, c’est comme pour le gilet de survie présenté par
les hôtesses de l’air, on regarde toujours de manière distraite.
Mais a-t-il encore le choix de la
réflexion ? La voiture se rapproche très vite, et au moment où
elle s’engage sur le rond-point Olivier peut voir les yeux du
conducteur qui ignore jusqu’à sa présence, or le véhicule ne
fait que tourner et prend une des sorties, il s’éloigne pour enfin
disparaître, son propre GPS ne lui ayant pas intimé l’ordre de le
garder. Revigoré par une confiance en lui que ce temps mort octroie,
Olivier resserre les doigts autour des deux poignées. Il a toujours
rêvé d’être militaire, il se dit qu’il est fin prêt pour une
confrontation. C’est déjà une chance d’arriver le premier sur
un rond-point et il va pouvoir impressionner Matthieu qui ces
derniers temps est trop dans les jupes de sa mère. A eux deux ils
vont faire du bon boulot.
Pendant ce temps-là la mère de
Matthieu conduit sa propre voiture, elle ralentit sa vitesse car un
rond-point est en vue, il faut toujours s’engager à vitesse
modérée. On dirait que le ciel s’éclaircit enfin, finalement
cette journée ne sera pas si morose.
«
Prenez le rond-point et… »
2) La bouée de sauvetage !
Préambule :
C’est un temps d’hiver, les herbes
sont rousses et restituent au ciel gris les couleurs qu’il a perdues, un aigle plane à la recherche d’un rongeur, de temps
en temps un poisson saute pour attraper un insecte imprudent. Un père
et sa fille sortent de la voiture garée sur le bas-côté.
La petite fille s'assied sur le rail de
sécurité qui longe le petit lac. Elle balance ses petites jambes d’avant
en arrière.
Lucie, ne reste pas assise là, il y a
des voitures qui passent, c’est dangereux !
Lucie fait la moue mais saute aussitôt
sur le sol et se rapproche de son père qui entreprend d’assembler
sa canne à pêche. Lucie s'ennuie toujours quand son père pêche.
La canne d’une main, le fil et
l’hameçon de l’autre, Robert descend vers le petit ponton en
bois qui est relié à la rive par deux chaînes métalliques, le
poids de Robert le fait très légèrement pencher d’un côté,
créant une petite onde qui effleure la surface de l’eau sombre qui
était jusque là lisse comme un miroir. L’hameçon file dans l’air
en tournoyant, le flotteur éclabousse la surface du lac puis remonte
et oscille, le père de Lucie s’assoie et se dandine sur son petit
siège pliant pour trouver une assise plus confortable.
Développement :
Ploc, ploc,
ploc, de derrière la pente rocheuse sur la gauche apparaît une
petite barque verte qu’un rameur assis en son milieu fait avancer
de dos en tirant sur les rames. Après chaque effort il s’arrête
quelques instants pour laisser la barque glisser doucement sur l’eau.
Le rameur en se retournant aperçoit Robert et sa fille, les deux
hommes se saluent brièvement de la main, puis il range les rames, se
redresse dans la barque et lance à son tour un lancer avec sa canne
à pêche.
Papa, qu’est-ce que c’est que cette
roue orange derrière toi ?
C’est une bouée de sauvetage ma
chérie.
Mais ça sert à quoi ?
Ça sert à sauver des vies ma chérie.
Lucie commence déjà à trouver le
temps long. Avec maman au moins les journées sont amusantes, on fait
les magasins, on va manger des glaces. Et puis Lucie n’aime pas
quand son papa attrape un poisson et qu’elle le voit agoniser
longuement en essayant d’attraper de l’air. C’est pourtant plus
facile de respirer à l’air libre que la tête dans l’eau. Pour
faire comme le poisson, Lucie s’est bouché le nez et n’a pas
tenu très longtemps.
Dis papa, tu peux me montrer comment ça
marche ?
La pêche ?
Non, la bouée de sauvetage !
Je ne peux pas ma chérie, ce n’est
pas un jouet, c’est pour sauver des vies comme je t’ai dit.
À cet instant on entend un cri
aigu et un grand plouf. Le pêcheur de la barque a glissé et est
tombé à l’eau au moment où le poisson qu’il venait d'attraper
lui échappait des mains. On voit ses deux bras surgir de l’eau, il
tente d’agripper le rebord de la barque qui tangue d’un côté et
de l’autre, ses mains s’appuient dessus, il essaye de se hisser à
bord pour s’extraire de l’eau qui est glacée en cette saison. Au
moment où il donne l’impression de basculer enfin dans la barque,
celle-ci se retourne et repousse le malheureux qui manque d’être
assommé. Certainement transi de froid, et déjà engourdi, le
pêcheur s’agrippe comme il peut à la coque retournée pour
reprendre son souffle. Pourquoi donc ne revient-il pas à la
nage ? Ce n’est sans doute pas possible avec les vêtements
gorgés d’eau et les bottes ? Il ne sait peut-être pas nager.
Monsieur, ne bougez pas !
Vite Lucie, aide moi à trouver une
barque !
Ne vous inquiétez pas Monsieur, on va
venir vous chercher !
Mais il n’y a aucune autre barque
papa !
Ne vous inquiétez pas Monsieur, on va
trouver une solution !
Papa, pourquoi tu ne lui lances pas la
bouée de sauvetage ?
Robert se frappe le front avec la main,
putain qu’il peut être stupide ! Il arrache le couvercle de
son support et en extrait la bouée. Il n’est pas évident de lire
le mode d’emploi dans des circonstances pareilles, mais en
existe-t-il de bonnes ? Pas d’affolement, ne pas oublier de
garder le bout de la corde qui doit être libérée et dépliée, il
serait trop bête de lancer tout le paquet ! C’est une chose
qui doit arriver parfois. Fichtre !
Tu vois Lucie, c’est ton jour de
chance, papa va te montrer comment on se sert d’une bouée de
sauvetage. Tiens Lucie, prends cette extrémité de la corde pendant
que papa lance la bouée !
Et si sa fille était emportée avec ?
Allons donc, ce n’est pas le moment de paniquer. Le père tente
d’estimer la distance et s’approche du bord du ponton qui
s’incline, il prend garde de ne pas glisser car les lattes en bois
sont mouillées et certaines vermoulues.
Avec d’amples mouvements du bras il
fait plusieurs fois le geste puis lance la bouée qui
s’envole et tournoie sur elle-même en déroulant la corde. Mais
le geste est mal calculé, la bouée tombe à l’eau à
une grande distance du naufrager qui devrait lâcher sa barque.
Vite, vite, vite, ramenons la bouée et
recommençons.
Papa, fais quelque chose !
Oui
ma chérie, je ne fais que ça !
Cette fois-ci Robert doit
réussir son coup, il n’aura pas droit à une troisième chance car
le naufragé d’eau douce paraît ne plus réagir. Et puis il lui
importe que sa fille soit fière de lui. Robert récupère la bouée qu’il a
extrait de l’eau en tirant vigoureusement sur la corde, il fait
attention à ne pas se prendre les pieds dedans, et, bien campé sur
ses jambes, il fait un large demi-cercle avec son bras droit et
projette la bouée orange qui s'envole une seconde fois. Celle-ci tournoie encore et arrive
directement sur la barque retournée, mais elle percute en réalité
la tête du pêcheur avec un bruit mat ! Il y a ensuite comme un
lent glissement du corps qui s’enfonce dans l’eau noire, les bras
puis les mains râpent sur la surface mouillée de la coque, pour
disparaître totalement. Plus rien ne trouble la surface de l’eau,
même pas une bulle. On ne discerne rien en dehors de la
barque remplie d’eau qui dérive doucement, il n’y a donc plus
rien à faire sur le ponton. Prenant sa fille par la main, il se
dirige prestement vers la route à dix mètres de là pour chercher
de l’aide, mais comme par hasard aucune voiture ne passe !
Devrait-il revenir en arrière et plonger dans l’eau glacée ?
Ces petits lacs sont profonds et on ne doit rien voir sans masque.
S’il se noie qui va s’occuper de sa fille ? Et puis beaucoup
trop de temps a passé. Après tout, c’est le pécheur qui a été
maladroit, quelle idée de se tenir debout dans une barque !
De retour près du ponton, Robert et sa
fille restent les bras ballants. Il se sent lâche, il aurait dû se
jeter à l’eau. S’il était venu avec son téléphone portable il
aurait pu appeler les secours, et puis il n’a même pensé demander
à sa fille d’arrêter une voiture, tout est allé si vite. Putain
de merde !
Dis-moi papa, le Monsieur a été
assommé par la bouée ?
Je le crains ma chérie, oui
Pourquoi alors la bouée n’est pas
faite en mousse qui ferait pas mal ?
Parce que si elle est en mousse elle
serait trop légère pour être lancée avec la corde.
En remontant vers la route le long de
laquelle ils avaient garé la voiture, Lucie appelle son père.
Viens voir ici papa, il est écrit ici
que les prises trop courtes doivent être remises à l’eau !
Peut-être que ce pêcheur n’avait
pas la taille réglementaire ?
Peut-être bien ma chérie, peut-être
bien.
L’aigle a fondu sur son lapin, les
serres enfoncées dans sa chair il reprend son envol.
3) NO OVERNIGHT PARKING
!
Préambule :
Le moment des vacances approchant,
Marie et Patrick ont choisi leur prochaine destination en
camping-car, cette année ce sera les Hautes Terres. Ils n’y sont
jamais allés et l’endroit a l’air magnifique, mais certains de
leurs amis leur ont parlé de la difficulté à se garer la nuit. En
effet, l’arrêt prolongé est strictement interdit. Chaque pays a
donc ses coutumes, à moins que ce soit une question de sécurité,
ou plus prosaïquement pour obliger les touristes à dépenser leur
argent. Il se trouve que l’achat à crédit du camping-car a été
un lourd investissement, alors il n’est pas question de gaspiller
le peu d’argent qu’il reste après avoir payé les impôts. Si
peu de gens prennent des vacances désormais, c’est pour beaucoup
un luxe qui devient inaccessible.
Développement :
Patrick porte une cantine en tôle,
elle est remplie des victuailles qui seront une réserve en cas de
problème ou le moyen d'économiser l’argent du voyage. Il la
pose sur le sol puis passe la main sur une vitre latérale. C’était
une excellente idée ces vitres en verre renforcé qui résistent aux
lancers de canettes de bière ou de cailloux, car les comportements
sont de plus en plus agressifs. L’idéal serait bien entendu de
partir avec un vieux véhicule blindé, mais Marie s’est sentie
rassurée.
Je la mets où la cantine ?
Laisse la là, devant le camping-car,
je dois encore ranger pour faire de la place.
Très bien.
Quelque temps plus tard les voilà fins
prêts. Après avoir vérifié la fermeture de leur maison, et par
deux fois, ils prennent l'autoroute sécurisée où la multitude de
caméras de surveillance a remplacé les yeux des oiseaux décimés
par la pollution, puis prennent un bateau, bientôt ils laissent le
monde moderne derrière eux et s’engagent dans le vaste pays des
légendes. Ils croisent de moins en moins de véhicules et
s’enfoncent dans des vallées cernées de montagnes grises qui se
resserrent. Les rares villages semblent refermés sur eux-mêmes et à
l’écart des voies de circulation, des lumières brillent à
l’horizon. Le chômage et la dernière guerre ont fini par avoir
raison des économies locales, et les populations affamées ont
afflué vers les ghettos des grandes métropoles qu’il vaut mieux
éviter.
Marie ouvre de grands yeux pour
contempler la beauté inouïe des paysages, elle tient posée sur ses
genoux une vieille carte dépliée. Le plus surprenant est l’absence
de drone volant au dessus de la tête. Qu’il a dû être agréable
par le passé de vivre sans être surveillé !
Es-tu fatigué ? Si tu veux je te
remplace.
Non, ça va.
Tu es sûr ? Ne vas surtout pas
nous mettre dans un fossé !
Non non ça va je t’assure.
Les heures passent et le soleil voilé
disparaît derrière une chaîne de montagne au relief arrondi.
Marie, je pense qu’on sera plus
tranquille au bord de la mer, on est à quelle distance ?
Je regarde justement, je pensais la
même chose, on peut prendre la seconde à gauche.
Maintenant il fait nuit et la route
détériorée suit exactement le bord de mer qui serpente.
Soudain Patrick freine violemment et
Marie non prévenue lâche son gobelet rempli du café tiède qui
vient gicler sur le tableau de bord ! Des grosses gouttes noires
ruissellent sur la carte.
Bordel fais attention ! Je t’ai
dit que je pouvais te remplacer ! Tu attends le dernier moment.
Patrick passe la marche arrière qui
craque et fait reculer le camping-car sur une trentaine de mètres.
Regarde, il y a un parking là à
droite !
Tu en es certain ?
Oui, regarde ce panneau jaune juste au
milieu, là tu vois ? Il est écrit no overnight parking !
Leurs amis leur avaient rapporté que
l’on sait s’il s’agit d’un parking pour se garer, quand
justement il est signalé par un panneau jaune fluorescent qu’il
est interdit de s’y mettre pour la nuit
Face au camping-car garé avec soin, la
lune, qui régulièrement sort des nuages tourmentés, éclaire la
mer et permet d’en discerner les vagues qui viennent se fracasser
sur les rochers en contre-bas. Après un frugal repas composé de
rations et de fruits secs avalés en écoutant Lohengrin, Patrick
s’extrait de l’habitacle pour réfléchir à la situation. Marie
qui le connaît bien entrebâille sa porte.
Penses-tu que nous serons enquiquinés
cette nuit ? Je n’ai pas envie d’être agressée.
Je ne pense pas qu’on le soit.
En vérité Patrick est inquiet, mais
il ne voudrait pas le laisser paraître. Cette situation est nouvelle
et ce qui est nouveau laisse souvent place à l'imprévu. Il ne va
certainement pas beaucoup dormir.
Mais Marie l’appelle de l’intérieur.
Viens voir, j’ai une petite surprise
pour toi !
Marie lui tend une boîte de plus d’un
mètre de long sur 50 cm d’épaisseur. Où l’avait-elle mise ?
Voilà pourquoi tu as voulu ranger une
dernière fois ! Tu m’as bien eu Marie.
Sur la boîte il est écrit :
« Robot-kit pour no overnight parking, édition limitée ».
Tu vois, j’ai trouvé ça sur
Internet, il paraît que c’est très efficace.
Patrick défait le ruban adhésif et
soulève le couvercle. Dedans se trouve un genre de grande
marionnette en bois peint qui va de la tête articulée jusqu’à la
partie haute des cuisses.
Mais comment ? Qu’est ce
que...
D’après la publicité il suffit de laisser l’automate
sur le siège conducteur pour faire croire que le camping-car ne
s’est pas arrêté pour la nuit. Tu as déjà entendu parler des
Italiens qui portaient une fausse ceinture de sécurité dessinée
sur la poitrine ? Là c’est pareil, sauf que c’est légal.
C’est gentil Marie, mais qui pourrait
se laisser berner par un mannequin en bois ?
Ce n’est pas
n’importe quel mannequin, c’est un automate très sophistiqué.
Attends, je vais te montrer, là les yeux tournent et un scanner
intégré les oriente automatiquement, et ici la bouche est articulée
et synchronisée avec la voix. J’ai même enregistré ta propre
voix.
Car elle parle cette chose ?
Bien sûr qu’il parle, on peut même
le programmer pour répondre aux agents de police, il tourne la tête
et l’agite pour dire non ou oui aux questions entrées dans la base
de données.
Marie et Patrick se sont couchés vers
une heure du matin, le vent berce doucement le camping-car, le
robot-kit est assis sur son siège et relié à la prise allume-cigare. Il est en état de veille, niveau d’alerte poussé
au maximum, radar, détecteur sonore et scanner mis
sur « on ». Quelques miles plus loin, la voiture de
police fait sa ronde. Les deux policiers préféreraient être au pub
que traquer les touristes récalcitrants. Hier, des collègues en
avaient chopé un qui avait recouvert son véhicule d’un filet de
camouflage. En elle-même l'idée n’était pas mauvaise, si ce
n’est que la voiture de police l’avait directement percuté,
envoyant tout ce beau monde à l'hôpital le plus proche. Bien sûr,
le touriste légèrement blessé avait affirmé qu’il s’agissait
d’un filet de pêche. Ces imbéciles prendront
toujours les policiers pour des idiots !
En v’là un autre là, j’sais pas
c’qui zont, y s’mettent toujours dans ce virage. Attends, si
l’est pas derrière l’volant j’vais lui rappeler le règlement
!
Vous avez raison Chef !
Et comment j’ai raison ! Le
règlement c’est le règlement.
La voiture des policiers se gare
doucement derrière le camping-car, le moteur est arrêté, une lampe
torche à la main le chef arrive au niveau de la place du conducteur
du véhicule et braque dans sa direction un faisceau de lumière
blanche.
Instantanément, comme prévu, le
programme s’active, le robot-kit tourne sa tête de bois peint vers
la source de lumière, ses yeux quittent le journal qu’il était
censé lire et fixent le visage du policier que la reconnaissance
faciale a détecté, la vitre se baisse.
Bonjour Monsieur le policier.
La mâchoire inférieure descend et
remonte de manière saccadée au grès des mots, les yeux brillants
en céramiques tournent dans leur orbite.
Bonjour, Monsieur, vous
êtes en vacances comme qui dirait ?
Oui Monsieur le policier, mon
épouse et moi nous venons visiter votre beau pays.
Bien bien, vous n’avez pas une
intention cachée de dormir sur l’parking ?
Bien sûr que non Monsieur le policier,
nous faisons juste une petite pause.
Bien bien, faut pas dormir ici, c’est
interdit.
Oui Monsieur le policier, c’est bien
compris.
Patrick et Marie dorment profondément à
l’arrière. Le policier remet le contact, la
voiture déboîte et dépasse le camping-car.
La ronde nocturne reprend.
Vous voyez Chef, ils ne sont pas tous
malhonnêtes.
J’en suis pas certain, c’deux-là
j’les aurai à l’œil ! Sa tête ne m’revenait pas !
Oui chef, faut traquer les fraudeurs et
les criminels !
Quelques miles plus loin, un véhicule
utilitaire déglingué est arrêté sur un no overnight parking.
Sous-chef, à vous d’y aller c’te
fois-ci, je veux vous voir à l’œuvre ! Je reste en arrière.
Le Robot-kit s’active, il
tourne sa tête en plastique dont le revêtement part par endroits,
la peinture est abîmée et reprise maladroitement. Un
des yeux est fixe et la mâchoire tremble, signe qu’un des rouage
est sur le point de lâcher, et la tête pivote de manière
saccadée.
Bonjour, Monsieur, vous êtes en vacances comme qui
dirait ?
Le sous-chef prend bien garde de faire
exactement comme son chef.
Oui Monsieur le grrrr policier, mon
épouse et moi nous venons grrrr visiter votre beau pays.
Bien bien, vous n’avez pas une
intention cachée de dormir sur l’parking ?
Mais aussitôt de la fumée s’échappe
de la bouche du robot.
Le sous-chef fait un pas en arrière,
il met la main sur son arme et se tourne vers son chef.
Chef, chef, nous avons un fumeur ici !
Le chef ouvre violemment la porte de
son véhicule, s’extrait avec force et remonte son pantalon en
tirant sur la ceinture qu’il réajuste de droite à gauche, puis il
avance d’un pas ferme vers le lieu du flagrant délit qui va encore
le valoriser aux yeux de ses supérieurs.
Veuillez sortir d’votre véhicule !
Vous êtes en infraction sur la voie publique !
Chef, c’est
bizarre, il a les yeux qui fondent !
Le chef sort son arme et la braque
devant lui.
Cette fois-ci t’es fait mon gaillard,
fais pas l’malin !
Oui Monsieur le policier, mon épouse
et moi grrrr nous venons visiter votre beau pays grrrr.
Chef, y a un truc pas normal, il n’a
plus d’yeux et regardez ses cheveux brûlent !
Si c’est normal sous-chef, le
tabagisme tue, et c’est pour ça qu’on est là !
La tête en plastique s’embrase, elle
bascule en avant et met le feu aux cuisses du robot qui
explose dans une gerbe d’étincelles. A ce moment là la
porte arrière du véhicule s’ouvre, en jaillit un petit gros à
moitié nu qui entoure avec une couverture son corps adipeux. Il
regarde sidéré les deux policiers campés devant son robot qui a
provoqué l'incendie.
Vous n’étiez pas en train de dormir
dans ce véhicule ? Et votre copain là il fume !
Vous voyez sous-chef, nous avons cette
fois-ci un double flagrant délit !
Ce fut une nuit agréable et surtout
tranquille, le réveil face à la mer restera un souvenir
inoubliable. Marie et Patrick reprennent leur route,
le poste de radio diffuse Elektra.
C’était formidable, Marie, cette
idée de robot-kit, tu as eu une excellente idée, vraiment.
Tiens, regarde là à droite ce camion
qui a brûlé, on dirait bien qu’il fume encore.
Oui, je dirais que c’est un touriste
qui n’a pas pensé acheter un robot-kit !
Marie et Patrick
rient aux éclats et s’embrassent.
Tout le monde n’a pas la chance de
t’avoir ma chérie.
4) La roue de l’infortune !
Préambule :
Pour rester aimable dans la manière de
le formuler, cela faisait quelques années que la Justice laissait
sérieusement à désirer. Non pas qu’elle était inféodée au
pouvoir en place et qu’elle servait mieux les nantis que les
pauvres bougres, cela tout le monde en avait conscience depuis fort
longtemps, mais la crise économique avait considérablement enflé
après la troisième guerre mondiale et ne permettait plus d’accorder
les crédits nécessaires, d’autant que la précarité touchait
désormais toutes les classes de la société. Les prisons étaient
pleines et la proie des mafias, les tribunaux étaient débordés,
voire totalement engorgés, il ne restait d’autre solution que de
classer 90 % des affaires. Certains voulurent le rétablissement
de la peine de mort, d’autres les gibets où les corps pourrissent
lentement, voire la torture retransmise à la télévision. Ce qui
alors a déterminé les nouvelles voies de la Justice, ce sont les
actions groupées de victimes qui n’ont cessé de poursuivre ce
Gouvernement composé d’incapables et les expertises indépendantes
qui ont asséné la réalité cuisante d’une justice inefficace
pour un coût exorbitant. Pour maintenir sa popularité déjà en
lambeaux, le Gouvernement a donc décidé de prendre les devants à
bras-le-corps.
Développement :
Mesdames, Messieurs, voici pour la
première fois ouverts les Jeux de la Roue de l’infortune !
Applaudissements du public
Je ne vous présente pas Monsieur le
ministre de la Justice à l’origine de cette initiative !
Applaudissements du public
Sous les feux des projecteurs,
l’animateur habillé en arlequin, signe des temps difficiles,
le ministre à ses côtés la mine sombre pour conforter la dignité
de sa charge, se tient devant la scène fermée par un grand rideau
écarlate. Un jeu de trompettes annonce l’ouverte des
festivités.
Aujourd’hui, c’est un grand jour pour la Justice,
en plaçant tous les individus sur un plan d’égalité, grâce au
tirage au sort, elle devient véritablement démocratique !
Applaudissements du public
Le
ministre intervient à son tour.
Il ne sera pas dit qu’une justice
expéditive ne respecte pas nos valeurs démocratiques, ces belles
valeurs qui ont fait la civilisation à laquelle nous tous sommes si
profondément attachés. La Justice ne doit pas être confisquée,
elle doit s’exercer en dehors de toute considération de classe,
nous voulons véritablement une Justice pour tous, et nous vous
l’offrons !
Applaudissements du public
Mesdames, Messieurs, la Roue de
l’infortune !
Le silence s’installe, chacun retient
son souffle, le présentateur pivote et désigne la scène, le rideau
s’ouvre lentement dans un roulement de tambour, les projecteurs se
focalisent alors sur une grande roue dorée qui est fixée dans un
poing dressé. De chaque côté une cage de 20 mètres de long
renferme les prisonniers en attente de jugement qui ont eu la chance
de gagner au jeu de grattage qui leur est réservé. Chacun porte sur
la poitrine le numéro qui sera tiré par l’hôtesse qui rentre à
cet instant sur la scène, ces numéros désigneront l’ordre dans
lequel la justice va s’exercer. L’Hôtesse est habillée en lapin
blanc et fait semblant de grignoter une carotte pour détendre
l’atmosphère. Elle place sa carotte dans sa main gauche pour
plonger la droite dans un sac doré.
Numéro 42 ! Veuillez
faire sortir de la cage le numéro 42 !
Le numéro 42 se lève de sa chaise et
tend ses mains au gardien qui lui enlève ses chaînes, il s’agit
d’un colosse avec des bras aussi gros que des cuisses, un cou
noueux et des cheveux en bataille, il doit avoir la trentaine.
Au-dessus de la roue dorée apparaît, sortant de l’ombre dans
laquelle il était plongée jusqu’alors, le balcon où se tient le
ministère public.
Le prisonnier est poussé hors de la
cage et placé devant la Roue de l’infortune, dans un cercle de
lumière orange. Le magistrat s'adresse à lui en faisant un large
effet de manche :
Vous êtes accusé du viol d’une
fillette et de coups et blessures volontaires ayant entraîné la
mort.
Choisissez-vous le jugement du tribunal
ou tentez-vous la Roue de l’infortune ?
Je choisis la Roue
de l’infortune !
Nouvelle sonnerie de trompettes !
A cet instant, l’animateur habillé
en arlequin revient dans la lumière et s’adresse au public et aux
caméras, une musique douce propre à tirer des larmes aux plus
insensibles fait naître un moment d’une très grande intensité.
Cet homme, qu’il soit coupable ou
non, a choisi de s’en remettre à la Roue de l’infortune ! Faites-lui je vous prie une ovation !
Applaudissements du public
D’un geste, l’animateur lui fait
signe de saisir la roue et de la propulser. Le prisonnier hoche la
tête et la prend de sa main droite, il lui applique une poussée qui
ferait s’écrouler un mur. Avec le roulement des tambours, la roue
tourne et tourne encore, chaque segment qui défile fait entendre le
cliquetis du curseur qui désignera celui que le hasard détermine.
Un gros plan du visage du prisonnier révèle qu’il sue à grosses
gouttes. Le mouvement ralentit, le résultat d’abord incertain
s’affiche enfin sur tous les moniteurs et les écrans de
télévision, ainsi que les téléphones portables dont le port est
devenu obligatoire pour lutter contre le terrorisme des
écologistes.
INNOCENT ! La lumière orange vire au bleu
azur, des confettis dorés tombent du plafond.
Un large sourire anime le visage du
colosse. L’animateur se précipite et lui soulève avec grande
difficulté un de ses énormes bras pour le faire ovationner une
dernière fois. Puis la lumière s’adoucit et il est pris en charge
par l’hôtesse lapin qui le dirige vers la sortie. Les
applaudissements s’estompent, le public est avide de connaître la
suite.
Numéro 24 ! Veuillez faire sortir
de la cage le numéro 24 !
Se redresse alors dans la cage un petit
homme maigrichon au teint très pale, il paraît évident qu’il
a dû souffrir d’une alimentation déséquilibrée. On ne
prête plus guère attention à ce genre de détail, la famine
décime les populations qui se livrent encore au
cannibalisme.
L’homme est poussé par ses gardiens
dans le cercle de lumière orange. Il reste là inerte et frémit
légèrement. Nouvel effet de manche de la part du magistrat.
Vous êtes accusé du vol d’un
fromage, ce qui est une accusation extrêmement grave. Choisissez-vous le jugement du tribunal
ou tentez-vous la Roue de l'infortune ?
Je…, je…, je
choisis la Roue de l’infortune ! Mais je n’ai volé qu’un
petit morceau !
Silence, le prisonnier n’a pas le
droit de s’exprimer ici !
L’hôtesse arrête de grignoter sa
fausse carotte, le présentateur se campe sur ses jambes en prenant
la mine grave, le procureur a saisi la rambarde à deux mains et se
penche, ses phalanges blanchissent.
Encore une intervention et c’est le
tribunal qui vous jugera, vous devez savoir ce qu’il en coûte de
voler de la nourriture ! Ne gâchez pas votre dernière chance
d’une justice conciliante !
L’hôtesse semble écœurée par tant
de faiblesse et la nature du crime, elle a même cessé de regarder
la carotte, le présentateur arlequin fait tout de même l’effort
d’aller vers lui et lui intime l’ordre de saisir maintenant la
grande roue et de la faire tourner. Le nombre des cliquetis est moins
important, la roue fait deux tours et s’arrête sur la case noire.
Le public siffle et insulte le salaud, beaucoup hurlent des
obscénités. Aussitôt une alarme retentit et la lumière orange
clignote puis devient rouge sang, deux gardiens se précipitent et
cadenassent le coupable, ils l’entraînent de force dans une
troisième cage où sont placés les condamnés en attente de leur
exécution.
Dès le lendemain, le second jeu
sponsorisé par les fabricants de rasoirs va permettre de définir le
type d’exécution appliqué au condamné, il n’y a rien de mieux
qu’une bonne et vraie justice !
5) Bien cuit ou saignant ?
Préambule :
Le restaurant venait d’ouvrir, John
en avait franchi le seuil presque par hasard, quand un portier
l’avait invité à entrer, juste pour jeter un coup d’œil,
dit-il. Deux autres clients se trouvaient déjà attablés, le décor
était blanc, le plafond très haut, la pièce semblait de taille
disproportionnée avec un nombre incalculable de tables dressées,
parfaitement alignées. Les assiettes étaient blanches sur des
nappes blanches, le sol blanc également. La spécialité de
l’établissement est l’entrecôte grillée, lui dit un serveur
maigre et tout de noir vêtu. L’idée de manger une entrecôte
épaisse et bien juteuse faisait déjà saliver John, il avait très
faim, aussi succomba-t-il à la tentation.
Développement :
Un des deux clients semble
s’impatienter, il tapote sur la table ou tire sur sa moustache
effilée, John en déduit qu’il devait être le premier arrivé.
Pourtant cela doit être de l’ordre de quelques minutes seulement,
puisqu’il est midi et quart. Le client finit par prendre un journal
dans une serviette en cuir et le feuillette, l’autre client
persévère encore dans la lecture de la carte quand un serveur se
penche vers lui, John croit comprendre qu’il choisit l’entrecôte
saisie à point ou bien cuite, lui-même n’a pas arrêté son
choix, il demandera conseil. Que préfère-t-il ? Il l’ignore
encore.
Enfin un serveur approche en poussant
une desserte devant lui dont les roues couinent légèrement.
Pardonnez-moi, vous avez bien dit
« bleue » l’entrecôte ?
Pas du tout, mais vous devriez vous en
souvenir !
Pardonnez-moi Monsieur, je vous prie de m’excuser,
l’équipe est nouvelle vous comprenez.
Je vous ai dit saignante.
Parfait Monsieur, c’est un excellent
choix.
Un serveur, habillé entièrement de
noir, arrive à côté du premier et se glisse derrière le client,
il sort le grand couteau tranchant aiguisé qui se trouvait sous son
habit. Pendant que son collègue saisit la tête du client et la tire
en arrière, il tranche la gorge de l'infortuné et un jet de sang
arrose l’assiette, des gouttes perlent sur la moustache quand la
tête retombe sur la table, puis le corps inerte s’écroule
désarticulé sur le carrelage blanc. Une mare de sang écarlate
s’étale, qui fait penser à une boucherie et ses
têtes de veaux, rognons, boudins et cervelles.
Bien saignant pour Monsieur, Monsieur
est-il bien servi ?
Le second client pousse un cri
étouffé et se met debout en projetant sa chaise à
la renverse. Deux serveurs le maîtrisent, l’un redresse la chaise, l'autre le force à s’asseoir en appuyant sur ses
épaules. Un troisième serveur approche, il tient un carnet et un
crayon.
Comment désirez-vous votre entrecôte
Monsieur, bleue, saignante, à point ou bien cuite ?
Mais je…
Je...
Sur un ton plus ferme et sans sourire cette fois-ci :
Comment désirez-vous votre entrecôte
Monsieur ?
Euh… bien cuite, oui c’est cela
bien cuite ! Surtout pas saignante, non non !
Parfait Monsieur, c’est un excellent
choix.
Le silence est pesant, John aimerait
bien se lever en douce et foncer vers la porte, mais deux serveurs
l’encadrent de manière rapprochée. Comme ils se tiennent dans son
dos, il ne peut pas observer leurs gestes, il essaye brièvement de
tourner la tête, mais pense plutôt guetter le moindre bruit d’un
pas sur le sol ou le bruissement d’un tissu. Il hurlerait bien à
cet instant, mais personne ne viendrait à son secours assez vite. Il
se battra si on tente de l’égorger.
Le serveur retourne à la cuisine d’un
pas nonchalant, pousse la double porte battante et annonce :
Une entrecôte bien cuite, une !
Aussitôt après, la double porte
s’ouvre dans l’autre sens, un serveur pousse une desserte
identique à la précédente, avec toujours la grosse cloche argentée
posée sur une nappe blanche.
Il s’approche du client paniqué. Un
troisième serveur, habillé de noir comme les autres, arrive à côté
du premier et se glisse derrière le client, le premier saisit la
cloche par ses deux poignées.
Pardonnez-moi, vous avez bien dit
« bien cuite » l’entrecôte ?
Oui, oui, c’est ça, surtout pas
saignante ! Bien cuite s’il vous plaît.
Parfait Monsieur, c’est un excellent
choix.
La cloche soulevée révèle un lance
flamme-portatif M2A1-7 qui est aussitôt pris en main, une longue
langue de feu se déverse quand les serveurs reculent. Le client
devient une torche vivante qui se dresse et tente de marcher, vacille
et s’effondre en avant en hurlant. Lorsque les chairs deviennent
bien cuites et grésillent, et que le client ne bouge pas davantage
que de la viande morte, un employé dirige le jet humide d’un
extincteur. C’est une douceâtre odeur de viande grillée qui
remplit l’atmosphère, cependant elle fort désagréable, peut-être
à cause de l’huile inflammable qui ne produit pas le même fumé
que le grille.
Maintenant John ne sait plus quoi
faire, il a posé la main à plat sur les couverts et tente de faire
glisser le couteau, au bout malheureusement arrondi, dans la manche
de sa chemise. Il n’y arrive pas et le couteau tombe à terre avec
un bruit métallique. Il tente de se relever, immédiatement il est
plaqué sur sa chaise et tenu fermement par ses deux épaules. Celui
des serveurs qui semble être le maître d’hôtel, ou bien le chef
de rang, s’approche de lui et lui adresse un sourire.
Comment désirez-vous votre entrecôte
Monsieur, bleue, saignante, à point ou bien cuite ?
Je…, je…, je suis végétarien !
Vraiment Monsieur ? Vous m'en voyez
désolé.
Oui, oui, je suis végétarien !
Permettez-moi de vous dire Monsieur que
ce choix n’est pas particulièrement approprié dans cet
établissement, notre spécialité est la préparation des viandes.
Alors laissez-moi m’en aller, par
pitié !
Nous ne pouvons pas faire cela,
cependant je vais voir ce que je peux faire.
L’homme en noir se dirige vers la
cuisine, John éponge son front avec sa serviette.
Quelques minutes passent. John est un
peu rassuré, ces deux clients ont peut-être été la cible de la
pègre qui vient de les assassiner sous ses yeux. Sans doute un
contrat. Qui voudrait le tuer ? Il se rappelle subitement
que les assassins ne laissent pas de témoins de leurs
forfaits.
Soudain, la double porte s’ouvre avec
fracas et débouchent simultanément un immense poireau vert
fluorescent avec des jambes longues et fluettes, une carotte qui
saute sur sont pied unique avec les fanes qui s’agitent
nerveusement, une pomme de terre rondouillarde et pleine de verrues
qui roule sur elle-même, tous armés soit d’un couteau soit d’une
broche soit d’un hachoir, les légumes se précipitent sur John
pour lui asséner le coup de grâce ! Un haricot vert
filandreux, qui s’est joint à l’attaque, tente alors de
l’étrangler avec un de ses fils, et déjà il étouffe.
Les serveurs en noir ont ôté leurs
masques, ce sont des têtes de mouton qui le regardent.
John se redresse en sursaut dans son
lit, il prend une profonde inspiration. Le drap s’était enroulé autour de
son cou, il le défait et le repousse au loin. Il est en nage et a du
mal à sortir du cauchemar qui commence seulement à s’estomper.
Cela semblait tellement vrai. Heureusement qu’il a décliné
l’offre de son ami Pierre, en effet ce dernier l’avait invité à
venir manger dans la nouvelle brasserie dans une semaine.
Mais, c’est un restaurant de viandes,
je ne pourrai rien manger !
T’inquiète, ils ont sûrement un
choix de légumes, ils s’occuperont bien de toi j’en suis sûr.
John ne comprendra jamais comment de
l’agonie des abattoirs peut découler un amour de la bonne chère,
un peu plus et il aurait le remord d'avaler sa soupe de légumes.
D’ailleurs, pour se moquer de lui, Pierre dit entendre le cri
terrifié du beurre dans la poêle. Mais si son rêve est
prémonitoire, il ferait bien mieux d’accompagner son ami Pierre
tout compte fait.
6) Il était bon notre fils !
Préambule :
En 2086 la viande artificielle a envahi
les supermarchés et se retrouve dans toutes les assiettes. C’est le 5 août 2013, qu’à
Londres aura été servi le premier burger artificiel au monde.
L’idée était formidable, des cellules souches sont introduites
dans des bassins de culture avec des hormones de croissance, et il
faut seulement dix cellules souches prélevées sur un animal pour
produire 50 000 tonnes de viande. Malheureusement, le résultat ne
fut pas celui escompté. Certes le massacre des animaux de boucherie
baissa sensiblement, et le gaspillage des ressources également, mais
un coût d’abord très élevé créa une image de luxe et de
réussite qui fit augmenter considérablement la consommation de
viande dans le Monde, ce qui aggrava les cancers et le nombre
d’obèses.
Développement :
La voiture oblique à droite pour
prendre la bretelle d’accès au périphérique, le volant a disparu
depuis longtemps de l’habitacle, tout ou presque est automatisé,
et il est désormais interdit de masquer la caméra que la police
peut activer sans prévenir, généralisant ainsi le panoptisme
décrit par Jeremy Bentham dès 1780. Ce sont plus particulièrement
les lobbies industriels qui firent accélérer le processus
d’automatisation, car désormais ils purent en toute légalité
implanter sur les routes autant de leurs publicités qu’elles
peuvent en tenir, c’est-à-dire les unes contre les autres.
Enfoncé profondément dans le siège
en cuir synthétique à mémoire de forme, l’oncle tourne et
retourne entre ses doigts un petit module réfrigéré de la taille
d’une petite glacière isotherme. En ces temps de crise, seule une
petite partie de la population constituée des nantis peut s’offrir
les services de l’IFY (I Feel You). Le commun des mortels doit
recourir aux images de synthèses ou à des androïdes plus ou moins
ressemblants, plus ou moins performants. Mais l’oncle avait fait
fortune dans la publicité, celles qui défilent dans son dos à cet
instant, il aurait été mal vu par sa famille de ne pas offrir ce
petit cadeau, d’autant qu’il lui est facile de graisser quelques
pattes.
Appuie encore sur la sonnette, personne
n’a dû l’entendre !
Sophie s’impatiente, elle passe
nerveusement d’un pied sur l’autre, il n’est pas bon de rester
trop longtemps devant une porte et d’attirer l'attention, même
dans ce quartier si privilégié. Le gros œil en verre blindé dans son
globe en titane placé au-dessus de l'entrée plonge vers le bas
puis regarde à droite et à gauche. La porte du luxueux loft s’ouvre
avec un léger bruit de succion, car de l’air pressurisé
s’échappe. Toutes les résidences bourgeoises intègrent la
filtration.
Ah ma chérie comme tu es belle !
Entrez, vous êtes les derniers arrivés, tout le monde est déjà
là.
Désolé d’être en retard, tu sais
ce que c'est le trafic à cette heure, il y avait de grosses émeutes
du côté du centre commercial qui est pris d’assaut. On n'entend
pas les tirs de roquettes d’ici ?
T’inquiète ma poupée, ici on
n’entend rien et on ne risque rien, c’est le privilège de la
réussite.
Sophie et Karl suivent la cousine de
Sophie qui se faufile parmi les membres de la famille réunis pour
cette occasion et vêtus de leurs plus beaux habits. Il s’agit
aujourd’hui de rendre hommage au fils Chevalier décédé il y a
tout juste une année, jour pour jour, aussi de se montrer.
Marc a été sauvagement assassiné par
une meute qui l’a arraché à son véhicule. Sous l’emprise de
l’alcool, il avait oublié d’activer la fermeture sécurisée.
Les caméras de surveillance avaient tout enregistré, sous tous les
angles, la scène fut diffusée par tous les médias pour l’unique
raison que les carnages touchent très rarement les membres de la
« haute société ». Le chef de la police urbaine fut
obligé de démissionner, mais le peuple s’en est, il faut le dire,
beaucoup amusé, les gens riaient devant les écrans géants,
certains ont dit que ce gosse de riche n’avait que ce qu’il
mérite ! Un premier homme décharné lui
avait saisi le bras quand il commençait à s’asseoir sur son
siège, et il s’était arc-bouté en posant ses deux pieds sur le
bas de la caisse, son dos effleurant le bitume pour peser de tout son
maigre poids. A ce moment précis Marc aurait certainement pu encore
sauver sa peau car son agresseur était faible, mais la meute toute
entière lui était alors tombée dessus. Il est probable qu’ils n’ont pas
attendu qu’il soit mort pour lui arracher des morceaux de chair, il
a été dépecé vivant. Fort heureusement les cris ont vite cessé.
Quand la police a enfin cerné le périmètre et repoussé la meute
avec ses armes létales, il n’y avait que quelques restes sur le
sol, le corps de Marc, ou plutôt ses morceaux, avaient été
emportés ou mangés aussitôt. De toute manière, il n’y avait plus
assez de ressources naturelles pour offrir de la vraie viande aux 50
milliards d’individus, et le prix d’achat de celle synthétique
était hors de portée des pauvres.
Les membres de la famille, après
maints bavardages aussi superficiels les uns que les autres, chacun
se congratulant sur sa propre réussite qui souvent est bien en deçà
de ce qui qu’il vante, viennent s’asseoir autour d’une longue
table rectangulaire et commencent à dîner.
Karl plonge sa fourchette dans le petit
morceau de viande qu’il vient de découper soigneusement et le
porte à sa bouche. Il le mâche doucement pour sentir cette
tendresse de la viande l’envahir et laisse un jus divin lui couler
doucement dans la gorge. Ses yeux se rétrécissement de plaisir.
Excellent ! Jeanine, vous êtes
une maîtresse de maison hors pair !
Vous me flattez Karl, la
sauce y est pour beaucoup.
Si j’insiste, qu’en penses-tu
Sophie ?
Ce que j’en pense ? Mais tante Jeanine est
une cuisinière extraordinaire, et ses sauces...
L’oncle Paul
repose son verre de vin rouge synthétique, une copie d’un illustre
Romanée-Conti, il soulève légèrement sa main ouverte en agitant
les doigts et les bagues pour attirer l’attention.
Vous
souvenez-vous du poulet vivant que je vous avais apporté il y a
quelques années ?
Karl n’en revient pas, un véritable
animal à se mettre sous la dent est une chose tellement rare.
Oui, parfaitement.
Comment aviez-vous fait pour trouver un
poulet ? Un vrai poulet ? Juste ciel !
Pour ça mon jeune ami, il faut avoir
les bons contacts.
Sophie éclate de rire en se mettant la main
devant la bouche, elle se tourne vers Karl en souriant.
Je m’en rappelle bien, toute la
famille avait couru après le volatil pour l’embrocher !
Tout
le monde rit, mais l’oncle Paul se redresse, il prend une mine plus
sérieuse pour se donner de la prestance et s’adresse à la tablée
en tenant son verre de vin de la main droite.
Je propose de porter tous ensemble un
toast à la mémoire de ton fils Marc, Roselyne. C’est pour ça que
nous nous nous sommes réunis ce soir. Buvons à sa santé dans
l’au-delà.
L’oncle qui avait le bras long et
le compte en banque bien garni, avait réussi à obtenir à temps de
la police des échantillons du sang et de la peau de Marc, mais l’IFY
ne lui avait accordé aucune réduction pour restructurer la chair et
la mettre en culture. Ce fut une une chanteuse populaire qui lança
la première : « si vous m’aimez, mangez-moi ! »,
sa propre chair produite à la chaîne fut vite côtée en bourse,
mais le monopole finit par tomber. Jamais la production de viande ne
fut un enjeu économique aussi important. Le lobby investit
immédiatement dans ce nouvel outil industriel, mais uniquement avec
les artistes à la mode. L'afflux populaire fut considérable.
Une seconde bouteille de ce vin fait le
tour de la table, chacun se ressert, se met debout et lève son
verre, le moment est solennel. Roselyne a les larmes qui lui montent
aux yeux.
Il était si bon mon fils, il est mort
trop tôt et aurait pu faire tellement de choses. Si bon...
L’oncle
Paul se rassoit, son regard se porte sur le module réfrigéré
visible dans l’angle de la cuisine.
Oui, c’est injuste, ton fils était
un bon garçon, mais il le sera encore l’année prochaine !
7) Courir sur la plage
!
Préambule :
Juliette est si belle, son visage est
auréolé de taches de rousseur, ses cheveux coupés courts, ses yeux
sont du même bleu profond que l’océan Pacifique, un bleu si
intense qu’il vrille les rétines. De fines gouttelettes salées
perlent sur sa peau satinée, à chaque foulée Julien remplit ses
poumons d’un air incroyablement pur et le relâche avec une longue
expiration. Il essaye de toucher la main de Juliette mais n’y
arrive pas, quelque chose les sépare ou les éloigne l’un de
l’autre que Julien ne saurait déterminer, alors il se concentre
sur la course sur le sable humide. Mais bientôt il n’en peut plus,
il ralentit et s’arrête les mains posées sur les cuisses, le
buste en avant. Finalement il s’assoie sur le sable et s'allonge
sur le dos pour contempler le ciel et écouter le ressac. De grands
oiseaux font des cercles haut dans le ciel. Curieusement, Juliette
continue de courir à côté de lui qui est immobile, mais sans qu’il
puisse déterminer si elle lui tourne autour ou si elle continue
d’aller tout droit. Qu’importe, c’est si agréable, comment
avait-il pu oublier qu’il existe sur Terre un air si pur et une
lumière si transparente ?
Développement :
Julien se relève et reprend la course
sans forcer, le sable fin défile à nouveau sous ses pieds. Il veut s’approcher du rivage pour
faire gicler l’eau de mer, taper dedans avec la paume des mains,
mais à chaque fois le rivage recule, et il est ramené sur une
trajectoire qui l’en éloigne. Maintenant il cours à un rythme
bien plus modeste, trottine plutôt dans un état de légère
ivresse. Il est comme soulevé. Mon Dieu que ça fait du bien !
Julien va à nouveau s’asseoir sur le sable et enfoncer ses doigts
dedans...
Soudain il est violemment projeté en
arrière par le harnais qui le maintient et il s’étale sur le
tapis roulant recouvert d’une matière proche du sable qui s’est
déjà immobilisé. L’image de Juliette est toujours projetée sur
les murs courbes, mais elle est figée en plein milieu de sa course,
puis s’éteint. Il arrache d’une main le casque à électrodes
qui est fixé sur sa tête et dont les ondes ELF prennent le contrôle
d’une partie de son cerveau, une technologie que laissaient déjà
prévoir au siècle dernier les études du docteur Elisabeth
Rauscher, physicienne nucléaire à San Leandro en Californie.
Il agrippe les fermetures des sangles
du harnais et le laisse tomber sur le sol. Cette fois-ci il reprend ses esprits et
secoue la tête, que se passe-t-il donc ? S’agit-il d’une attaque terroriste
de l’ultra-gauche qui refuse qu’une partie infime de la
population ait les moyens financiers de respirer de l’air pur et de
vivre de si brefs instants de bonheur ? Il a préféré la voie
du voleur qui accapare ce que jamais il ne pourra s’offrir. Qu’on
le juge donc, il présentera ses arguments !
La soufflerie fonctionne toujours et
propulse son air filtré et encore agrémenté de saveurs marines. Il
se dirige vers la porte, elle résiste, elle est bloquée, non elle
est verrouillée. Ce silence l’inquiète. Soudain une idée
s’impose à lui, elle ne lui plaît pas du tout, car il se sent
pris comme un rat dans une souricière.
Merde, ils ont dû être mis au courant
que ma carte est piratée. Pourtant j’ai bien reprogrammé la puce
et l’implant de mon système nerveux. Serait-ce un défaut de mes
lentilles de contact ?
Julien s’appuie contre la paroi pour
réfléchir. Merde, merde, et merde ! Que ce
soit la police qui a prévenu l’ordinateur central ou bien
l’inverse, elle va arriver sous peu. Reprends-toi Julien, que
peux-tu faire ? D’abord sortir de cette maudite pièce.
La porte étanche qui l’isole du
reste du centre de loisir ne devrait pas être blindée, mais il
aperçoit au ras du sol une grille de ventilation, il y a peut-être
moyen de passer par la gaine dont la section semble suffisante. Il arrache le grillage comme on le fait
toujours dans les films d’action et rampe à l’intérieur du
tuyau en acier galvanisé, puis se retrouve aussitôt de l’autre
côté de la cloison. Il l’agite alors du mieux qu’il peut et
donne de grands coups de pieds qui finissent par détériorer la
structure qui rompt enfin. Julien a pris soin d’être le dernier
client, mais finalement un peu d’aide aurait été la bienvenue.
Depuis le local technique dont il brise
la porte plus légère, Julien se retrouve dans le couloir qui mène
à l’accueil, s’y trouve toujours, derrière le comptoir, le
buste de l’androïde de service, le visage avenant de l’hôtesse
se tourne vers lui avec un large sourire montrant des dents
étincelantes.
Vous être priés d’attendre la venue
de la police, vous pouvez vous servir un café en attendant.
Qu’est ce qu’on me reproche
exactement ?
Je ne suis pas habilitée à vous donner ces
informations, veuillez attendre la police !
Je vois…
Julien attrape un des deux fauteuils
placés devant l’hôtesse, le lève au-dessus de lui et fracasse la
tête qui, bien que dangereusement inclinée sur le côté, le fixe
toujours avec le même sourire, un second coup l’envoie rouler en
arrachant des câbles. Julien déverrouille en appuyant sur le bouton
d’urgence rouge l’entrée du centre et se dirige vers le sas où
se trouve le vestiaire des clients. L’alarme retentit maintenant,
mais ce n’est plus important, le remodelage de son visage rend
impossible toute reconnaissance faciale et ses puces implantées sont
programmées pour brouiller toute recherche. Cependant il se souvient
qu’il ne connaît pas le code de sécurité de son casier, et
madame sourire qui devait le lui communiquer après confirmation du
paiement est maintenant hors d’usage, il ne peut donc plus
récupérer son masque respiratoire et suffoquerait aussitôt sorti.
Le voilà bel et bien coincé en fin de compte ! Déjà, on peut
entendre la sirène de la voiture de police. C’est bel et bien
fichu. A moins que, oui, pourquoi pas…
Julien repousse le buste de l’hôtesse
qui tombe avec un bruit mat de plastique, il s’assoie derrière le
pupitre, introduit sa clef USB 15 et prend en une fraction de
secondes le contrôle du système. Il déverrouille les sécurités
des mises en scène, il pousse à fond l’émetteur d'ondes
cérébrales et espère que l’effet vaudra celui du casque. Il aura
alors intérêt à se tenir éloigné des salles.
La voiture est déjà là, il l’entend
qui freine. Encore une petite modification, puis il se cache
dans le vestiaire, entre deux armoires, quand les policiers passent
devant lui.
Le groupe des trois policiers arrive
dans la pièce où Julien courait sur une plage fictive, le chef
attend dehors près de la voiture, il reste en liaison radio avec ses
trois hommes, et comme le sas n’est plus verrouillé, il en déduit
que l’individu a pu prendre la poudre d’escampette.
Fouillez
la zone, il est peut-être toujours là !
Il n’y a personne
Chef.
Vous en êtes certains ?
Oui Chef, la plage est déserte, il n’y
a personne à l’horizon !
La plage, mais quelle plage ? Vous
pouvez répéter, je vous entends mal !
Ben la plage Chef,
juste devant il y a la mer mais je ne vois aucun bateau !
La mer en pleine ville, êtes vous
devenus fou ? Sortez vite de là !
Attendez chef, je vois une femme nue
qui se baigne.
Sortez tous du bâtiment vous dis-je !
Poussé à son maximum, le système
commençait à surchauffer, entraînant des modifications dans le
programme que Julien avait relancé. Un des policiers tente de
s’approcher de la femme un instant habillée, un autre entièrement
nue, qu’il croit voir devant lui, il racle en vain la paroi de la
salle qui le retient.
Attendez-moi, restez où vous êtes je
viens vous chercher !
Soudain on entend un coup de feu, puis
un second, et un troisième.
Bordel de merde !
Le chef se précipite et pénètre dans
le centre pour faire sortir ses hommes, Julien en profite pour sortir
en douce et se dirige vers la voiture de police dans l’espoir d’y
récupérer un masque de secours, si celle-ci ne s’est
pas refermée automatiquement.
Le chef arrive auprès de ses hommes,
il se retrouve dans une immense forêt vierge et ses bruits
envoûtants, il découvre ses hommes acculés dos à dos devant un
arbre gigantesque, l’endroit est envahi d’énormes crocodiles qui
envoient de violents coups de queue et se rapprochent dangereusement.
Il sort son arme et s’apprête à défendre chèrement sa peau.
Julien arrive à la voiture de police,
l’air vicié commence à lui brûler les poumons. Heureusement, la
portière est restée ouverte. Il rentre dans l’habitacle, referme
la porte et appuie sur le bouton vert pour recycler l’air. Il prend
une grande inspiration. Il ouvre ensuite la boîte à gants, elle
renferme trois masques respiratoire de secours et un lot de
cartouches de filtration. Il prend un des masques et quelques
cartouches qu’il glisse dans une de ses poches, puis file en
marchant le plus vite tout en évitant les individus qui pourraient
l’agresser pour lui prendre son maigre butin.
Chef, plus on tire dessus et plus il en
arrive! Ils vont finir par nous bouffer !
Combien vous reste-t-il de munitions ?
8) Les vacances à la ferme !
Préambule :
Qui n’a pas au moins une fois dans sa
vie été tenté par les vacances à la ferme ?
L’air pur, un cadre authentique, le
contact avec les animaux pour les enfants, aussi la table
d’hôte. C’est une formule qui tente toujours plus les
citadins, et puis c’est l’opportunité de faire comme le
Président à la Foire agricole, poser sa main sur le derrière d’une
vache ! La petite famille Cousin était enfin
réunie pour les vacances d’été. Au lieu de suivre la masse
humaine qui se précipite dans les campings concentrationnaires de la
côte, parquée comme le bétail, continuellement observée par les
caméras installées pour sa sécurité, mangeant de la nourriture
industrielle généralement infecte, se baignant au milieu de la
multitude et dans une eau où flotte la crème solaire non biologique
et à l’odeur écœurante, sans parler des musiques, la famille
Cousin décida de faire le choix de l’authenticité et du retour
aux sources, en un mot la campagne.
Développement :
Papa, on arrive bientôt ?
Sois
patiente Sylvie, ton papa a conduit toute la journée et nous avons
tous très hâte d’arriver.
Son père conduit avec une main sur
le volant, l’autre posée négligemment sur l’accoudoir qu’il
tapote d’un doigt, il est à la fois fatigué et détendu. L’idée
de bientôt marcher en forêt avec toute sa famille le réjouit, il
faudrait profiter de chaque seconde, faire en sorte qu’elle en
vaille au moins le double, et surtout essayer de ne pas penser au
retour dans l’enfer de la capitale où l’air est vicié et les
mines grises.
Pierre tourne la tête vers sa femme
puis regarde Sylvie dans le rétroviseur.
Combien de kilomètres encore ?
Sylvie serre ses lèvres et ouvre grand
ses yeux.
Vingt-sept papa.
Je crois que c’est là.
Il y a un grand panneau blanc où est
écrit en vert : « Bienvenu à la Ferme », avec
rappelée juste en dessous toute l’exhaustivité des arguments
qualitatifs utilisés par les marchands qui ne veulent pas voir leurs
proies leur échapper. Si parfois trop en dire casse vite l’envie,
comme trop de sel gâche un met raffiné, une ligne en particulier
attire l’attention de Pierre, celle-ci invite à vivre comme un
animal de ferme pour un dépaysement garanti. Les fermes
s’inspireraient-elles désormais des parcs d’attraction, alors
que l’élevage est devenu une industrie ?
Bonjour, M’sieurs dames, on peut vous
donner des renseignements ?
Bonjour Madame, non, nous avons réservé
il y a deux semaines.
Vous êtes la famille Cousin . J’me
souviens, vous voyez c’est noté là, trois personnes, c’est bien
ça ?
Tout à fait, peut-on installer nos
affaires dès à présent ?
Bien entendu, suivez-moi M’sieurs
dames, avant je vais vous faire visiter not’belle ferme.
Pierre, Sandrine et Sylvie suivent la
femme obèse qui leur fait signe d’avancer.
Maman, elle est énorme la dame, elle a
dû manger trop de cochon !
Sandrine fronce les sourcils et
se penche vers sa fille pour la sermonner à l’oreille, en faisant
attention que la grosse dame ne remarque rien. Pierre a envie de
pouffer mais se retient.
Tu n’as pas honte de dire ça
Sylvie ? Il ne faut pas se moquer des grosses personnes, c’est
très mal.
Oui maman, pardon maman.
La fermière s’arrête devant une
grande table, ses mains aux courts doigts boudinés posés sur son
ventre.
Là sur la table ronde, c’est les produits de la ferme,
saucisson, jambon, fromage, tout est fait sur place. On met pas de
produits chimique, ici c’est tout naturel, bio comme y disent ! Not’spécialité à nous c’est
qu’le client soit satisfait. Vous pourrez en acheter, c’est en
supplément.
Pierre qui réfléchit encore à ce qui
est écrit à l’entrée de la ferme questionne la fermière.
Qu’est-ce que vous voulez dire
exactement en invitant sur votre panneau à vivre comme un animal de
ferme pour un dépaysement garanti ? Devrons-nous brouter de
l’herbe ?
La femme, qui n’a pas le sens de
l’humour, secoue négativement sa tête qui est trop petite.
Ah ça c’est rajouté c’t’année,
c’est une idée du chef, on a comme y dit l’exclusivité
mondiale.
Mais ça consiste en quoi exactement ?
Suivez-moi, je
vais vous montrer. Pour un dépaysement total, vous pourrez mettre
les tenues qui sont accrochées là sur le mur, y a toutes les
tailles, même la gamine peut faire l’agneau.
Sandrine s’approche de son mari et se
mêle à la conversation.
Mais vous avez déjà des clients pour
ce genre d’activité ? Pardonnez-moi, mais...
Plein ma p’tite dame, et y en aura de
plus en plus c’est moi qui vous l’dit, vous pouvez pas savoir
comme les gens de la ville sont friands d’ce genre de chose, faut
pas chercher à comprendre.
Sylvie passe sa main sur un des
costumes et commence à jouer en agitant deux pattes en fourrure
synthétique d’un petit veau avec des fentes étroites à la place
des yeux, elle se dirige ensuite vers une des fenêtre et tend son
bras droit devant elle.
Maman, papa, regardez, il y a un vrai
mouton dans le pré, juste devant. Comme il est mignon !
La fermière éclate d’un rire gras
et tousse fortement, puis se calme.
Non, ça c’est Monsieur Albert, c’est
un de nos habitués et bons clients, y vient toutes les semaines, y
s’est tellement pris au jeu que tout l’monde l’prend maintenant
pour un mouton, vous pourrez l’entendre bêler chaque soir et même
la nuit !
Pierre ne peut s’empêcher de rire.
Vous ne le tondez tout de même pas ?
La grosse femme semble ne pas
comprendre cette plaisanterie, elle hésite puis ne dit rien, elle
tourne sur elle-même pour continuer la visite des lieux. Sandrine saisit vite son époux par le
poignet, le secoue et le supplie du regard.
Je t’en prie, filons d’ici, tu as
vu le mouton ? On dirait vraiment un mouton, ne restons pas là !
On a encore le temps, attendons un peu.
Avant d’entrer dans la pièce
suivante, la fermière s’essuie les mains sur sa robe, elle a comme
qui dirait quelque chose à dire qui ne sort pas tout seul. Elle
prend le mari à part.
Ici c’est la section spéciale et
c’est en supplément, c’est not’ spécialité du chef, y pense
qu’avec tous les végétariens et les nudistes, vous savez ceux qui
s'foutent à poil, y pourrait faire un traitement de faveur, comme
pour arrêter de fumer quand y arrivent pas. Ici y zapprennent ce que
c’est la vraie vie pour un cochon de l’industrie, mais je
déconseille à madame et à la petite.
Elle entrebâille la porte, Pierre
découvre des cages de 50 cm de haut et de 3 m de long qui s’alignent
dans un hangar surchauffé, en passant la main à travers le grillage
un employé donne un coup de taser à un client dénudé allongé
dans la paille, on l’entend couiner.
Vous savez, c’est pour
la forme, la puissance est toujours réglée au strict minimum !
Est-ce que vous leur coupez aussi la
queue et leur limez les dents ?
Monsieur, pour qui vous nous prenez ?
C’est une maison qu’est respectable ici !
Tu avais raison Sandrine, filons vite !
Au revoir Madame.
Toute la petite famille prend le chemin inverse
au pas de course, elle arrive au niveau de la table, dépasse la
fermière en échangeant un regard peu aimable, et s’engage vers la
sortie.
Alors vous prendrez même pas d’nos
spécialités avant de partir ?
La voiture sort de la propriété
et file à vive allure, Sylvie pleure. La fermière reste plantée devant la
table, elle est écœuré par ces citadins qui ne savent jamais ce
qu’ils veulent et lui font perdre son temps, elle remarque aussi
qu’il n’y a presque plus de terrine de foie de mouton. Justement,
le chef entrouvre la porte pour s'enquérir de ce qui se passe, un
hachoir à la main.
Chef, venez y voir, on dirait que
Monsieur Albert est enfin prêt pour être préparé.
9) Le jour des soldes !
Préambule :
Qui ne s’est pas trouvé un matin
devant les portes d’une grande surface, juste quelques minutes
avant l’ouverture ? Une dizaine ou davantage de personnes font
tranquillement la queue et se surveillent du coin de l’œil, puis,
quand le volet métallique grince, ou qu’un employé se penche pour
déverrouiller la baie vitrée, ceux qui sont les derniers se
précipitent pour passer avant tout le monde. A ce moment particulier
plus personne ne regarde son voisin. Même chose aux caisses des
magasins, il suffit qu’une employée ouvre une nouvelle file pour
que ceux qui sont derrière s'y engouffrent aussitôt et vous
dépassent sans vous voir. Parfois quelqu’un vous laisse passer si
vous n’avez qu’un article, mais vous sentez aussi que la personne
se fait violence, il convient alors de la remercier chaleureusement,
parfois un sourire suffit. Et cela, c’est pendant les jours
normaux.
Développement :
Honoré jette un œil sa montre, il
reste dix minutes avant l’ouverture de la boutique. Il a reçu hier
soir un message sur son téléphone lui signifiant que sa commande
était arrivée.
Les premiers jours du printemps sont
agréables, il repère la terrasse du café qui fait face à la
boutique et où de petites tables métalliques sont parsemées entre
de vieux platanes qui agitent au vent léger leurs jeunes feuilles.
Des rayons de soleil percent de-ci de-là, il choisit une table au
soleil pour se réchauffer et commande un café à la serveuse qu’il
fait sortir de l’oisiveté, il s'assied et sort son petit carnet
de croquis et un crayon, puis commence négligemment à griffonner.
Là il serait bien de faire une soudure supplémentaire pour
renforcer la fixation des roues, puisqu’il en a choisi de plus
grandes. Il repose doucement son crayon et regarde sa montre, il va
être 09h00.
Voilà, il est temps d’y aller.
Bonjour Monsieur, j’ai reçu un
message pour ma commande...
Tout à fait, elle est arrivée hier
matin, attendez, où l’ai-je mise ? Ah ! la voilà !
Honoré repart son paquet sous le bras,
il est content car il va pouvoir finir dans les temps, il attendait
juste les roues à propos desquelles son choix ne s’était pas
encore arrêté. Il y a du pour et du contre, mais des grandes roues
permettent de franchir plus aisément les obstacles, pour le reste
c'est quasiment plié, pour les autres par contre la défaite sera
cuisante ! Il ricane doucement. Une semaine plus tard, jour pour jour,
c’est enfin le jour des soldes qui tardait à venir, tout le monde
est extrêmement excité, il y a comme de l'électricité dans
l’air et l’agressivité devient palpable.
Deux jours plus tôt il était allé la
nuit sur un terre-plein attenant une vieille usine désaffectée, il
avait pris garde qu’aucune bande de voyous ne s’y trouve et avait
vite extrait le caddie du coffre de sa voiture break. Il avait ainsi
pu tester pour la dernière fois son prototype en le propulsant sur
une surface où se trouvent quelques débris plus ou moins gros et
des trous, les larges roues montées sur des ressorts montant et
descendant au gré des obstacles. Seul un trop gros morceau de béton
l’envoya valdinguer, et ce qui était prévisible arriva, le caddie
se coucha sur le sol et glissa dans un crissement. Il fut quitte pour
une égratignure au bras gauche. Au moment de quitter les lieux,
alors qu’il remettait le caddie dans le coffre, une voiture
s’arrêta à son niveau et le conducteur qui avait baissé la vitre
latérale lui proposa une confrontation, pour s’entraîner dit-il.
Il refusa tout net en secouant la tête, car il se méfie de
l’espionnage industriel, il préfère garder le bénéfice de ses
idées pour lui tout seul. Il accéléra donc ses gestes, claqua le
hayon arrière et fila.
Le grand jour est donc arrivé. Honoré
gare son break sur le parking de la grande surface qui se remplit
rapidement. Muni de la réservation prioritaire achetée sur
Internet, il se dirige vers le guichet monté pour l’occasion.
S’étant enregistré, il rejoint la ligne de départ de la course
qui aujourd’hui limitera le nombre de clients autorisés. En effet,
la surfréquentation de l’année précédente fut un désastre pour
le commerce car la rage qui s’était emparée de la population
déchaînée avait provoqué de nombreux actes de vandalisme, saccagé
trop de marchandise, et fait mourir des milliers de clients. La
police fut débordée et l'armée dut intervenir. Il fut donc décidé de canaliser la
violence au préalable, sachant qu’il y avait beaucoup trop de
clients potentiels et qu’une partie infime de ceux-ci
bénéficieraient des soldes, le montant des réservations devant
permettre de rembourser largement les dégâts occasionnés.
Honoré a le brassard numéro 72, il
est en troisième ligne parmi les 100 clients acceptés pour la
première manche. Il sert la barre de son caddie recouverte de
caoutchouc, le poignet gauche relié par la sangle imposée par le
règlement. La cliente à sa droite le regarde d’un sale air et lui
aboie dessus, elle a mauvaise haleine. Si elle pouvait
l’écraser à cet instant, elle ne s’en priverait pas.
Il est bizarre votre engin, ça sert à
quelque chose les grandes roues ?
A faire parler les bavardes,
Madame !
La bouche de la dame devient amère, ses yeux se
rétrécissent. Elle tourne vivement la tête et souffle du nez d’un
coup sec tout en grognant. Celle-ci ne franchira jamais la ligne. Mais le client situé à gauche reste
silencieux et tient un caddie tout hérissé de longues pointes
crénelées. Il faudra s’en méfier et se tenir le plus éloigné
possible de celui-là.
Il est intéressant d’observer les
caddies des clients, de toute évidence certains ont privilégié
l’agilité et la vitesse, pour rejoindre les rayons le plus vite
possible, quand d’autres ont transformé leur engin en véritable
char d’assaut, quelques-uns enfin en ont fait des béliers. En y
regardant de plus près, le choix tactique correspond à la
physionomie et au physique de chacun. Honoré qui mesure à peine
1m60, sait qu’il ne peut compter ni sur sa vitesse ni sur sa force. Des coups de pieds et des gifles sont
échangés avant le signal du départ, la police embarque rapidement
quelques participants survoltés, mais une voix féminine
retransmise par des haut-parleurs couvre alors le brouhaha et les
insultes qui fusent encore.
Il est rappelé que tout usage d’un
moteur, qu’il soit électrique ou thermique, est totalement
interdit, tout comme les armes à feu et les armes blanches. Seules
sont permises les modifications apportées à votre caddie, et tout
participant doit pénétrer dans l'enceinte du magasin avec son
caddie auquel il est relié en permanence par une sangle. Tenez-vous
prêts, attention...
Un coup de feu tonne, la petite
centaine de caddies se met aussitôt en branle.
Comme cela était prévisible, une
poignée de ceux qui ont eu la chance d’être placés en première
ligne, et qui ont fait le choix de la légèreté, filent à toute
vitesse, les voilà déjà en vue des caisses !
Pour la seconde ligne les choses sont
plus compliquées, les caddies lourds ayant pour stratégie de
bloquer ceux plus légers. Plusieurs clients se trouvent vite écrasés
ou embrochés. Honoré qui a choisi de rester à l’arrière de
la dernière ligne se place un peu à l’écart, il observe la scène
afin d'estimer ses chances. Une fois qu’une partie des gens se
seront étripés, il devra trouver la bonne trajectoire et foncer.
Les soldes, ce n’est pas toute l’année.
La femme désagréable qui s’était
adressée à lui, quelques instants plus tôt, l’observe toujours,
elle veut sans doute toujours découvrir ce que cet original a en
tête. En fait, elle n’est pas si idiote. Au moment où le
caddie hérissé de pointes se précipite sur elle, Honoré ne peut
s’empêcher de crier pour l’avertir, mais c’est trop tard. Elle
ouvre grand la bouche quand un long dard la transperce, son corps
s’affaisse sur le sol où elle gémit en se tenant le ventre.
Le caddie meurtrier se tourne alors
vers Honoré et son propriétaire le pousse de toutes ses forces.
Tu n’m’auras pas salaud, tes
pointes tu peux t’les mettre où je pense !
Honoré se place prestement sur le côté
de son caddie, il le saisit d’une main et le fait basculer tout en
se recroquevillant pour passer dessous. Parfois, il est très utile
d’avoir une petite taille. Aussitôt le caddie retourné, il
s’arc-boute à l’intérieur pour le stabiliser. Il était temps,
car les pointes viennent le heurter violemment, mais fort
heureusement les minces parois en titane qu’il a pensé fixer à
l’intérieur font leur office et empêchent qu’il soit embroché.
Une seconde soulevé sur le côté, le caddie retombe, il doit
profiter de cet instant d’incertitude chez son agresseur pour
sécuriser la position, car son maigre poids ne suffira pas à
maintenir longtemps son caddie à l’envers. Il saisit alors les
deux ventouses suspendues par leur courroie et les fixe l’une après
l'autre au sol. Un nouveau coup de butoir manque de le renverser,
mais il tire sur les sangles tant qu’il peut, le voilà comme un
bernique fixé à son rocher. Il n’y a plus qu’à attendre.
Par deux ou trois fois fois on tente en
vain de le déloger, puis aucun nouveau coup ne survient. Honoré
dont le cœur bat à tout rompre, regarde par une des fentes qu’il
a aménagées. Le caddy hérisson est en train d’opérer un
demi-tour, car un caddie surchargé avec en son milieu un
marteau-pilon articulé est en train de le prendre pour cible. La
manœuvre d’évitement est trop lente, le marteau s’écrase sur
les pointes qu’il réduit en miettes, ainsi que le caddie, et son
propriétaire est disqualifié. Honoré qui suit toute la scène
comprend que ni son caddie renforcé ni les roues ne résisteront à
pareille attaque, il doit se préparer à filer. Pourtant, il attend
encore quelques instants parce qu’un long jet de flammes surgit de
la droite et arrose le marteau-pilon. Si l’engin est insensible au
feu, il n’en va pas de même de son propriétaire qui s’embrase.
Celui du caddie plein d’épines rit à gorge déployée et s’enfuit
prestement pour ne pas subir le même sort, il saute par-dessus la
femme qu’il a transpercée et qui tend inutilement sa main pour
être secourue.
Quel con je suis , je n’ai pas pensé
à ignifuger mon caddie ! Il ne faut pas rester là, si le
propriétaire du lance-flammes me voit, je suis cuit !
Honoré desserre les sangles et
désactive les ventouses, il redresse son caddie alors que le
lance-flamme le repère. Aussitôt il le reprend par la barre et
fonce vers les caisses du magasin, les grandes roues avalant les
obstacles quand de plus petites se seraient prises dans les tôles
arrachées et les membres déchiquetés des infortunés clients. Son
choix était judicieux. C’est tout juste s’il remarque une large
roue dentée qui au passage essaye de le découper. Soudain, il sent
une vive douleur au postérieur, quelques gouttelettes de l’huile
inflammable ont dû l’atteindre et lui brûlent les fesses, il
saute d’un geste vif dans son caddie qui dépasse déjà la ligne
d’arrivée puis s’immobilise. Un employé se précipite vers lui et
utilise un extincteur à eau pour asperger son pantalon, une hôtesse
le félicite et lui souhaite la bienvenue dans le magasin. Les soldes
cette année, il faut vraiment les mériter. Il a eu chaud aux
fesses, mais bon. Il pense à cette dame qu’il a vue se faire
embrocher en premier, le règlement interdit de secourir les blessés
qui ne peuvent pas sortir du champ de bataille par leurs propres
moyens. Il l’aurait bien mise dans son caddie, mais probablement
que lui-même et elle non-plus n’auraient pas survécu.
Pour profiter des soldes, il faut se
préparer, il n’y a aucune place pour l’amateurisme.
10) Le garçon mouton !
Préambule :
Tu as réussi à acquérir une jolie
maison Peter.
Je te remercie, mais c’est loin
d’être fini, il reste encore beaucoup de travail.
Quand même, seul un Anglais comme toi
pouvait avoir un gazon aussi parfait.
Ah ah ah ! Mais je n’ai aucun
mérite, viens plutôt voir de ce côté…
Peter emmène Frédéric
de l’autre côté de sa nouvelle maison en Bretagne.
Non ?
Mais si !
Mais non !
Mais si je t’assure !
C’est ainsi que Frédéric,
propriétaire des salons de coiffure portant son nom, eut une idée
de génie. Le soir venu, en dînant avec Peter et sa charmante
famille, il regardait parfois par la fenêtre ce qui fut un champ
plein de mauvaises herbes et qui désormais était un gazon régulier
et bien détouré, et plus il regardait, et plus cette idée germait
en lui, il n’entendait même plus ce que Peter et sa femme pourtant
si ravissante pouvait lui raconter. Il resterait cependant une
question d’ordre technique à résoudre qui l’empêcha la nuit
venue de trouver le sommeil...
Développement :
Félix est sur son trente-et-un, ce
jour est peut-être celui le plus important de sa vie, il a en effet
rendez-vous pour un entretient avec Frédéric Coupedur qui a
révolutionné le monde de la coiffure. En effet, Frédéric
Coupedur est de la vieille école, il tient toujours à rencontrer
personnellement les personnes qu’il va embaucher, se fiant
par-dessus tout à son intuition.
Aimez-vous les animaux
jeune-homme ?
Oui Monsieur.
Bien, bien, c’est très bien.
Félix donne déjà, croit-il, une
bonne impression au patron qui ne jette qu’un bref regard à son
CAP coiffure, mais ce dernier explique qu’il faut tout ou presque
réapprendre de son métier, que le plus important désormais est la
symbiose qu’il saura développer avec l’animal.
Comme un cavalier avec son
cheval ?
C’est exactement ça, tu peux dire aussi le
maître-chien avec son partenaire.
Partenaire ?
Oui, en quelque sorte.
Deux semaines plus tard, après une
formation accélérée, le jeune garçon coiffeur se retrouve face à
face avec son premier client qu’il fait asseoir pour verser la
lotion qui est indispensable. Il fait couler un peu l’eau pour
trouver la bonne température, en glissant les doigts dessous, puis
saisit le flacon vert où est écrit « douce herbe de la
prairie », 100 % naturel.
Vous savez, c’est la première fois
que je me fais couper les cheveux de cette façon.
Félix n’ose pas lui avouer qu’il
est son tout premier client, lui même est très stressé. En massant
lentement le cuir chevelu, qu'une mousse verte recouvre, il
retrouve un peu de sérénité et de confiance en lui. Après avoir
fait pénétrer cette lotion végétale totalement indispensable,
parfumée aux senteurs irrésistibles d’herbe fraîchement coupée,
il demande à son client de se lever pour rejoindre le second
fauteuil, puis va fièrement saisir le harnais accroché au mur. Il
harnache sur sa poitrine les sangles en cuir munies de fixations en
laiton patiné, il les ressert.
Un instant Monsieur je vous prie.
Félix sort de la pièce par la porte
latérale, il se dirige vers l’enclos où broute l’animal, son
partenaire doit-il désormais penser à chaque instant. Mais la bête
se fiche éperdument de lui, il doit donc passer derrière et la
prendre à bras-le-corps. Pendant qu’il le soulève de terre, le
mouton bêle tant qu’il peut, mais Félix finit par attacher
ensemble les deux harnais. Il fait alors irruption dans le salon de
coiffure sous le regard admirateur des clients ébahis.
Son premier client, qui a sur la tête
de longs cheveux hirsutes où glissent quelques bulles vertes,
réclame une coupe en brosse, Félix règle donc en conséquence la
butée qui va déterminer la distance des incisives. Les premières
secondes sont laborieuses car le mouton tourne la tête et ne veut
rien savoir. Finalement, une bonne odeur d’herbe a raison de son
obstination, il renifle tout d'abord la tête du client, paraît
satisfait, et se met à brouter de manière effrénée et saccadée.
Quand la coupe est commencée, il est difficile de l’arrêter.
Parfois, au cours du mouvement des incisives exercé de gauche à
droite, Félix est obligé de tirer le mouton en arrière, alors
celui-ci pousse tant qu’il peut sa tête en avant pour ne rien
rater de l’herbe qui lui semble délicieuse, et les sangles
craquent. Il faut alors tout le doigté du garçon coiffeur qui
maîtrise l’animal, et l’appétit de ce dernier, pour réussir en
un temps rapide une coupe impeccable.
Immédiatement, Frédéric Coupedur
avait compris qu’il y aurait un problème avec les cheveux. Le mouton étant herbivore, lui faire
manger des cheveux humains aurait sans doute le même effet que la
viande pour les vaches. Ces dernières devinrent vraiment cinglées
et un mouton cinglé pourrait s’en prendre aux clients, cela ne
serait pas bon pour le commerce. Fort heureusement, une seconde idée
de génie germa dans la tête de Frédéric Coupedur, il se souvint
avoir vu que les vaches à hublots de l’Agroscope de Grangeneuve,
en Suisse, présentaient une large ouverture permettant d’accéder
au bol alimentaire afin d’en analyser le contenu et de prélever
des échantillons, il suffisait simplement de passer le bras dans le
trou. C’est ainsi que naquit le premier mouton, non pas à trou,
mais à tiroir qui permit de lui enlever le bol alimentaire avant
qu’il ne se mette à ruminer. Il n’est pas bon de laisser un
mouton ruminer, cela peut le déprimer. Ainsi, Félix vida le contenu
du sac qui était plein des cheveux du client, et le remit, il ne lui
restait plus qu’à dégager les oreilles !
Bien dégagées derrière les oreilles
Monsieur ?
Oui, s’il vous plaît, c’est
parfait comme ça.
Félix est très content de lui, tout
stress l’a quitté, finalement il n’y avait aucune raison
sérieuse de s’angoisser. Le mouton reprend son repas fictif avec
toujours le même entrain méthodique, cependant l’oreille est la
partie la plus délicate puisqu’il doit saisir les cheveux du bout
des lèvres, à environ un centimètre des racines, et couper net.
Mais soudain, le client hurle, le mouton s’arrête et se fige ainsi
que Félix, tous deux se regardent simultanément dans la glace en
ouvrant grand leurs yeux. Le mouton tient à cet instant entre ses
incisives un bout de l’oreille du client, quelques gouttes de sang
rouge perlent, il claque la langue plusieurs fois tout en regardant
de manière discrète vers le plafond, semblant goûter ce met
totalement nouveau pour lui, mais recrache le tout aussitôt. Félix
recule alors que le client se pose une main sur l’oreille qui
saigne et vocifère des obscénités.
Mais qu’est-ce qui m’a fichu un
coiffeur pareil ?
Pardonnez-moi Monsieur, je, euh, nous,
mon mouton et moi, sommes vraiment désolés !
Je vais faire en sorte que ce mouton et
vous finissiez à l’abattoir !
Finalement Félix ne deviendra pas
coiffeur mouton, il devra se contenter de la paire de ciseaux. Après ce scandale, Monsieur Coupedur
aurait été bien mal avisé de le garder. Quant au malheureux mouton
qui a goûté au sang, il n’aura pas le temps de devenir fou, il
finira en côtelettes bien avant, suivant ainsi le destin des vaches
laitières et des chevaux de course recyclés. Le soir venu, Frédéric Coupedur
déambule en ville avec son épouse. Il est un peu triste car il
aimait bien ce garçon, mais le business est le business. Ils
regardent la vitrine d’un concurrent qui vient de s’installer, la
réclame vente tous les bienfaits de l’usage des robots tondeuse à
gazon.
Et ça t’en penses quoi ?
On parle de gens qui ont eu le pied
coupé, il aurait trop peur de trancher une tête.
Tu sais, moi je
préfère encore les méthodes naturelles…
11) Papy reprend le volant
!
Préambule :
C’est en 2017 que pour la première fois fut
approuvé par le Parlement Européen un rapport qui analysait les
conséquences juridiques de la présence grandissante des robots dans
la vie quotidienne, la députée socialiste luxembourgeoise Mady
Delvaux proposant notamment de leur octroyer une personnalité
juridique. Certes, comme pour les entreprises, il s’agissait de
corriger les effets pervers de la loi Le Chapelier de la Révolution
française qui, en supprimant les corporations, laissait les citoyens
démunis face de l’État. Certes les personnes morales sont
contrôlées par les hommes, cependant c’était sans compter avec
la progression fulgurante de l’intelligence artificielle qui,
aussitôt après qu’elle fut reliée au cerveau humain, acquit le
statut de personne physique. L’implantation des radars sur les
routes et l’abondance exponentielle des technologies apportant une
aide active à la conduite, aide qu’il était interdit de
débrancher, firent que l’informatique embarquée commença à
développer de l'autonomie, quand le conducteur humain devenait de
plus en plus semblable à une machine, exerçant des gestes
programmés et automatiques. Ainsi, quand l’intelligence
artificielle apprenait et gagnait en efficience intellectuelle, celle
humaine ne cessait de régresser à chaque instant, ce qui faisait
craindre à Stephen Hawking que la machine, devenue tellement
supérieure à son créateur, l’extermine un jour prochain : «
L'intelligence artificielle pourrait mettre fin à l'Humanité ».
Mais n’était-ce pas ce qui était prévisible dès 2017 avec la
conduite de la voiture qui consistait à suivre scrupuleusement les
indications des panneaux, c’est-à-dire sans qu’il soit besoin de
réfléchir ni de penser, atrophiant toujours davantage les cerveaux
incités à la passivité, de crainte d’avoir une amende ou un
retrait de permis.
Développement :
Adrian et son grand-père Richard
franchissent le seuil de la somptueuse concession automobile. Un androïde féminin vient aussitôt à leur rencontre, il ne
s’agit pas d’un de ceux de la première génération qui avaient
seulement l’apparence humaine au-dessus de la ceinture, puisqu’ils
étaient destinés à demeurer fixés à un comptoir. Cette machine
avait de longues et fines jambes et ses chaussures à talon
claquaient sur le carrelage, selon un rythme saccadé et
parfait. Un parfum enivrant emplit l’air.
Bonjour
Messieurs, bienvenue dans notre hall d’exposition ! Puis-je
vous aider ?
Bonjour … Madame
! Oui, je viens avec mon
grand-père, il serait intéressé par un modèle qui se
conduit encore. Je pense que vous en avez toujours.
C’est exact Monsieur, mais il s’agit d’un de nos derniers
modèles de ce type, vous n’ignorez peut-être
pas que les nouvelles normes imposent dès la fin
de
cette année la vente de voitures entièrement automatisées
pour une conduite sans accident. Je peux vous
affirmer que notre marque détient l'avance
technologique dont tous nos nouveaux modèles bénéficient.
Le grand-père d’Adrian tousse et se racle la
gorge. Il se fiche de la sécurité absolue, il va bientôt
avoir 62 ans, c’est l’âge à partir
duquel Jacques Attali prônait l’euthanasie, sachant qu’à
cet âge avancé un homme ne produit plus et coûte donc cher
à la société, et que donc, selon la logique
sociale de la liberté, la liberté fondamentale c’est le
suicide. Fort heureusement, il ne s’agit pas encore tout
à fait de Soleil vert, film d'anticipation américain réalisé par
Richard Fleischer et sorti en 1973, puisqu’il avait souscrit une
assurance privée lui accordant de vivre jusqu’à 70 ans et de
choisir le suicide de son choix, l’État mettant gracieusement à
disposition des chambres à gaz individuelles. Pour les plus
fortunés, la mode était à la décapitation en famille, un
moment solennel d’une grande intensité, avec la tête
conservée dans le formol et posée sur le buffet campagnard.
Que
voulez-vous dire par entièrement automatique ?
Il n’y a
plus de volant ni de pédale, et la vision de la
route est masquée pour réduire le stress.
Mais c’est charmant.
Oui, vous pourrez ainsi librement écrire
et envoyer vos SMS et communiquer sur Facebook.
Le visage de l’hôtesse est rayonnant, elle lui adresse le sourire
irrésistible conçu par le bureau d’étude des
psychologues et morphologistes.
Des
SMS et face de bouc, qu’est-ce donc encore
que cette nouvelle diablerie ?
Le visage
synthétique reste hermétique et figé pendant que le
processeur tente de décrypter cette dernière remarque
du client qui est absente de la base de données. Enfin, le
programme reprend vite le dessus, l’hôtesse conduit les clients
devant une voiture rutilante.
Voici notre dernier modèle à
conduite traditionnelle, mais nous vous recommandons les véhicules
entièrement automatisés qui le remplacent avantageusement.
Non merci Madame, sauf votre respect je ne laisserai pas une machine
conduire à ma place !
Voulez-vous connaître notre choix d ‘options ? Vous
pouvez personnaliser votre voiture afin qu’elle vous corresponde
de manière la plus parfaite possible. Il vous est possible de
choisir la couleur des rétroviseurs et celle du volant, le choix
des options permet toutes les configurations que vous souhaitez, car
la satisfaction du client est toujours notre premier critère.
Adrian jette un œil au tableau de bord digne d’un avion de
chasse, son grand-père fait la moue.
Où sont donc passés les pare-chocs avant et arrière
Mademoiselle ?
Il n’y a plus de pare-chocs Monsieur, mais
le véhicule est équipé des radars avant et arrière, et les
obstacles latéraux sont signalés à l’ordinateur de bord qui
vous en informe à son tour.
Et qu’est-ce qui va protéger la
caisse des éraflures et des chocs dans les parkings ? Vous voulez
donc faire dépenser de l’argent ? Et c’est quoi ce truc en
plastique qui dépasse ?
Il s’agit des feux diurnes, Monsieur.
Des feux diurnes ? Qu’est-ce que c’est que ce truc encore ?
C’est pas pour faire joli ?
Le robot regarde droit devant
lui, son regard devient bleu, il récite donc
un texte réglementaire :
Les feux diurnes sont encore appelés feux de jour. Il s’agit d’un
dispositif d'éclairage de lumière blanche à l'avant d'un
véhicule et qui est destiné à une plus grande sécurité,
grâce à une visibilité accrue. Règlement n°48 de la Commission
économique pour l’Europe des Nations unies (CEE-ONU) —
Prescriptions uniformes relatives à l’homologation des véhicules
en ce qui concerne l’installation du dispositif d’éclairage et
de signalisation lumineuse.
Mais si vous éclairez le jour, j’espère que vous n’avez
pas supprimé les feux de nuit !
Le grand-père fait discrètement un
clin d’œil à son petit-fils, il pense avoir rabattu son caquet à
ce tas de ferraille, c’est peine perdue.
Non Monsieur, il n’est pas prévu de supprimer les feux de nuits.
Vous en êtes certaine, il n’y a aucun doute à ce sujet ?
Si
vous voulez de plus amples informations, je peux appeler le
directeur.
Quelques instants passent, un
vieillard d’au moins 60 ans se dirige vers le grand-père et son
petit-fils, il a suivi la scène de loin et semble s’en être
quelque peu amusé. Il tire sur sa moustache.
Vous êtres une machine vous aussi ou bien un
être humain ?
Je suis un être humain et c’est ma
dernière année ici comme directeur. Je vais être
remplacé par un modèle d’androïde spécialisé dans
la programmation neuro-linguistique. Je dois dire que je
ne supporte plus ce cirque. Vous et moi voyez-voussommes
d’une époque désormais révolue.
Dites-moi, vos clients, ils réfléchissent aux feux qui remplacent
les pare-chocs ? N’est-ce pas fait pour leurs soutirer
constamment de l’argent ? Si, mais pour répondre à votre
question, il y a longtemps qu’ils ne réfléchissent plus. Tout a
été fait pour leur enlever la capacité de penser par eux-mêmes.
Vous comprenez, il fallait bien les préparer à l’utilisation des
nouvelles technologies. Un jour, et c’est moi qui je vous le dis,
les voitures rouleront sans aucun passager !
Soudain, le
directeur jette un regard circulaire pour voir si une oreille
discrète ne traînerait pas.
Pourquoi donc ?
Parce que les êtres humains ne sont plus indispensables. Regardez,
dans ce modèle il n’y a déjà plus de rétroviseur parce qu’il
paraît qu’ils perturbaient l'attention du conducteur, quand
bien même le code de la route stipulait de se retourner tout en
roulant pour vérifier les angles morts !
Comment fait-on
alors ?
On ne fait plus cher Monsieur, c’est l’ordinateur de bord qui
gère et envoie un signal aux voitures qui roulent derrière, grâce
aux capteurs et aux caméras embarquées. Y en a tout un arsenal de
guerre. On dirait que vous ne vous tenez pas au courant du progrès…
Après avoir rempli les formulaires administratifs, et payé
avec la puce implantée dans la main, Adrian et son grand-père
repartent à bord du véhicule de démonstration sur lequel le
directeur a accordé une importante remise. Le poste de
radio obsolète de pépé ne s’adaptera plus
jamais, il est placé dans le coffre pour ne pas risquer
une amende. Les mains posées à plat sur le volant, Richard
choisit de prendre des routes secondaires pour s’habituer et
prendre ses repères. Adrian et lui ont désactivé tout
ce qui étaitlégal d’éteindre, seul l’écran
central reste en veille avec le visage synthétique de
l’intelligence artificielle qui adapte son expressivité en
fonction de son analyse de la conduite, ne manquant sans
doute pas de signaler les éventuels manquements à la police.
Attention, vous en êtes à trois manquements de catégorie 1 du
code de la route, je vous rappelle qu’au cinquième manquement le
véhicule sera immobilisé en attente de l’intervention de la
police ! Voulez-vous passer immédiatement en conduite
automatique ? Ce mode est recommandé.
Cette fois-ci Richard a un coup de
sang, il freine brutalement et immobilise la voiture sur le bas-côté
de la route, l’écran s’illumine aussitôt, le visage prend une
mine sérieuse.
L’arrêt sur le bas-côté est interdit, sauf en cas de panne
mécanique ou de malaise, voulez-vous que j’appelle les secours ?
Un pré-bilan est conseillé en pareille situation.
Ta gueule la
machine, tu peux pas nous foutre la paix une seconde ?
J’ai
envoyé les données GPS, votre comportement laisse supposer un
traumatisme ou la consommations de substances interdites.
Conformément au droit international, est considéré comme un délit
toute agression ou insulte qui porte atteinte à l’honneur d’un
robot.
Je t’en foutrais moi des raisons d’avoir un traumatisme, tiens
prends ça dans ta gueule !
Le grand-père saisit un
tournevis et en assène avec rage des coups répétés sur
l’écran.
Mais grand-père, il s’agit de la loi Alain
Bensoussan !
Un grésillement est suivi d’une
mince fumée noire qui s’échappe de l’écran tailladé.
Un
large sourire illumine alors le visage ridé du
grand-père, il se cale au fond de son siège, les bras
tendus et les mains serrant fermement le volant, il expire l’air retenu dans les poumons.
Mais une nouvelle voix, cette fois-ci masculine et martiale, se fait
entendre dans l’habitacle.
Ceci est un homicide, vous êtes
priés de rester dans le véhicule et de revêtir le gilet
orange.
Un homicide, mais que signifie cette pitrerie ?
Tu ne sais donc pas grand-père ? Les ordinateurs comme les
machines intelligentes ont obtenu le statut de personne physique,
toute agression ou insulte à leur encontre est un acte criminel.
D’accord Adrian, j’ai compris, je sors de ce tas de merde que
vous appelez voiture.
Le grand-père se redresse dans son
siège, il fait bien attention d’utiliser, comme il
l’avait appris, sa main droite pour ouvrir sa
portière,car la caméra embarquée l’observe en
permanence. Son petit-fils le retient aussitôt par le
bras.
Non grand-père, on n’ouvre plus la porte de cette
manière ! Attends, je vais te montrer !
Adrian pivote sur son siège
pour se retrouver face à la portière, genoux plaqués contre
la poitrine, ainsi que l’administration l’a
déterminé après un rapport du comité
d’experts de la sécurité routière. Il lève la jambe
droite et appuie du bout du pied sur la commande... Mais la portière est verrouillée, elle
ne s’ouvre donc pas. Comme un rat pris dans une
souricière, Richard s’agite et tente de forcer
l’ouverture de sa portière. La voix martiale retentit une
nouvelle fois :
Je communique à la police une
tentative de délit de fuite, vous êtes passible de dix ans de
prison et de la privation à vie de votre droit de conduire !
Cette
fois-ci c’est clair Adrian, les machines veulent vraiment notre
peau à tous !
12) La buvette à Marsel
!
Préambule :
Les casses de
voitures rappellent les cimetières. Cependant, qu’il
s’agisse de créations purement mécaniques, remplacées constamment
par
de nouvelles pour favoriser la consommation de masse, cela
exacerbe le côté illusoire de l’existence,
car en est absente la quête métaphysique.
Les voitures rouillées et déglinguées renvoient
ainsi une
image réaliste, elles
témoignent de l’illusion de nos vanités oxydées par
l’inexorabilité du temps qui passe : nul n’est
indispensable ! Les casses de voitures accidentées ou
périmées figent le temps à proximité
du trafic qui entretient l’apparence de l’état éphémère
qui perdurerait indéfiniment. Les tôles rouillées ont
beaucoup à nous apprendre sur ce que nous sommes, et bien
plus
encore.
Développement :
Il faisait très chaud, Max roulait sur une
route nationale qui menait à l’échangeur
d’autoroute le plus proche. Le trafic était fluide.
Malgré la climatisation, la sueur lui coulait dans le dos et
collait à la peau sa chemise en coton. Il pensait s’arrêter
sur une aire d’autoroute, mais il remarqua la longue caravane en
aluminium ondulé qui était stationnée à l’endroit
d’un grand carrefour. Au-dessus de l’antique caravane
était fixée une enseigne en néon bleu ou l’on
pouvait lire « La buvette à Marsel », avec une
faute de français. Quelques tables rudimentaires et des chaises
pliantes étaient déployées sur le pourtour. En
face, de l’autre côté du rond-point, on pouvait voir l’espace
chaotique d’une casse de voitures d’où pouvait provenir cette
antique caravane non dénuée de charme. Max arrête sa voiture
sur le parking séparé de la route par une fine bordure
recouverte d’une herbe jaunie précocement en ce début
d’été, il coupe le contact. Il sort lentement, s’étire
et porte la main à son front pour masquer le soleil qui bien que
haut dans le ciel l’aveugle. Il est déjà 13 h 30, une
petite pause ne sera pas de refus. Quelques clients sont
attablés, une famille de britanniques ingurgite des assiettes de
frites avec des sodas, les enfants déjà trop gras pour leur
âge le regardent avec insistance puis reprennent leurs jeux.
Max se dirige vers la caravane et s’adresse au bonhomme qui
finit à cet instant de servir le client que le
précède et qui s’en retourne.
Puis-je avoir un double café allongé et une bouteille d’eau
minérale s’il vous plaît ?
L’individu paraît insignifiant, il a un visage verdâtre un
peu trop rond et des yeux globuleux, il porte une blouse
blanche maculée de quelques tâches de graisse. Il rappelle à
Max un batracien, enfin ce que serait un homme qui serait un
batracien. Sur sa droite des saucisses sont en train de
griller, il les retourne une par une avec une fourchette,
puis, lentement, lève un regard vitreux vers
Max.
Mais certainement Monsieur.
Max choisit une place à l’ombre, sous un parasol, mais les
rayons du soleil semblent transpercer le tissu
bariolé, heureusement qu’il y a un peu d'air. Il
rajoute de l’eau minérale à son café déjà
allongé et se cale sur la chaise en détendant ses jambes
ankylosées par trop de route. Les enfants ont
vraisemblablement bu trop de sodas, avec cette chaleur ils sont
rouges comme des pivoines, ils harcèlent leurs parents
pour qu’ils leur offrent des glaces. C’est stupéfiant
les effets sanitaires de cette malbouffe industrielle, si
Max était au pouvoir il oserait s’attaquer aux lobbies sans
conscience de l’industrie agroalimentaire. Quel marchand aura
un jour assez de grandeur d’âme pour proposer des frites
biologiques ? Quels parents seraient prêts à payer plus ?
Bientôt 14 h 00, il va falloir reprendre la
route, surtout que le restaurateur le toise de
manière peu avenante, comme on jauge une
marchandise. Les Anglais sont les derniers clients, la
maman emmène ses trois gamins aux toilettes mobiles installées derrière la caravane.
Au moment où
il arrive à sa voiture, Max voit un véhicule de dépannage rentrer
sur l’aire, il lui semble reconnaître celui délabré
qu’il observait garé à l’entrée de la casse et
qu’il prit pour une épave. L’engin se rapproche de la voiture
des britanniques et avec zèle deux hommes, qui ressemblent comme
des frères à celui de la buvette, entreprennent d’accrocher la
voiture pour la hisser sur la plate-forme. La famille s’est
probablement retrouvée en panne et elle a eu la chance de pouvoir
s’arrêter ici. Il y a parfois des coïncidences heureuses.
Max met le contact et immédiatement en fonction la
climatisation. Mais le volant est brûlant. Il
décide donc d’attendre quelques minutes en se garant un
peu plus loin, à l’ombre d’un vieux platane. Ce
qui l’étonne, c’est de ne plus avoir revu le père et que la
voiture des Anglais soit ainsi emportée sans que la maman ni les
enfants ne soient encore ressortis des toilettes. Ce qui est
étrange, c’est que la dépanneuse emmène la voiture en panne
dans l’enceinte même de la casse. Mais Max se
laisse emporter par son imagination débordante, il a en mémoire
cette histoire véridique du Moyen Âge où un barbier
de
Paris assommait ses derniers clients
qu’il faisait passer au boucher par un souterrain. Ce
boucher fournissait la dépendance de l’évêché et
les religieux furent excommuniés et bannis. Il y eut également au
XIVe siècle cet Écossais affamé qui répondait au nom de
Tristicloke et qui volait des enfants et tuait des femmes pour
dévorer leur chair. Max doit être fatigué et abruti de chaleur,
c’est ce malaise qui doit le pousser à imaginer des choses qui
n’ont pas lieu d’être, car il a certainement dû ne
pas prêter attention à ce qui se déroulait en réalité et
son imagination s’emballe. Il décide donc de reprendre
ses esprits.
Max hoche la tête, il inspire à fond et démarre en
douceur, il passe la première puis la seconde et
s’engage sur le rond-point, laissederrière lui la
roulotte puis la casse. La présence d’une voiture
de police positionnée en périphérie du rond-point, et qu’il
n’avait pasencore vue, le rassure quelque peu. S’il y
avait quelque chose de louche, les forces de l’ordre ne
manqueraient pas de le découvrir. Max allait accélérer quand un
policier lui fait signe de s’arrêter. II pourrait peut-être
faire part de ses inquiétudes pour avoir la conscience tranquille.
Au moment où il baisse la vitre, s’attendant à devoir
montrer ses papiers, Max voit de plus près le policier qui
s’approche de la portière, il a derrière ses lunettes de
soleil le même visage rond que celui qui retournait les
saucisses...
La
gastronomie française est reconnue dans le monde entier, il
était ainsi peu crédible qu’elle ne finisse pas par attirer un
jour les visiteurs extraterrestres. Ceux-ci copièrent les habitudes des Terriens, même la restauration rapide
n’échappa pas àcette soif de découverte. C’est ainsi que des
petits vaisseaux, qui croisaient non loin du système solaire, prirent
l’habitude de faire une pause en s’arrêtant à la buvette à
Marsel. Bien entendu, pas plus que nous ne mangeons la nourriture du
bétail, sauf l’avoine, ces visiteurs n’ingurgitent les
frites ni les saucisses destinées aux Terriens, mais
ce sont ces derniers qui constituent leur metsde choix.
Comme pour le cochon où tout est bon, à condition qu’il soit
bien gras, l’homme est choisi en fonction de sa corpulence.
Ainsi le pauvre Max, si maigre, n’eut pas présenté le
moindre intérêt gastronomique si son comportement
n’avait éveillé quelque soupçon chez les gardiens du
site.
Si les hommes savaient, ils se méfieraient des restaurations
rapides situées à proximité des casses de
voitures. Quant aux sodas responsables de l'obésité des
jeunes, et de l’augmentation du diabète, la seule raison
censée pouvant expliquer la passivité du pouvoir
politique réside dans la capacité de l’entité
extraterrestre à orienter notre manière de nous nourrir.
Cela dit, il s’agit toujours de restauration rapide, et même
si elle est organisée par des extraterrestres, cela signifie
qu’une partie d’entre eux préfèrent une
nourriture moins moins grasse.
Une autre conséquence de
cette visite étrangère est l’implantation des
antennes-relais de la téléphonie mobile, leur
véritable raison d’être est de générer un brouillard
psychique qui cache à la vue des Terriens les parkings où se
posent les soucoupes volantes de toutes les couleurs et de toutes
les formes possibles. Quant aux casses, elles servent à effacer les
traces matérielles.
Non
loin, à vol d’oiseau du site, un groupe de terroristes
écologistes s’apprête à faire sauter une antenne-relais. Sur
l’autoroute qui passe au niveau de l’échangeur conduisant au
rond-point, une petite fille assise à l’arrière a le front et
les mains posées à plat sur la vitre, elle vient de voir un nuage
de fumée jaillissant d’un bâtiment gris. Elle ouvre tout
grand ses yeux ébahis.
Papa, Maman, regardez, y a plein des
soucoupes volantes !
13)
Mamie a les dents qui rayent le
parquet
!
Préambule :
Selon un terme savant, Homo
sapiens est diphyodonte, cela signifie qu’il a les
dents dites de lait puis celles définitives, alors
queles serpents, les geckos et les alligators sont
polyphyodontes, leur dentition est remplacée régulièrement au
cours de leur existence.Une équipe internationale de chercheurs
s’était donc posée la question de savoir si ce
processus pourrait un jour être transposable à
l’homme, considérant que la structure du palais de
l’alligator est relativement proche decelle des
mammifères. L’idée émergente fut celle d’activer des
cellules-souches afin de redémarrer un processus de
renouvellement. Ensuite, des chercheurs britanniques et
japonais associèrent des cellules humaines de gencive à des
cellules souches de dents de souris, pour finalement faire pousser
des dents humaines dans des reins de souris. En quelque sorte, cela
témoigne du fait que la fonction crée l’organe. Plus tard, une
équipe de scientifiques de l’université
de Harvard ont stimulé au laser les cellules-souches
situées sous la dent pour enclencher le processus de régénération.
Développement
:
Béatrice se redresse péniblement, sa mère
vient de frapper à la porte. Elle bascule ses jambes hors du lit et
ses pieds enfilent directement les chaussons posés sur la moquette.
Elle se met debout, force pour enfoncer ses orteils, et marche vers
la porte tout en s’étirant.
Maman, j’en ai marre, mamie a encore laissé traîner son
dentier dans la cuisine !
Le dentier de
mémé trônait entre le pain et
les pots de confitures, il trempait dans un verre et semblait
esquisser un sourire carnassier.
Tu n’as qu’à le déplacer Béatrice, tu sais bien que ta
grand-mère n’est plus dans l’appartement !
Mais c’est
dégueulasse maman ! Ça me coupe l’appétit à
chaque fois.
Pense plutôt à ta grand-mère qui est à la
clinique depuis hier soir et qui n’a plus ton âge. Quand tu auras le sien, tu verras bien que le dentier est le
cadet de tes soucis.
Mais maman, je suis certaine qu’elle le
laisse là pour me narguer !
La maman de Béatrice, Juliette, entre dans la cuisine, elle saisit
le verre et le pose sur l’étagère d’un placard dont elle
referme le battant. Elle le garde pour elle, mais sa
fille n’a pas tort.
Voilà, c’est réglé, tu es priée
de te servir ton petit déjeuner, moi il faut que
j’aille travailler. Je t’ai acheté des céréales enrobées de
miel, le paquet est sur le réfrigérateur, je t’ai aussi
préparé un chocolat chaudqui est posé sur la plaque de
cuisson. Au retour de mon travail je passerai à la clinique pour
prendre des nouvelles de ta grand-mère.
C'était une plaie d’entendre sa mère geindre à chaque instant
à propos de ses dents, plutôt de son dentier. Dès que
l’occasion lui en était donnée, c'est à dire dix fois par
jour, elle le laissait traîner rien que pour enquiquiner son monde.
Il ne faut pas croire qu’elle perdait la mémoire, ça
non ! C’était le grand désespoir de
Juliette quand les dentistes lui soutenaient à
chaque fois que sa mère avait naturellement un os en quantité
trop insuffisante et qu’il serait problématique de
poser des implants, de surcroît à cet âge où peut
intervenir une insuffisance cardiaque. Il y eut bien un
dentiste qui accepta, mais son sourire forcé et cette manière
de se frotter en permanence les mains ne lui inspirèrent
pas confiance, jusqu’au jour où elle reçut un appel
téléphonique de son propre dentiste. Un collègue, un
praticien de grande renommée et tout à fait compétent et
recommandable, lui dit-il, un chirurgien-dentiste
qui participait aux derniers tests cliniques validant une
nouvelle thérapie dentaire totalement révolutionnaire. Surtout,
il prenait en charge les clients gratuitement. Ce n’est pas la
complémentaire de sa mère qui pourrait permettre de se payer des
extras ! C’est une belle chance à saisir,
lui affirma-t-il encore. Elle se laissa convaincre. Sa
mère retrouverait le sourire ravageur de sa prime jeunesse, et
elle, elle aurait enfin la paix ! Elle n’aurait surtout plus
besoin de faire refaire constamment le dentier que le chien Cubitus
trouvaitfacilement et rongeait comme un os. Le pas était
franchi, et c’est une mémé réparée qui revint. Au fur
et à mesure que les semaines passaient, les dents de mémé
poussaient. Rien ne changea au début, si ce n’est que mémé
devait manger sa bouillie à la petite cuillère et qu’il fallait
lui couper très petit les morceaux de viande afin qu’elle puisse
les avaler.
Est-ce que tu crois que mes dents de lait vont tomber ?
Non
maman, il s’agit uniquement de dents
définitives !
Eh bien c’est bien
dommage !
Et pourquoi donc maman ?
Parce
que j’aurais pu faire comme toi ma petite chérie, tu ne te
rappelles donc pas tu avais placé ta dent de lait sous
ton oreiller, et que la petite souris était venue la
chercher ?
Enfin, maman, ce n’est plus de notre âge.
Eh
bien c’est bien dommage ! La petite souris ne va pas
être contente !
Mémé se regardait chaque jour dans la glace pour vérifier sa
métamorphose, elle se campait devant chaque invité, même le
facteur, et ouvrait tout grand sa bouche. Gare alors à
celui ou celle qui ne lui faisait pas des compliments ! Un
jour, mémé voulut même aller au bal.
Cela commença à inquiéter les voisins, il fallut enfermer
mémé dans l’appartement. Autre changement inattendu, le chien ! Le chien Cubitus
commença à poser des problèmes, il hurla à la
mort et déguerpit la queue entre les pattes quand mémé lui montra
ses petites dents tout juste écloses, des quenottesencore
menues. Il commença par dévorer les journaux
et les revues People posées devant le canapé, puis
il s’attaqua aux livres des étagères, enfin il arracha des
morceaux de papier peint et ne laissait que des miettes du courrier.
Maman, ce n’est plus possible, Cubitus a arraché des pages de mon
cahier de math !
Tu n’as qu’à le ranger, Béatrice, je
ne vais pas faire piquer Cubitus tout de même !
Mémé ne cessait d’inquiéter également, car à la vue du
moindre morceau de fromage ses pupilles se dilataient et il fallut
mettre un cadenas sur le réfrigérateur et sur la cloche à
fromage. Juliette voulut avancer le rendez-vous avec le dentiste,
mais il était parti en vacances. Deux semaines plus
tard il avait pris sa retraite. Elle voulut retourner à
la clinique, mais elle avait fermé. Elle amena sa mère chez
un confrère, mais ce dernier la traita de folle et menaça
de la dénoncer. Les choses s’aggravèrent quand elle découvrit un matin son chien
mort et exsangue, puis quand sa mère attrapa le bras
de Béatrice qui s'apprêtait à mettre dans la bouche
une tartine de chèvre frais.
Les petites dents de mémé étaient
devenues des petits crocs bien pointus qui s’enfoncèrent
dans l’avant-bras de sa petite-fille. Juliette dut conduire
sa fille qui hurlait de douleur à l’hôpital.
Maman,
je ne veux plus rester ici, elle est folle, j’ai demandé
à papa de m’emmener chez lui !
Juliette était dépassée par les
événements. Tout d’abord le chien était devenu fou, puis sa
propre mère avait mordu sa fille. Mais son visage se déforma
d’horreur lorsqu’elle surprit en pleine nuit sa mère de
dos qui, à quatre pattes dans le canapé, arrachait à
pleines dents la mousse de garniture des coussins. Elle recula
en douceur, vers la porte entrebâillée, mais
heurta malencontreusement le guéridon dont le vase qui était
posé dessus vacilla et s’écrasa au sol. Sa mère, ou plutôt
cette chose, se retourna, ses petits yeux étaient noirs et ses fines
dents blanches étincelèrent à la lumière qui venait du
couloir. Mémé poussa un cri suraigu. Juliette eut juste
le temps de repousser la porte et de la barricader en poussant
la commode devant. Il ne lui restait plus qu’à aller au
commissariat.
Il fallut attraper mémé à l’aide d’une
perche munie d’un nœud coulant en fil de fer. Quelque part
en Russie, des chercheurs ont fini par comprendre que si la
fonction crée l’organe, le contraire est tout aussi vrai, et
cela intéressa beaucoup les militaires. Il fut vite
compris qu’il y avait bien mieux que les cellules
souches de dents de souris, celles du tigre de Sibérie par
exemple. C’est extraordinaire comme la guerre favorise
l’innovation scientifique !
14) Une réserve naturelle
!
Préambule :
Robert et Frédéric sont assis sur
leur chaise face à l’océan, les pieds dans le
sable.
C’est reposant comme métier, c’est bon de se faire
dorer au soleil !
Ouais d’accord, mais les bras et les
jambes seulement, t’as pas le droit d’enlever le t-shirt.
Je
sais, mais quand même, c’est mieux que l’usine ou le bureau.
Ils
rient tous deux. Frédéric réajuste sa casquette, les
filles aiment beaucoup les uniformes.
Et puis c’est mieux
pour les filles !
Ça c’est sûr !
Ils rient de
plus belle.
Développement
:
Quelques mètres plus loin de fines vaguelettes s’amusent à
lécher le rivage, le sable mouillé fonce et s’éclaircit chaque
fois qu’elles se retirent, puis le cycle recommence. Sur leur T-shit vert est représenté un requin blanc sur fond de
lagon bleu. Ils avaient obtenu ce poste presque en même temps. Avant
cela Robert était vigile dans une société de surveillance et
Frédéric caporal dans la police municipale, ce taf rentrait donc
parfaitement dans leurs cordes. Ils avaient fait le bon choix,
d’un côté la société devient de plus en plus violente, très
proche de la guerre civile quand celle mondiale est plus que jamais
susceptible d’éclater, de l’autre l’écologie est à la mode.
Il faut savoir évaluer les risques et se recycler. Tant pis pour les
autres ! Il en va de même pour les nageurs qui prennent des
risques inconsidérés. Aucune place pour les imbéciles !
Robert scrute la mer avec sa paire de jumelles.
Je ne vois aucun requin, je ne sais pas pourquoi ils appellent ça
une réserve naturelle.
Attends, ils n’ont pas dit que c’était un aquarium non
plus.
Ouais mais quand même !
Soudain trois superbes filles arrivent de la gauche, elles longent
les vaguelettes qui effacent les traces de leurs pas au fur et à
mesure. Elles s’arrêtent là, à une cinquantaine de mètres des
surveillants, et entreprennent de se baigner. Une se mouille la tête
avec les mains quand une seconde court vers l’océan à grandes
enjambées, tandis que la troisième rit à gorge
déployée. Frédéric, l’ex-policier municipal, se lève
de sa chaise et saisit le sifflet qui pend à son cou par une fine
lanière, il le porte à ses lèvres et souffle un seul coup bref.
Les trois filles se figent et tournent un regard étonné vers les
deux surveillants de plage qu’elles découvrent.
Frédéric se déplace lestement vers les créatures de rêve, il
arrive à leur niveau légèrement essoufflé.
Bonjour
Mesdemoiselles ! Pardonnez-moi, mais il est interdit de se
baigner dans cette zone !
La plus blonde des filles le
regarde en écarquillant les yeux, car elle remarque son T-shirt et
l’image explicite du requin. Elle ouvre la bouche et le dégoût
déforme son visage, elle articule lentement :
Il y a
des requins ici ?
Frédéric n’en a pas vu, pas un seul
aileron qui frise la surface de l’eau, mais il profite des
circonstances pour impressionner les filles qui sont en face de lui.
Elles vont lui manger dans la main s’il sait bien s’y prendre. Il
prend une mine sérieuse. Oui Mademoiselle, c’est une réserve
de requins ici.
Je vois marqué sanctuaire sur votre T-shirt. Oui Mademoiselle,
c’est un sanctuaire de requins ici et…
Frédéric se redresse autant qu’il le peut
...ils sont dangereux, Mesdemoiselles, ce sont des mangeurs
de femmes, d’hommes je veux dire.
Et vous êtes là pour nous
protéger, c’est bien ça ?
Frédéric hésite une seconde.
Oui, moi et mon coll… copain
Robert, nous sommes également là pour ça !
Mais
soudain les filles éclatent de rire, elles se tapent sur les cuisses
et sautent sur place. Frédéric ne comprend pas ce qui se passe, il
se passe sa main dans les cheveux et fait tomber sa casquette. Une
des filles, la petite brune, reprend son sérieux, mord sa lèvre
inférieure et s’adresse à Frédéric tout en lui tendant la
casquette qu’elle a ramassée d’un geste vif.
Mais il n’y a
jamais eu de requin ici !
Soudain Frédéric entend sonner la cloche que Robert tape
furieusement avec un marteau, son collègue met les mains en
porte-voix et lui crie de se ramener. Il tourne des
talons.
Excusez-moi les filles ! ...
Que se passe-t-il ?
Robert
lui tend la paire de jumelles et lui désigne une zone sur l’océan,
à peut-être 300 mètres.Effectivement, Frédéric remarque
quelque chose, il fait la mise au point et voit enfin une petite
embarcation à la dérive. Un couple à bord donne de grands coups de
rames autour d’eux.
Regarde bien !
Frédéric scrute du mieux qu’il peut, car
sa vue est moins bonne que celle du vigile, pourtant il discerne
plusieurs ailerons qui font des cercles autour de l’embarcation, et
de temps en temps un des requins sort la tête de l’eau
pour tenter de mordre les boudins gonflables.
Tu connais la procédure ?
Robert hoche la tête et prend une
mine grave. Il monte les échelons de la chaise haute de plage et
s’installe, ensuite il demande à Frédéric de lui
passer l’arme de service. Bien assis, de manière méticuleuse,
il fixe le chargeur, arme, prend appui sur la
chaise et règle la lunette.
La fille brune s’approche de la chaise.
Vous allez tuer les
requins et sauver ces gens n’est-ce pas ?
Robert éclate
d’un rire nerveux, il hoche négativement la
tête.
Vous les touristes, vous croyez toujours que tout vous est
dû, c’est un sanctuaire ici ma petite !
Le vigile reprend
sa visée, son doigt appuie une fois, deux fois, trois fois sur la
détente, à chaque fois une douille est éjectée, qui fumante
retombe sur le sable aux pieds de la fille. Cette dernière a un
mouvement de recul, elle s’écarte de la chaise haute. Robert
vérifie dans la lunette de visée, au centre du réticule en croix
lumineux il discerne bien un des boudins qui finit de se
dégonfler. Le couple a vite basculé par-dessus bord et les requins
n’en n’ont fait qu’une bouchée. C’est du travail rapide et
précis, correspondant tout à fait à ce que l’on attend de
lui. Il regarde une dernière fois par acquit de conscience
professionnelle, il est rassuré en voyant l’eau rougie par le
sang. Elle est agitée à sa surface, les requins pris de
frénésie ne veulent pas perdre une seule miette !
Frédéric
pose la main sur la chaise de surveillance et regarde son collègue,
il tient la paire de jumelles par la sangle. Ce dernier lui
sourit, met la sécurité et repose l’arme sur ses cuisses. Il
était moins une, si le bateau avait dérivé davantage il serait
sorti de la limite du sanctuaire !
La fille blonde s’est rapprochée de la petite brune qui reste
immobile, comme tétanisée, elle est affreusement blanche et des
larmes coulent sur ses joues. Elle lui prend sa main qui tremble et
la regarde dans les yeux. Elle lève ensuite la tête vers Robert et
lui jette un regard noir.
Que lui avez-vous fait ? Vous
lui avez dit quelque chose ?
Qui ça nous ? Mais rien,
je vous assure, on fait juste ce pour quoi on nous paye !
Vous
avez sauvé ces pauvres gens au moins, les requins sont bien
morts ?
Robert et Frédéric se regardent et haussent les
épaules en même temps.
Là je crois qu’il y a méprise, nous
sommes chargés de protéger les requins contre toute forme
d’agression ! C’est désormais une espèce protégée
et ici c'est un sanctuaire ma petite.
Si les filles avaient pu filer encore
plus vite elles l’auraient fait, sans même jeter un regard en
arrière. Frédéric ne comprendra jamais les filles, il y a toujours
quelque chose qui cloche. Quant à Robert, il prend déjà goût au
métier. C’est son jour de chance, il repère un voilier qui vient
dans la direction de la réserve naturelle. Il n’y a pas à dire,
c’est formidable l’écologie ! Surtout, si des agents de
sécurité vous disent qu’une zone est dangereuse, il faut les
croire sur parole.
15) Le baroud d’honneur (inspiré
d’une histoire vécue) !
Préambule :
Certains l’ignorent probablement, mais il est permis en Suisse de
manger son chien et son chat. Devant des journalistes, un
paysan du Rheintal convint que manger du chien ou du chat n'a « rien
d'exceptionnel », « de la viande, c'est de la viande » dit-il, «
c'est insidieux, de poser une telle question » ajouta une femme du
coin, « sinon, nous ne devrions pas non plus manger du cochon !».
Elle n’a pas tort comme nous le verrons, car le cochon, où tout
est bon, est proche de l’être humain, tant au niveau de ses gènes
que de son sans-gêne. Une psychologue américaine, Melanie Joy,
désigna par "carnisme" le système de croyances qui conditionne les
gens à aimer les animaux de compagnie et à se régaler de ceux
élevés pour leur chair, elle différencia le carnisme qui
est l'êthos, c’est-à-dire la manière d’être
collective, du spécisme qui est un concept
philosophique normatif. Cependant, l’antispécisme
progressa dans les consciences et tendit à devenir la nouvelle
norme, il fallut que la Justice tranche : soit il fallait, pour
des raisons morales, faire interdire la consommation de viande
animale, ce qui aurait provoqué une révolution
sanglante, soit il fallait, pour le respect de l’éthique,
autoriser le cannibalisme, d’autant que l’humanisme, pour
exemple celui de Jacques Attali dans L’homme
nomade, prônait déjà l’euthanasie : « Dès
qu’il dépasse 60/65 ans, l’homme vit plus longtemps qu'il ne
produit et il coûte alors cher à la société ; il est bien
préférable que la machine humaine s’arrête brutalement, plutôt
qu’elle ne se détériore progressivement », ce qu’il
ne faut surtout pas confondre avec l’ignoble idéologie nazie
qui voulait se débarrasser des nuisibles, car il est bien
préférable de recycler ce qui est nuisible, afin d’en
tirer un profit et du plaisir.
Développement :
Il y a des régions où la
population aime particulièrement les bêtes, la péninsule
Ibérique est de celles-ci, en témoigne la tauromachie et le
bonheur d’assister à la mise à mort du taureau. Les
chasseurs également sont de grands amoureux de la nature, c’est
près de 50 000 lévriers qui chaque année, en Espagne, sont
abandonnés ou abattus par leur maître quand ils deviennent
inutiles, à la fin de la période de chasse. Il s’agit
d’une tradition ancestrale à laquelle notre ancien maître de
conférences en sciences économiques à Polytechnique nous
convie. De la même manière que le lévrier de course est
euthanasié quand il est blessé, nos parents doivent
être abattus dès lors qu’ils deviennent une charge pour la
société. Citons un paysan appenzellois qui mangeait
une fois par an de la viande fumée de chien, son chien :
J’ai besoin de chiens à la ferme, quand ils ne valent plus rien je
les mange !
Il en va exactement de même avec les
vaches laitières qui finissent transformées en steak,
manière de les remercier pour nous avoir donné tant de litres de
lait. Il faut pourtant reconnaître que l’Amérique
accélère ses exécutions des condamnés à mort quand les produits
mortels arrivent à péremption, les tuer c’est pour
la bonne cause, mais les rendre malades serait inhumain !
Tu es venu sans ta mère aujourd’hui ?
Paul s’est
approché de son ami d’enfance Ernest, il le toise les pouces
enfoncés sous la ceinture qui retient avec difficulté tout le gras
de son ventre. Ernest qui vient d’arriver est
décontenancé.
Ma mère ? Mais cela fait donc si
longtemps que ça que l’on ne s’est
pas revu ?
Paul lui fait signe d’entrer et le
débarrasse aussitôt de son manteau.
Elle
était bien ravissante l’année dernière, la
chirurgie plastique fait de ces miracles.
Ernest hoche négativement la tête.
Non, cela fait plus
de deux ans, on voit bien que tu n’es pas souvent
venu nous rendre visite.
Deux ans déjà ? Comme le
temps passe vite ! Et elle se porte bien ?
Non,
elle est décédée.
Paul prend une mine fort
contrite, peut-être trop contrite.
Tu m’en vois désolé Ernest. Cela dit c’est notre lot à
tous, elle est morte de vieillesse j’espère ?
Ah !
Ah ! Ah ! Non, pas de vieillesse, mais d’une
maladie incurable, j’ai dû demander au médecin de la piquer ! Tu
devrais savoir que plus personne n’a le droit de mourir de
vieillesse !
Paul prend un air dégoûté.
Ça c’est moche ! Quel gâchis ! Aller viens,
ce soir on fait la fête, j’ai invité des amis que tu
dois déjà connaître,certains tout au moins. Ils
vont être tous très heureux de te voir !
Sylvie
est assise un peu plus loin, sur une chaise, elle tient une coupe de
champagne à la main. Elle reconnaît immédiatement Ernest
et se lève prestement en lissant sa robe.
Ernest !
Paul ne m’a pas dit que tu serais là ! C’est un
véritable cachottier, un rustre aussi, n’est-ce pas
Paul ? Pour une surprise, c’est une surprise !
Elle se
plante devant Ernest et lui prend les mains.
Tu es toujours
aussi ravissante Sylvie.
Sylvie, particulièrement rayonnante,
se retourne vers Paul qui ne rate rien de la scène.
Dis-moi
Paul, c’est la surprise dont tu me parlais ?
Non, pas du tout, la grande surprise c’est pour ce soir et vous y
êtes tous conviés.
...
Il est 19 h 00 précises, le carillon de la pendule murale
sonne, Paul vérifie automatiquement l’heure à son poignet et tape
dans ses mains pour attirer l’attention de tout le monde.
Mes
chers amis, voici l’heure de la surprise !
Il sort une
longue clef enfouie au fond de sa poche et se dirige vers la double
porte qui termine le couloir, il l’introduit dans la serrure et la
tourne lentement sur la gauche, on entend un cliquetis
puis la porte s’ouvre sur une pièce non éclairée. Chacun se
rapproche en se demandant en quoi consiste la surprise, certains se
tiennent déjà sur le seuil et entreprennent de discerner quelque
chose. Paul, qui a le sens de la mise en scène, fait attendre ses
invités, puis, d’une manière très théâtrale, il appuie sur le
commutateur d’éclairage qui dans cette vieille demeure n’est pas
électronique.
Face aux invités, au fond de la grande pièce, sur
des chaises roulantes espacées de plusieurs mètres, se
tiennent assises deux personnes âgées. Elles restent
avachies et sont toutes deux reliées à un système
de perfusion continue dont on voit le flacon en verre
suspendu. La vieille femme ne bouge pas, elle est comme morte,
le vieil homme le paraît tout autant. Il eut fallu alors un
regard particulièrement avisé et être fin observateur
pour remarquer une des paupières qui se soulevait.
Je vous présente ma surprise, le repas de demain pour fêter
dignement mon anniversaire. Cela fait déjà deux années
que mes vieux ont dépassé l’âge limite, ils auraient
donc dû être déjà euthanasiés, vous me
pardonnerez alors facilement cette entorse au
règlement, d’autant que je sais que certains d'entre vous
n’ont plus mangé de viande depuis longtemps.
Une femme qu’Ernest ne connaît pas essaye alors de
franchir le seuil, Paul la retient par le bras.
Je voulais juste
toucher la marchandise, voir si c’est bien frais !
Non
Maryse, on ne touche pas à la marchandise, tu attendras demain comme
tout le monde.
Maryse se détourne vexée, Paul éteint la
lumière et tire derrière lui les deux battants de la
porte.
Paul n’avait pas pensé manger ses parents
comme cela se pratique de plus en plus dans les provinces où
l’antispécisme a fini par s’imposer. Le jour où les services
municipaux devaient venir chercher ses parents pour qu’ils soient
gazés par dioxyde de carbone, ils ne sont pas venus et il a
attendu sur le devant de la porte. Ils ne vinrent
jamais, il finit par comprendre que ses parents avaient
bénéficié d’une erreur informatique. La manière
de tuer ne faisait pas l’unanimité, ce gaz induit un essoufflement et une détresse
respiratoire, cette dyspnée active les régions du
cerveau qui sont associées à la douleur et
provoque la panique. C’est pourquoi les patients
devaient être attachés solidement par des sangles. On reconnaissait
facilement les véhicules qui pratiquaient l’euthanasie, car
ils étaient munis de grillage aux fenêtres et parfois le
personnel sortait pour vomir sur le trottoir. En effet, ce gaz mortel
accroît la respiration pour l’expulser, ce qui en retour en fait
assimiler toujours davantage. Plus tard, fut fait le choix des gaz
tels que l'argon ou l'azote qui induisent un manque d'oxygène. Un
net progrès dont notre civilisation peut être fière.
Paul
avait fait le choix de cette mort douce pour ses parents, il leur
devait bien ça. En retour, ils pouvaient bien lui faire
un dernier présent, un cadeau qu’il voulait partager
Tous les invités dormaient à l’étage. Jérémie comptait les
heures que lui communiquait l’horloge derrière la porte, il
avait décidé d’attendre 3 h 00 du matin pour agir. Il s’y était
préparé avec minutie, n’ayant plus d’autre projet, dans cette
vie qui lui échappait, que de faire payer leurs crimes à ces
monstres. Il alluma la petite lampe frontale qu’il avait
dérobée et entreprit de déplacer sa chaise roulante, ce qui
n’était pas une mince affaire. Ses mains osseuses et veinées de
bleu se posèrent sur les grandes roues. Tout d’abord aucun
mouvement ne se fit sentir, puis les axes grincèrent légèrement.
En premier lieu, il décida d’aller voir son épouse, elle avait la
tête penchée en avant et de la bave lui coulait de la bouche,
elle ne réagit pas quand il prononça son prénom. Sa pauvre
femme ! Il lui jura encore qu’ils allaient tous le payer
chèrement. Il aurait bien aimé déposer une baiser sur sa joue,
mais il n’en eut pas la force. Il déplaça donc sa chaise
roulante vers le placard où il avait caché la petite
boite que tantôt il était allé chercher dans le
garage attenant à la maison, une véritable
prouesse physique reconnut-il en souriant légèrement.
Heureusement qu’il avait le double de la clef ! Il
lui avait fallu endurer un calvaire et il ne pense pas
qu’il en aurait encore la force. Mais voilà, c’était
fait ! Il tendit une main tremblante et sortit la boite.
Il revint à sa place initiale, essayant de
ne pas laisser d’indice. Chaque geste devait
être exécuté dans l’ordre. Il se mit debout sur des jambes
qui flageolaient dangereusement, se retenant à la chaise du
mieux qu’il pouvait, puis il versa la poudre
contenue dans la boite dans le récipient en verre,
puis, totalement exténué et sujet aux
vertiges, il se laissa retomber sur le siège. Il ne
lui restait plus qu’à attendre. Sur la table,
dans un coin, il avait remarqué un gourdin et un sac
plastique. Comment seront-ils tués ? Peu importe, la
vengeance est un plat qui se mange froid.
Le repas fut un succès. Certes, les invités furent un
peu déstabilisés de voir ainsi les deux parents
de Paul rôtir à la broche, leur chair grésillait dans
la grande cheminée et le peu de graisse qu’ils
avaient encore gouttait sur les braises fumantes, mais en
fin de compte la viande avait encore du goût, ce qui est surprenant
si l’on considère son âge avancé. Il eut été peu délicat
de faire des reproches à Paul. Maryse fut ravie, elle se
servit trois fois. Quant à Sylvie, elle bouda la cérémonie
car elle était végétarienne,et elle n’avait d’yeux que
pour Ernest qui pour lui faire plaisir refusa ce
mets. Maryse, la bouche pleine et un peu jalouse, se moqua
ouvertement d’elle.
Ma chère, tu ne sais pas ce que tu
manques !
T’inquiète, tu es plus vieille que moi et je
viendrai te manger pour voir alors ce que je manque !
Maryse
recracha ce qu’elle mâchait et rentra chez elle sans demander son
reste, décidément Paul devrait mieux choisir ses amis ! On ne la
revit plus jamais, comme presque tous les invités.
Quelques jours plus tard, Paul ne se sentit pas bien, il était
fatigué et son cœur battait trop vite, il
eut rapidement des saignements de nez et se tordait de
douleur. Il était rempli d’hématomes sans le savoir. La
viande était-elle avariée ? Il en doutait car ses parents
avaient été cuisinés aussitôt après que la mort fut
constatée. Il retourna en titubant dans la pièce où il
gardait ses parents, pour essayer de comprendre et son pied
buta contre une boite métallique qui roula sous la commode et
s’immobilisa. Au moment où il se pencha pour la
ramasser, il eut un malaise et s’effondra en s’étalant sur
le sol. Juste avant de perdre conscience, la tête posée sur le
côté, il eut le temps de lire l’étiquette collée sur la
boite, une tête de mort était dessinée, il était écrit
« mort aux rats ».
16) Ne comptez pas sur l’État pour le faire à votre
place !
Préambule :
Les cinq membres de l’association
étaient assis en cercle sur des chaises métallique, une
lumière blafarde tombait du plafond. Un psychologue, assis
également dans ce cercle, avait invité chacun d’eux à
parler librement de sa propre expérience et à extérioriser la
souffrance dont il ne devrait jamais avoir honte.
L’objet de cette association était de permettre à
ses membres de devenir abstinents et de le rester, le désir
d'arrêter de créer étant la seule condition pour en être membre, car il
n’était jamais demandé de cotisation ni
de droit d’entrée. L’envie obsessionnelle
d’entreprendre est une maladie caractérisée par une perte du
contrôle qui conduit à des situations dramatiques et ruine des
existences. Comme toute autre addiction, qui nuit à la santé et au
comportement relationnel, la soif de créer est une maladie
émotionnelle et psychologique autant que physique.
Georges sort du local de l’association et descend les trois
marches en béton, à l’entrée c’est à peine si l’on
remarque la petite enseigne où est écrit sans fioriture
Entrepreneurs Anonymes. Les autres membres, qui s’étaient
réunis ce soir, passent dans son dos et filent discrètement comme
si la honte les tenaillaient au ventre, le psychologue bénévole
lui fait un signe de la main et s’éclipse aussitôt. La ruelle
est désormais déserte, si ce n'est un chat famélique qui gratte
le contenu renversé d’une poubelle. Le chat regarde un instant
Georges puis reprend sa tâche laborieuse. Les lampadaires
viennent de s’allumer.
Georges se laisse choir dans son
fauteuil. Il contemple les cartons empilés contre le mur où lui et
sa femme ont mis toutes leurs affaires, puis regarde à ses pieds le
plancher synthétique de mauvaise qualité qui se déforme quand on
marche dessus. Autrefois les gens ruinés montaient dans les étages,
pour finir sous les combles au milieu des rats et avec la pluie qui
s’infiltre à travers la toiture, aujourd’hui on vend sa maison
pour aller vivre dans un appartement ou un logement social, à moins
que ce ne soit le trottoir en tant que SDF. Il n’est cependant pas
évident de devenir SDF, certaines villes ont imaginé le mobilier
urbain qui rend la vie impossible ! Mais quand la vie est
impossible, pourquoi s’acharner à vivre ? Probablement à
cause de cet instinct qui pousse à entreprendre.
C’est sa femme qui l’avait poussé à aller voir l’association
Entrepreneurs Anonymes. Elle avait hurlé et pleuré. Il
avait donc fini par céder.
Tu vas y aller ! tu m’entends bien cette fois ?
Si tu
veux ma chérie.
Non, il n’y a pas de chérie qui tienne et ce
n’est pas si je veux.
Si tu veux ma chérie.
Georges avait hypothéqué leur belle maison
pour maintenir à flot son entreprise quelques
mois encore. Bien vaine espérance ! La faillite semblait
inévitable, mais il croyait encore dans la
réussite. Pour non-remboursement de sa dette, la
banque saisit alors la maison et la fit vendre aux enchères, on ne
lui ouvrit plus la porte quand il sortait de sa banque et la
banquière était toujours en rendez-vous. Pourtant
il avait de la chance, la jolie maison qu’il tenait de l’héritage
de sa femme fut vendue pour une coquette somme, il en récupéra
ainsi une part suffisante pour acheter ce petit appartement et aussi
mettre de coté le strict minimum qui lui permettrait de se
refaire. Mais cela il ne devait pas le dire à sa femme,
pas encore, du moins pas avant que la chance ne revienne enfin.
C’est certain, le démon de l’entreprise le possédera
toujours...
Pourtant les semaines passèrent et les nouvelles affaires ne furent
pas bonnes, le dernier projet s’enlisant et l’argent investi
étant entièrement englouti dans les charges qui s’ajoutaient les
unes aux autre, selon une liste qui ne finissait jamais, mais qui au
contraire s’allongeait chaque mois. Sa femme déprimait de plus
en plus et cela commença à l’inquiéter, il n’osa pas lui
avouer qu’il ne mettait plus depuis un certain temps les pieds à
l’association des Entrepreneurs Anonymes. Il avait bien
d’autres soucis en tête, un avocat lui expliqua de long en large
qu’il risquait d'être poursuivi pour banqueroute s’il
décidait de déposer le bilan de sa dernière société, il lui
proposa immédiatement de souscrire un abonnement préférentiel
renouvelable chaque année. Vous savez comment sont les
avocats, tout comme les dentistes véreux ils prennent garde de ne
pas intervenir quand il est encore temps, ainsi ils tirent un
meilleur profit de la souffrance et de la désespérance. Il était
urgent de faire quelques chose, mais quoi ?
Un matin, alors qu’il écoutait la Bohème de Puccini, il trouva
une publicité dans sa boîte aux lettres. Une petite société
d’avocats proposait ses services pour les situations
inextricables, en s’arque-boutant sur les nombreux vides
juridiques. Il plia la page et la mit dans sa poche pour que sa
femme Anne ne tombe pas dessus par inadvertance. Il ne fallait pas
qu’Anne soit mise au courant.
Il pousse la porte vitrée où est gravée le nom de la société
d’avocat. Un petit homme un peu grassouillet et aux épais
sourcils se lève et vient à sa rencontre en tendant la main droite
tout en contournant le bureau, puis il lui présente une chaise en
souriant.
Bonjour Monsieur, veuillez prendre place je vous prie. Avez-vous
pris une décision depuis notre entretien ? Je conçois que
vous considériez qu’il vous faut tout le temps de la
réflexion.
Je ne peux pas me permettre
d’aller en prison, ma femme ne me pardonnerait jamais. Mais votre
proposition est pour le moins surprenante.
Le petit homme regarde en l’air en
inspirant par le nez, puis il tape à plat sur le bureau des paumes
de ses deux mains, il se relève et se dirige vers la fenêtre
pour regarder la ville en contrebas tout en se croisant les mains
dans le dos. Il reste silencieux quelques secondes.
Vous savez, plus rien n’est surprenant aujourd’hui.
Pourquoi croyez-vous que les hommes politiques ne vont jamais en prison ?
Et si les affaires reprenaient,
ne regretterais-je pas ce choix ?
Le collaboratrice qui tapait un dossier dans un coin a un sursaut,
elle tourne la tête et le regarde avec reproche.
Mais ce serait probablement bien
pire Monsieur ! Avez-vous des enfants ?
Le petit homme sert les
lèvres et hoche la tête de haut en bas, sa collaboratrice vient de
lui fournir l’argument.
Vous devez comprendre que si vous réussissez, vous prenez le risque
de réussir, et là pas de pitié, vous aurez
un contrôle fiscal sur le dos !
Mais je n’ai jamais
fraudé, tous mes comptes sont transparents et irréprochables !
Là
n’est pas la question cher Monsieur, la réussite c’est bien pire que
l’échec dans ce pays. Passe encore que vous déposiez le bilan ou
que vous soyez poursuivi pour banqueroute, au bout de quelques mois
ou de quelques années vous sortiriez de prison, mais très peu
d’entrepreneurs sortent indemnes d'un contrôle fiscal, et des
familles sont brisées. On vous traitera comme un criminel !
Après tout cet argent que j’ai versé à l’État, mais c’est
dégueulasse ! Ils nous prennent la majorité de ce que l’on
gagne !
La collaboratrice sort un mouchoir pour essuyer la larme qu’elle a à l’œil, elle est bien placée pour savoir que des
clients ont préféré se suicider, que des couples se sont
séparés et que des enfants ont été arrachés à leurs
parents. L’avocat s’assied sur le bureau.
Nous en convenons, mais c’est ainsi, et nous ne pouvons rien faire
pour changer cet état de chose, rien faire sauf enclencher la
procédure dont je vous ai parlé la fois précédente. Mais vous ne
devriez pas trop attendre, car la fenêtre de tir juridique risque
de se refermer bientôt.
Georges se lève et se glisse vers la fenêtre, il
regarde droit devant lui en s’imaginant libre comme un goéland.
Il est vrai qu’en choisissant cette option il resterait maître de
ses actions jusqu’au bout, ce qui convient mieux à l’esprit
d’entreprise qui encense le courage. L’avocat lui explique que la procédure à suivre a un rapport
avec la lutte contre le terrorisme, mais c’est technique et
son esprit est déjà ailleurs.
Eh bien soit, vous m’avez
convaincu et je vous en remercie !
La société d’avocat a fait le
nécessaire dans les temps impartis pour faire domicilier celle de
Georges dans un joli préfabriqué de chantier tout neuf qui sent
bon le sapin du cercueil. Tout a été fait dans la légalité et
Georges y a transporté tous les dossiers et le matériel de sa
société, surtout sans rien omettre, ce qui aurait pu compromettre
le succès de l’affaire. Il a empilé le tout à l’intérieur et
referme à présent la porte à clef, puis il rejoint le local où
se trouvent déjà l’avocat, les artificiers et deux pompiers
volontaires. Le moment est intense, la collaboratrice pleure.
Le petit homme aux gros sourcils le conduit à l’écart devant un
pupitre de commande, un gros bouton rouge se trouve au milieu. À
ce
moment-là Georges pense à sa femme, elle serait peut-être fière
de lui en le voyant terrasser ses vieux démons, elle lui
reprocherait peut-être son obsession de vouloir cette fois-ci
encore tout contrôler et ne se pas se soumettre. Son cœur
se resserre, il prend une courte inspiration et appuie, et sa
société est aussitôt pulvérisée.
Plus tard, il voulut aller remercier à son cabinet cet avocat qui
avait sauvé son couple, mais il ne trouva qu’un tas de cendres
fumantes, avec les sapeurs-pompiers qui ré-enroulaient les
tuyaux. Au pied du petit immeuble ravagé se
tenait l’avocat, ainsi que quelques associés.
Mon dieu Maître ! Que vous arrive-t-il ? Vous
parlez d’une poisse !
Non, la poisse c’est d’avoir eu
beaucoup plus de succès qu’escompté, beaucoup trop même.
Le petit homme aux sourcils épais et
en arc de cercle sourit, lui fait un clin d’œil et s’en va…
Georges part de son côté, il est temps de retourner à
l’appartement pour dîner avec sa tendre épouse.
Alors chéri, ces réunions à l’association, comment ça se
passe ?
Fort bien, ils ont un de ces traitements de
choc !
Un traitement de choc ?
Oui, ils nous
invitent à prendre nos responsabilités, à ne plus compter sur
l’État.
Il ne lui dira rien de plus.
17) Jeux
d'enfants !
Préambule :
Certains comportements reviennent de façon récurrente sans que
l'on puisse en connaître la raison, sans même que l'on y
réfléchisse. Pour prendre un exemple concret, amenez des enfants au
bord de la mer, et particulièrement sur une plage de galets, et ils
lanceront systématiquement des cailloux dans l'eau ! Même les
adultes s'y mettent, et sophistiqué cela devient le concours de
ricochets à la surface de l'eau. Il s'agit peut-être d'un geste
conditionné de survie venant du fond des âges.
Développement :
Martine
a enlevé ses sandales et court pieds nus sur le sable mouillé de la
marée basse. Soudain elle s'arrête, les bras ballant, une sandale
dans chaque main, elle appelle sa mère au loin.
Maman,
viens voir ! Y a un drôle de truc par terre !
Quoi donc
ma chérie ? Un poisson mort peut-être ? N'y touche pas !
La
mère de Martine se lève en soupirant, frotte le sable sec qui
s'accroche à ses jambes et s'approche de sa fille. Elle se rappelle
quand elle aussi, alors petite fille, découvrait toutes les
merveilles laissées par la mer à marée basse, les poissons
attrapés à l'épuisette qui frétillent dans le petit seau en
plastique, les crabes qui se glissent sous les roches, les anémones
qui adhèrent au doigt et les étoiles de mer que l'on faisait sécher
mais qui très vite sentaient très mauvais. Reviens,
ce n'est qu'un sac en plastique rejeté par la mer !
Mais
maman, c'est tout mou, et ce n'est pas un sac en plastique !
Martine
a ramassé une coquille vide et avec une moue réprobatrice l'enfonce
plusieurs fois dans une matière gélatineuse. Un jeune garçon qui à
côté d'elle finissait un château de sable qui allait défier la
mer qui montait se lève à son tour et la rejoint.
Il se redresse
fièrement en gonflant la poitrine.
Moi
je sais ce que c'est. C'est une méduse !
Une méduse, si
grosse ?
Oui et même que mon papa m'a expliqué que son nom
est poumon de mer.
C'est comme ça que la mer respire ?
Le
garçon reste interloqué et ne sait pas quoi répondre, il retourne
à son château que l'eau commence à grignoter. Il s'active pour
réparer les dégâts.
La
mère fait en passant un sourire au jeune garçon et prend sa fille
par la main.
Non,
c'est un animal qui est venu s'échouer sur le rivage, tiens viens
avec moi, il doit normalement y en avoir d'autres sur le sable. Là
tu vois, un peu plus loin ?
Sa
fille la lâche et court le long du rivage.
Là
encore une, puis là ! Dis maman, est-ce qu'elles souffrent et
vont mourir ?
Non, les méduses n'ont pas de cerveau à
proprement parler ma chérie.
Martine
entreprend de remettre les méduses à la mer, sa maman lui a
expliqué que celles-ci sont normalement inoffensives, c'est tout
juste si on ressent un petit picotement dans les doigts. Aussi,
laisse-t'elle sa fille s'activer à sauver ses méduses.
Tu
sais, la mer monte, ça ne sert pas à grand chose ma
chérie.
D'accord maman, juste une dernière.
Sa
mère retourne alors à sa serviette étalée sur le sable.Même non
vénéneuses, les méduses l'ont dissuadée d'aller se baigner. Le
jeune garçon dépité a fini par piétiner de rage son château ou
ce qu'il en restait, il regarde Martine qui a l'air de fixer le sol.
Il se rapproche d'elle. Sur le sable repose une méduse quelque peu
différente des autres. Un peu de sang semble s'en échapper.
On
dirait une cervelle ta méduse, c'est vraiment dégueulasse.
Une
cervelle ? Qu'est-ce que c'est ?
Le
garçon en profite pour se moquer de cette petite fille stupide à la
compassion stupide.
Un
cerveau si tu veux. D'ailleurs ta méduse, elle s'appelle le cerveau
de mer !
La
petite fille n'a pas compris l'allusion. Le garçon est agressif et
la toise de haut, elle comprend cependant qu'il se moque d'elle. Elle
retourne vers sa mère en pleurant, sous l’œil ravi du garçon qui
jette encore un regard vers la chose répugnante à ses pieds. Il
aimerait l'écraser mais se retient.
C'est
beurk !
Un
peu plus loin, au-delà des gros rochers qui marquent la fin de la
plage de sable fin et cachés à la vue de tout le monde, deux
garçons plus âgés sont assis sur le rebord d'un petit tombant qui
disparaît sous l'eau que vrillent les rayons du soleil d'été.
Et
voilà, c'est moi qui ai gagné !
Toi qui as gagné, mais tu
as triché oui !
Et alors, on a pas dit qu'on pouvait pas
tricher, et c'est même pas vrai !
Léo
rit à gorge déployée. C'est fou comme Ethan prend les choses avec
sérieux.
D'accord,
on peut remettre ça, je vais te montrer encore une fois qui est le
meilleur !
Léo
vient de repérer un nouveau nageur qui franchit la ligne des
rochers. Celui-ci porte un masque et un tuba et palme maladroitement
en donnant l'impression de pédaler. Léo se remet debout et saisit
une pierre dans le tas empilé précédemment, il invite Ethan à
tirer le premier, tout en le regrettant immédiatement parce que
cette fois-ci il offre à son ami une victoire sur un plateau.
Après
toi, montre nous ce que tu sais faire !
Ethan
choisit à son tour une pierre, la fait rebondir plusieurs fois dans
sa main pour la soupeser, mais surtout pour se donner de la
prestance. Il lève la pierre bien haut, place le bras derrière lui
et lance le projectile d'un geste sec. Celui-ci trace une arc de
cercle et vient briser le masque de nageur que ce dernier arrache
aussitôt. Il a le visage en sang et recrache le tuba qu'il avait
encore dans la bouche. Il regarde de manière hagarde autour de lui,
il cherche des yeux le bateau qui l'a heurté mais ne voit rien. Sa
vue est brouillée par le sang qui coule de son front lacéré par
les éclats de verre, l'eau salée lui fait l'impression d'une
brûlure. Sur la berge, en haut des rochers, il repère deux enfants
qui agitent leurs bras et sautent sur place. Il les appelle à
l'aide.
Ça
compte pas, tu l'as touché, pas coulé !
C'est pareil et
comme ça on sera quitte puisque tu triches !
Non c'est pas
pareil, et puis c'est à mon tour. Et puis je triche pas.
Léo
s'avance à son tour et lance sa pierre qui rate la cible, faisant
hurler Ethan de rire. Le nageur ne comprend pas vraiment ce qui
lui arrive, mais il se tourne vers le large pour s'éloigner des
enfants et revenir vers la plage. C'est à ce moment qu'une pierre
plus grosse que les précédentes le heurte à la nuque, faisant
exploser la boîte crânienne. La cervelle s'en échappe lentement
alors que le corps inerte commence à couler à pic. Emportée par le
courant, elle commence à dériver vers la plage, suivant en cela les
autres cervelles qui flottent déjà au milieu des méduses.
Bon,
t'as gagné, t'es content ? Et ce jeu de gamin me fatigue.
T'as
raison, ça me donne aussi un de ces maux de tête !
Les
deux enfants quittent la zone considérée dangereuse pour ses
habituels éboulements.
18) Single
en-suite room !
Préambule :
Robert
a arrêté sa voiture en face d'un B&B. Celui-ci est d'apparence
luxueux, il doit être hors de prix pour sa bourse. Certes il avait
failli conserver ses économies, qui en ce moment lui permettraient
de dormir bien au chaud, mais la fréquentation de la femme entraîne
toujours l'homme vers la ruine. Derrière la large baie vitrée, les
propriétaires ont pris soin de placer de larges canapés en velours
auxquels il doit être difficile de résister, comme une prostituée
le fait de ses charmes. Robert se trémousse sur le siège de sa
voiture, mais ce n'est pas la même chose. Pourtant, ce qu'il
aimerait le plus, ce serait de prendre un bon bain chaud. Il a
redémarré le moteur et s'est garé un peu plus loin, la nuit s'est
passée comme les précédentes, inconfortable et glacée. Il sort
lentement de son duvet dont le tissu s'est pris dans les pédales et
redresse son siège. Il a dormi habillé et a un mal de chien dans le
bas du dos. La première chose à faire est de mettre le contact pour
que la chaleur du moteur réchauffe l'habitacle et de se préparer un
café brûlant, puis de se raser avec le rasoir à piles. C'est au
moins de l'argent qu'il ne donne pas aux rapiats qui n'hésitent
jamais à voler sur la marchandise. Immédiatement après, il déplace
la voiture pour ne pas se faire remarquer, car il sait par expérience
que les professionnels du tourisme lancent des projectiles, quand ce
n'est pas la police qui expulse les indésirables pour soutenir le
commerce. On ne prête qu'aux riches.
Développement :
Le
grand magasin était visible d'où il était. Il a bien pris garde de
ne pas se garer sur son parking pour ne pas être pris à partie et
chassé par les vigiles assis derrière leurs écrans. Robert y va
d'un pas saccadé. Il choisit comme toujours les produits soldés
approchant de la date limite de fraîcheur, ressort et fourgue les
achats dans le coffre, puis se laisse retomber sur son siège. L'idée
était bonne, mais il ne voit pas comment il pourrait la mettre en
œuvre. Il s'est juste fait plaisir.
Et
puis merde !
Robert
se redresse d'un coup sur son siège et s'extrait de l'habitacle, il
retourne dans la grande surface. La promotion est placée à la
sortie des caisses, où des boites en carton rectangulaires, avec
l'image d'une piscine circulaire bleue et blanche, sont empilées les
unes sur les autres. On y vante la joie d'une famille type qui s'y
baigne, un large sourire aux lèvres, un sourire trop forcé.
Combien
ça coûte ?
C'est marqué dessous Monsieur !
C'est
une fabrication de qualité ?
Vous devez garder le ticket de
caisse pour toute réclamation ultérieure.
Robert
n'en saura pas davantage de la part de la caissière, mais le prix
est très alléchant pour la taille d'une piscine gonflable qui fait
presque 3m de circonférence et 80 cm de hauteur. C'est encore mieux
que la baignoire du B&B. Et avec 50% de réduction c'est une
bonne affaire. Une vendeuse en uniforme s'approche de lui.
Avez
vous une pompe Monsieur ?
Non. Pourquoi ?
Il vous
faut un gonfleur. Nous avons deux modèles, celui électrique et la
pompe manuelle, avec double action et grand volume.
Qu'entendez-vous
par « double action et grand volume » ?
C'est
marqué sur l'emballage, tenez voilà : « traction de la
poignée ergonomique à double mains pour moins de fatigue »,
pour le reste je peux vous appeler un responsable de magasin.
Non
ça ira comme ça, je vous remercie.
La
vendeuse en profite pour filer un sourire aux lèvres vers un autre
client, mais il n'est sous doute pas nécessaire de sortir de
Polytechnique pour se servir d'une piscine gonflable.
Robert
choisit la pompe manuelle qui quant à elle n'était pas à prix
réduit. Il a hâte d'essayer la piscine, mais il ne voit pas comment
il pourrait faire chauffer autant d'eau, quand bien même il
trouverait un endroit assez isolé pour passer inaperçu, ce qui ne
devrait pas être trop difficile. Il a roulé toute la journée, de
Guerreloque à Oulapoule où il a passé la nuit, puis au matin il a
pris la direction de Gong et a décidé d'y dormir après avoir
grimpé jusqu'à la ruine du petit château.
Il
se gare à une encablure du village, ni trop loin ni trop près pour
avoir la paix. Comme c'est dimanche, il ne devrait pas y avoir de
problème, pas besoin d'aller se perdre dans la nature sur un
terre-plein. Après avoir siroté lentement une bière locale
particulièrement infecte, sous le regard hostile de la patronne et
des quelques clients déjà grisés qui riaient bêtement comme le
font ceux qui n'ont plus de vrai sujet pour rire, il marche vers sa
voiture. Il remarque alors, sur sa gauche, les toilettes publiques
éclairées et il s'y dirige machinalement. Il y découvre une
première pièce avec le lavabo placé en face, le WC est à droite
dans une seconde pièce de grande dimension. Il tend la main sous le
robinet, laisse couler l'eau quelques instants, elle est très
chaude. Une idée commence à germer dans sa tête, d'autant que
dehors un vent glacial commence à souffler et que la pluie est
attendue pour la nuit qui vient. Les circonstances idéales pour être
tranquille. Il est déjà onze heures du soir, cela l'étonnerait
fort qu'à cette heure quelqu'un vienne cadenasser les toilettes. Il
retourne à sa voiture pour revenir bien plus tard.
Il
est deux heures du matin, le vent souffle par bourrasques et des
paquets d'eau s'abattent par intermittence, les accalmies relatives
sont brèves. Robert met la tête dehors pour repérer des intrus,
mais il n'en voit guère. Il se décide à passer à l'action. Il
doit faire vite, premièrement déplier la piscine sur le sol en
carrelage de la seconde pièce et visser le gonfleur, ensuite fixer
au robinet le tuyau d’arrosage acheté entre-temps, et le dérouler
sur quelques mètres, le sectionner. Cela se présente bien, la pièce
semble convenir parfaitement.
Il s'active donc sur le gonfleur qui
est un modèle que l'on tient à deux mains. De temps en temps il
s'arrête essoufflé et écoute, mais il n'y a toujours que le vent
et la pluie qui s'abat. Ce n'est que bien plus tard, et après avoir
bien transpiré, que Robert tâte le boudin en caoutchouc qui crisse
sous les doigts. Celui-ci commence à se raffermir. Encore quelques
coups de pompe et le tour sera joué. Il décide alors d'ouvrir le
robinet mitigeur et regarde avec ravissement l'eau chaude et fumante
se déverser.
Il
fait très froid dans le local non chauffé, le carrelage du sol est
glacé et humide, peut-être n'est-il pas très propre. Il empile ses
vêtements sur le bord du lavabo après l'avoir rincé et essuyé,
puis se glisse très lentement dans l'eau qui est à la bonne
température. À l'horizontal il ne touche pas le fond de la piscine
avec ses pieds, aussi se cale-t-il contre le rebord sur lequel il
appuie sa nuque. Il est bien, trop bien diraient les jeunes. Trop
bien ! Cela le fait rire aux éclats tout en battant des jambes.
Mais qu'est-ce qui serait trop bien dans la vie ? Il se reprend
aussitôt, il ne s'agit pas d'attirer l'attention, puis hausse
instinctivement les épaules en se rappelant que personne ne risque
d'aller dans les toilettes publiques au milieu de la nuit, de
surcroît quand la tempête souffle dehors. Il tend la main vers le
sac posé à coté et en sort un petit canard jaune poussin. Il le
pose à la surface de l'eau et le laisse dériver avec ravissement.
Oui, il imagine la tête que feraient les sinistres résidents et les
gérants des B&B à la vue de ce spectacle incongru. De nouveau,
il doit se retenir d'éclater de rire. Il saisit alors le savon et
commence à se frictionner.
Quelque
temps plus tard, alors que l'eau du bain très improbable a perdu de
sa chaleur et n'est plus que tiède, Robert remarque la lueur
derrière la vitre de la fenêtre placée sous le plafond. Il regarde
sa montre, il est quatre heures passé et il est temps de filer. Il
se redresse, attrape la serviette et s'essuie avec des gestes vifs.
Il s'extrait du bain vers un angle de la pièce laissé libre. Saisi
d'une légère panique il commence à enfiler prestement ses
vêtements et remarque à ce moment-là que la porte de sortie est
coincée par la masse d'eau qui appuie dessus. Comment faire ?
Il enlève ses chaussettes qu'il avait enfilées sans réfléchir,
traverse la piscine et tire sur la poignée de la porte. En vain.
C'est bel et bien coincé ! Il ne peut même plus accéder au
gonfleur qui a glissé par terre et reste inaccessible. Il tente de
vider l'eau avec ses mains, mais ce sera bien trop long. Il essaye de
déchirer le caoutchouc, mais celui-ci résiste à toutes ses
tentative. Soudain il entend des voitures et des gens parler à
l'extérieur, probablement du personnel qui se lève très tôt pour
aller travailler. Il aurait dû le prévoir et prendre moins de bon
temps.
Mais il a une idée, en se mettant debout sur le rebord de la
piscine il doit lui être possible de se glisser facilement par la
fenêtre. Il finit de s'habiller aussi vite qu'il peut, se met debout
sur le boudin gonflé à bloc en prenant garde de ne pas glisser et
pousse sur le montant de la fenêtre. Ouf, celle-ci n'est pas
verrouillée ! Dehors
le soleil a fini par percer les nuages, mais le vent souffle toujours
et agite les branches du chêne vigoureux qui surplombe les toilettes
publiques. Devant la porte d'entrée quelques personnes
s'impatientent. L'une d'elles essaye de regarder par la fenêtre,
mais cette dernière est trop haute.
Et
moi je vous dit que c'est la serrure qui est cassée !
Ce
n'est pas certain, s'il y avait quelqu'un dedans ? Peut-être
a-t-il eu une crise cardiaque ?
Attendez, John saura y faire
pour ouvrir la porte, tenez le voilà justement qui arrive !
Il
ne faut pas beaucoup de temps à John pour débloquer la serrure.
Mais lorsqu'il pousse la porte celle-ci résiste. C'est tout juste
s'il réussit à l’entrebâiller de quelques centimètres, et
encore doit-il pousser de toutes ses forces en s’arc-boutant
dessus. La porte se rabat aussitôt, l'onde de choc fait osciller
doucement sur la surface de l'eau le canard jaune qui semblerait
avoir une vie organique.
Il
y a quelque chose qui bloque, je ne peux pas l'ouvrir. Attendez, ce
n'est pas quelqu'un, on dirait un … un ballon, c'est du caoutchouc
que je touche !
Oui, c'est un gros ballon ! Euh non, c'est
plutôt un bateau gonflable ou … une grosse bouée !
Encore
ces vauriens de jeunes ? Ils ont voulu nous faire une farce !
Si je les attrape !
Quelqu'un
lâche pour rire :
C'est
peut-être une poupée gonflable ? Ah Ah Ah ! Le modèle
XXXXXXL !
Une
femme présente dans le groupe lui jette un regard outré.
Andrew
qui se tordait sur place, non de rire mais parce qu'il avait une
envie très pressente, s'avance finalement tout en ouvrant son petit
couteau de poche...
Bon,
les conneries ça suffit, moi je vais régler le problème vite fait,
poussez-vous tous !
Andrew
appuie de toutes ses forces sur la maudite porte et l'écarte d'un
bon centimètre, il avance la pointe du couteau.
C'est tout juste si
John a le temps de dire :
Je
ne suis pas sûr que ce soit une
bonne
idée...
Au
même moment Peter conduit sur une route single way qui l'éloigne de
Gong, il rit tellement qu'il en pleure. Il doit se sécher les yeux
avec la manche de son pull-over. Mais il est loin d'imaginer...
19) Le
grand chêne !
Préambule :
Fabien
refait une fois encore le tour de l'arbre, pour bien s'imprégner du
lieu. Les semelles de ses chaussures s'enfoncent dans la mousse
luxuriante d'où jaillissent de petites fleurs colorées, il laisse
sa main glisser sur le tronc de l'arbre pour en ressentir toutes les
aspérités. Bientôt il lui faudra partir pour revenir en France,
alors il jalouse énormément les arbres qui sont enracinés en ce
lieu magique et que rien ou presque ne semblent pouvoir déloger. Il
colle doucement son dos à l'arbre pour en ressentir toutes les
énergies et se met à s'imaginer se fondant dans sa structure la
plus intime, il essaye d'écouter ce que l'arbre pourrait bien lui
dire. Seuls quelques chants d'oiseaux lui répondent.
Développement :
Il
se trouve qu'à cet instant même Medb fait sa ronde du soir pour
veiller au bon déroulement des règles de vie de la forêt humide,
une des plus vieilles du royaume magique, n'hésitant pas à
sermonner les jeunes fées qui manqueraient à leurs devoirs.
D'habitude elle se garde de toute présence humaine, les pétales de
rose dont elle est vêtue la cachant facilement du regard. Aussi
est-elle très surprise, au détour d'un tronc d'arbre, de la
découverte inopinée du bipède. D'ordinaire ceux de son espèce
sont tellement bruyants et brutaux qu'on les entend de très loin,
ils marquent leurs passages de fougères écrasées et de déchets
étranges et parfois coupants, sans parler de leurs odeurs acres.
Surtout ils sont la terreur des animaux qu'ils pourchassent pour le
divertissement, une lueur malsaine dans leurs deux petits yeux fixés
dans un visages fait de chair molle et blafarde. Ce n'est pas une fée
qui inspire le comportement des hommes, mais bien des démons et des
goules.
Medb
s'est aussitôt cachée sous une feuille. L'homme, c'est ainsi que
cette espèce se désigne, semble fermer les yeux, il ne l'a
probablement pas vue ni entraperçue, tout comme il n'a pas remarqué
le daim qui passe à proximité. Elle décide donc de reprendre sa
ronde, mais en étant plus prudente cette fois-ci. En tant que reine
des fées, elle n'a en effet pas le droit de se laisser surprendre
comme le ferait une jeune fée sans expérience. Elle bat vivement de
ses petites ailes et s'éloigne en virevoltant. Un œil jeté en
arrière lui montre que l'homme ne bouge pas. Elle devrait continuer
son chemin, car ses responsabilités sont considérables, mais elle
reste interloquée par ce comportement inhabituel, aussi
décide-t-elle de revenir en arrière et d'observer.
Medb
sent une grande souffrance morale chez la créature, elle est
stupéfaite de détecter un lien énergétique ténu qui le relie à
l'arbre qui l'a en quelque sorte accepté. Surtout, elle ressent une
compassion inattendue pour un membre esseulé de l'espèce qui n'a
aucune considération pour le petit peuple de la forêt et qui a
coupé tout lien authentique avec la Nature qui l'a pourtant fait
naître. D'ordinaire, seuls les enfants très jeunes de l'homme ont
en de rares occasions la faculté de voir le petit peuple. La cécité
vient avec l'âge de raison, mais la fée ne peut pas le savoir. Elle
s'assoie sur une petite branche et le regarde tout en enlaçant ses
propres jambes avec ses bras, elle pose sa tête sur les genoux.
L'homme la fixe, les mains toujours plaquées en arrière sur le
tronc de l'arbre.
Qui
es-tu ?
Une fée.
Tu es une fée ?
Ben oui, une
fée. Je ne ressemble pas à une fée ? Regarde mes ailes !
La
reine des fées s'envole, tourne plusieurs fois sur elle-même dans
une parade acrobatique, puis se repose avec délicatesse sur la
branche.
Fabien
est fasciné, il sourit puis son visage redevient triste.
Je
ne sais pas, c'est la première fois que j'en vois une. Es-tu une
bonne fée ?
Je ne comprends pas la question, je suis une fée
c'est tout. Qu'est-ce qu'une bonne fée ?
Une bonne fée
vient au secours des gens, elle permet de réaliser des
souhaits.
Medb
le regarde plus intensément en plongeant ses grands yeux dans les
siens. Elle ne comprend pas tout avec son intelligence de petite
créature du monde magique, mais elle sent intuitivement que l'homme
est très malade et qu'il ne voudrait pas revenir chez lui pour y
mourir. Il voudrait choisir sa propre mort et devenir cet arbre qui
enfonce ses racines dans le sol et lance sa frondaison vers les
étoiles étincelantes, il voudrait rester à jamais dans cette
forêt. Une jeune fée n'aurait pas suffisamment de pouvoir magique
pour exhausser un tel vœux, mais Medb est tout de même la reine des
fées et cela l'homme ne peut pas le savoir.
Il lui faudra cependant
canaliser une quantité considérable d'énergie, et il n'est pas
certain que les plantes et les petits animaux pardonnent la reine des
fées quand il ne reste presque plus d'énergie vitale dans un monde
dévasté par les hommes.
Une
camionnette blanche s'arrête sur le terre-plein placé en bordure de
la forêt. Cette forêt fut autrefois utilisée pour les parties de
chasse des nobles, mais il y a longtemps que plus aucun coup de feu
n'y retentit. D'ailleurs, la chasse y est interdite. Les héritiers
ont décidé de la rentabiliser avec le négoce de bois de chauffage.
Dexter saisit la poignée et pousse la porte de la camionnette qui
grince, il pose un pied à terre en faisant attention aux flaques
d'eau et hume l'air chargé de senteurs d'humus. Il a choisit un
métier qui le rapproche de la Nature et il en tire une grande
fierté. Il se dirige vers l'arrière et saisit ses grosses bottes en
caoutchouc qu'il enfile tout en se tenant au véhicule cabossé. Doug
est encore assis sur le siège passager, il sirote le café chaud du
thermos.
Aller
viens Doug, tu auras tout le temps de boire ton café quand on aura
fini le travail !
Mais le café sera froid quand on va
revenir ! Juste une minute.
Dexter
hausse les épaules et s'en va saisir la tronçonneuse placée à
l'arrière. Il vérifie le niveau d'essence et d'huile, ainsi que la
tension de la chaîne. Mais bientôt les deux hommes pénètrent dans
la forêt en suivant une sente qui serpente au milieu des arbres.
Dexter était venu repérer cet endroit. Ils n'ont pas beaucoup à
marcher, soudain Dexter s'arrête et pose la tronçonneuse sur le
sol, il tend le doigt droit devant lui. Doug lève la tête et
cherche à voir ce que son collègue lui désigne.
Regarde,
en face à cinquante mètres, celui-ci pourrait faire l'affaire.
Doug
hoche négativement la tête.
C'est
dommage d'abattre un tel chêne pour du bois de chauffage, tu crois
pas Dexter ?
Qui te parle de bois de chauffage ?
Attends, j'ai oublié de te montrer...
Dexter
se trémousse pour glisser sa main dans la poche, il en sort une
feuille de papier pliée en quatre qu'il déplie. Doug s'approche et
jette un œil dessus. Il est noté une commande spéciale pour des
planches de bon chêne destinée à un fabriquant de cercueils.
Et
c'est pour où cette commande ?
Attends, c'est marqué là,
oui c'est ça, c'est pour la France. C'est curieux, ils ne doivent
pourtant pas manquer de beaux chênes chez eux ! Enfin, comme on
dit c'est le client qui décide, faut pas chercher à comprendre !
C'est peut-être un gars de chez nous qui se fait enterrer en France.
Après
avoir consciencieusement fait le tour de l'arbre pour bien évaluer
la zone de chute, une procédure qu'il respecte toujours
scrupuleusement, Dexter s'approche enfin, la tronçonneuse tenue à
deux mains. Il la pose sur le sol et tire vigoureusement la poignée
du lanceur, le moteur thermique pétarade et gâche la tranquillité
du lieu. C'est tout juste si une âme sensible aurait pu percevoir à
cet instant précis un léger frémissement des branches et un infime
bourdonnement dans le sol. Mais quand l'arbre s'abat enfin, une
immense vague d'effroi, qui se communique d'arbre en arbre, se
propage dans toute la forêt. Doug a des frissons qui lui parcourent
le corps, il fait un pas en arrière et manque de tomber, un froid
glacial pénètre ses vêtements. Même Dexter est mal à
l'aise.
C'est
curieux, je ressens comme un étrange remord, c'est pourtant que du
bois...
20) Bonne
conduite !
Préambule :
Il
avait soudé des tôles blindées de belle épaisseur sur les cotés
de son 4X4. Si faute de pouvoir politique corrompu, pour
continuer à la cacher encore au peuple, la fusion froide avait
résolu le problème de manque de carburant, enfin presque puisque la
contrebande tenait désormais le marché de la poudre de nickel,
l'écroulement économique généralisé avait justifié que le
chacun pour soi, et le chacun contre tous, deviennent la règle de
conduite sur la route. Comme dans la vie d'ailleurs. Aussi avait-il
également soudé quelques piques en acier pour se faire aussi les
piétons. Le fil barbelé n'avait pas été une idée si bonne que
cela, car des restes humains y restaient accrochés longtemps et
empestaient ensuite très fort. Il avait dû renoncer au barbelé.
Développement :
Sur
le siège arrière, sa petite fille serre très fort le bocal en
verre contre sa poitrine. C'est son trésor. Il n'a jamais compris
pourquoi elle attache tant d'importance à ce trésor. Quand il la
questionne, elle lui répond que c'est pour jouer avec ses amis. Or
il le sait très bien, ses amis actuels sont des amis imaginaires.
Les seuls vrais amis qu'elle eut l'ont mordue car ils pensaient
qu'elle était comestible. C'est une conséquence fâcheuse de
l'effondrement économique et des guerres sporadiques qui suivirent.
Ainsi sa fille gardera-t-elle une vilaine cicatrice sur son
avant-bras droit. Au moins, toutes les régions du Monde ne sont pas
encore irradiées, ça c'est une sacrée chance !
Papa,
il y a une méchante voiture jaune derrière nous !
J'ai vu
ma chérie. Si tu veux faire plaisir à ton papa tu mets ta ceinture.
Tout de suite !
S'ensuit
une course poursuite, le véhicule qui les suit ne voulant pas les
lâcher d'un pouce et gagnant du terrain. Son 4X4 est grandement
défavorisé par la masse du blindage, il ne sert donc strictement à
rien de vouloir espérer semer les poursuivants. Cependant, ils
arrivent à une suite de lacets et de virages en épingle. Il lève
le pied afin de les laisser les rattraper à cet endroit précis.
Papa
dis, on peut casser la méchante voiture ?
Effectivement,
juste à la sortie d'un virage, la voiture jaune tente de les
dépasser. Il lève aussitôt le pied de l'accélérateur et donne
avec les deux bras un violent coup de volant sur la gauche. Le choc
est assourdissant, les tôles encaisseront cette fois-ci encore. Il
croise pendant une fraction de seconde le regard épouvanté de la
conductrice puis porte le regard sur la trajectoire. C'est tout juste
si le 4X4 est déporté sur sa droite, quant à la voiture jaune,
elle fait un tête-à-queue et plonge vers la ravine en contrebas,
non sans avoir fait plusieurs tonneaux. Cependant, depuis la fin de
l'essence les voitures n'explosent plus comme au cinéma. Il a le
sourire aux lèvres car Il n'a jamais aimé les chauffards qui
collent au cul et tentent coûte que coûte de doubler. Il arrête le
4X4 en douceur et sert le frein à main, prend lentement le fusil
placé sous son siège et entreprend de descendre vers le ruisseau
qui serpente au fond du petit ravin. D'ici il lui est possible de
voir la voiture jaune qui est couchée sur le coté, elle repose
partiellement dans le lit de ce qui s'avère être une petite
rivière. Les occupants ne semblent pas s'en être extraits. Il doit
tout de même faire attention, un mauvais coup est toujours possible.
Il fait le tour de l'épave, là un bras affreusement tordu dépasse
d'une portière, ici un petit filet de sang écarlate ruisselle sur
la vitre éclatée. Cette fois-ci personne ne s'en sera sorti, mais
il vérifie tout de même. Il n'aime ni entendre gémir ni le regard
de ceux qui le supplient, il aime bien les accidents bien propres et
sans bavure.
Mon
papa a cassé la méchante voiture !
Il
se retourne et voit sa fille debout juste derrière lui, son trésor
toujours plaqué sur la poitrine.
Tu
sais que papa veut que tu l'attendes toujours dans le 4X4, mais tu
n'écoutes jamais.
La
petite fille fait la moue et regarde ses pieds tout en se dandinant
de l'un à l'autre.
Bon,
puisque tu es là, je ne vais pas te priver de ton plaisir.
Elle
relève la tête, un sourire jusqu'aux oreilles rayonne sur un visage
d'ange. Elle pose le bocal sur le sol et se précipite alors dans
l'habitacle, une petite cuillère à la main.
Le
papa et sa fille retournent au 4X4. Il a préalablement récupéré
un peu de poudre de nickel et quelques balles, plus des babioles sans
intérêts. Il sait très bien que ce qu'il possède ne lui
appartient pas vraiment et sera un jour prochain pris par bien plus
malin ou plus chanceux que lui. C'est la vie. Pour sa fille, il doit
cependant faire en sorte que ce moment arrive le plus tardivement
possible. Il n'a malheureusement récupéré aucune nourriture,
pas même une barre énergétique périmée, ni des vitamines. Les
gens qui les poursuivaient devaient avoir sacrément la dalle car
leur prise de risque était insensée. Ils ont payé le prix fort et
c'est très bien ainsi. À sa droite sa fille est occupée à
nettoyer les pairs d'yeux qu'elle a extraits des cadavres encore
chauds.
Qu'est-ce
que tu fais là ma petite chérie ?
Je nettoie mes billes papa,
sinon elles ne vont pas rouler sur le sol comme il faut.
Sa
fille tient un globe oculaire de la main gauche et de la droite pince
avec le pouce et l'index le nerf qu'elle arrache d'un coup sec. Elle
lâche ensuite sa prise dans le bocal rempli de formol et remet le
couvercle. Elle va pouvoir montrer ses nouvelles billes colorées à
ses amis.
Tu
t'es bien reposée ?
Alain
tente de se redresser d'un coup sec sur son siège et se laisse
retomber en arrière sur le dossier, il se frotte les yeux avec les
paumes de ses mains et expire lentement l'air qu'il a retenu dans ses
poumons. Il s’étire du mieux qu'il peut derrière le volant, il a
les jambes ankylosées. Lui et Aline s'étaient arrêtés et garés
sur le bas-coté de la route pour faire une petite sieste.
Pas
vraiment Aline, j'ai fait un horrible cauchemar ! J'ai rêvé de
ma fille, elle voyait encore.
Tu veux dormir encore un peu ?
Sinon je peux te remplacer si tu veux.
Non ça ira, j'ai juste
besoin de me dégourdir un peu les jambes.
Alain
met la main sur la poignée de la portière et la pousse lentement,
elle arrive à la butée et se stabilise. Il met un pied dehors puis
l'autre, et s'extrait péniblement en prenant appuie sur le siège et
le volant. Dehors l'air est sec et revigorant, il se redresse et
s'étire les bras au dessus de la tête. Quelques pas et ils pourront
reprendre leur voyage.
Aline
a traversé la chaussée pour aller à l'épicerie qui est de l'autre
coté de la route. Elle fulmine des insultes à l'encontre du
chauffard qui n'a pas ralenti et qui l'a obligée à courir pour ne
pas être écrasée. Elle revient brièvement au milieu de la route
et brandit le majeur à l'intention du connard, mais il est déjà
loin. Elle pénètre donc dans la petite boutique.
Vous
avez vu ce connard ? Il a failli m'écraser ! On aurait dit
qu'il le faisait exprès !
Ma pauvre dame, les jeunes ne
respectent plus rien. Ce sera quoi pour votre service ?
La
patronne lui saisit avec une longue pince des œufs dans un bocal
rempli de vinaigre.
Quand
elle ressort avec les provisions dans les bras, Aline entend la
voiture qui revient dans leur direction. Elle se prépare à
intercepter l'abruti, mais il accélère et va faucher Alain qui ne
s'est aperçu de rien, ainsi que la portière qui est arrachée et
rebondit plusieurs fois sur la chaussée.
Le
chauffard s'arrête quelques kilomètres plus loin, il vérifie
l'état du pare-buffle renforcé pour le gros gibier, puis il grave
au canif une croix sur le coté de sa caisse. La chasse est ouverte.
21) Le
portrait vérité !
Préambule :
En
Occident e
portrait fidèle remonte à la peinture flamande et aux primitifs
italiens, mais c'est la Renaissance qui plus particulièrement mit en
exergue la singularité. Jan van Eyck représentait des hommes
d'affaire hollandais, la Révolution française amena les bourgeois à
se faire portraiturer pour glorifier une réussite sociale. Mais dans
le monde marchand de l'usure ramenant toute chose à sa valeur
d'échange, c'est dorénavant la mentalité si particulière du
marchand qui aujourd'hui influence l'art dit du portrait. C'est
désormais celui qui, sur la tête de sa mère s'est le plus gavé,
ou qui veut le faire croire, qui entend imposer aux autres une
personne de poids à défaut de Culture à laquelle il est étranger,
comme ce milliardaire qui fit rallonger son yacht pour faire un pied
de nez revanchard. Les tours ne finissent pas de surplomber leurs
rivales, seule la quantité importe. C'est
en 2010 que l'équipe d'une université d’Amsterdam mit en évidence
la corrélation significative entre le surpoids du chien et la masse
corporelle de son maître. Une conséquence du régime alimentaire.
Pas seulement. C'est à ce moment précis qu'il vint à la mode de se
faire représenter par un animal fétiche, pas forcément le sien. Ce
n'était pas nouveau, pour exemple le blason d'Angleterre était
formé par un champ de gueules avec trois lions d'or armés et
lampassés d'azur, la Normandie se contentait de deux léopards d'or,
l'Aquitaine d'un seul. Mais ces animaux symbolisent la noblesse et la
force guerrière, des qualités intrinsèquement étrangères au
commerçant. Les portraits des marchands sont commandés pour flatter
leur ego, ce qui les éloigne des Ambassadeurs de Hans
Holbein le Jeune qui sur la toile revendiquent une éducation
humaniste, avec l'anamorphose célèbre de crâne humain qui marque
une Vanité. La vanité est devenue vertu.
Développement :
Francis
s'est levé de très bonne heure. Son métier de photographe l'oblige
à se lever tôt, car il doit s'occuper des bêtes. Il y a la paille
à changer, les animaux à nourrir et à brosser. Ce n'est qu'ensuite
qu'il prend le temps de se servir un grand bol de café brûlant dans
lequel il trempe des tartines de pain grillé recouvertes d'un miel
doré. Mais les bêtes avant tout, il leur doit bien ça. Elles sont
son gagne-pain et jamais il n'envisagerait de leur faire le moindre
mal. Après tout, elles sont à la fois des vedettes, des icônes et
des doublures appréciées.
Il
possède plusieurs bêtes correspondant chacune à la singularité
des portraits pour lesquels il est sollicité. Le marché est en
plein essor, d'autant que le mariage s'est effondré après le
changement des mœurs et que les mères porteuses se sont orientées
vers le commerce lucratif de l'enfant. L'Art est devenu la vitrine
morale d'une société évoluée et libérée des carcans nauséabonds
de la famille, la chasse aux réactionnaires d'un temps qui n'a
jamais existé dura moins longtemps qu'escompté. Il y eut bien
quelques indignations, notamment de la part des sociétés
protectrices des animaux, quand une sculpture de dix mètres de haut
qui faisait la promotion de la zoophilie et de la sodomie fut exposée
dans la capitale, devant le magnifique Centre Pompidou. Alors les
zoophiles défilèrent à coté des scatophiles, profitant de
quelques attouchements suspects et effluves non moins suspectes, les
médias sponsorisés s'acharnèrent sur les néonazis qui osaient
dénier les droits légitimes. Sale temps pour les bêtes !
Hitler n'était-il pas végétarien ? En vérité il ne l'était,
mais qu'importe ! En tout cas Francis ne mangerait pas ses animaux.
Il n'avait cependant
pas imaginé que l’antispécisme vegan mènerait les pratiques
trans-genres sur le terrain des trans-espèces et de l'artifice de
la chirurgie esthétique, comme pour cette Eva Tiamat Medusa,
banquier qui naquit dans un corps d’homme, puis voulut devenir un
dragon, et qui se fit implanter des cornes, tatouer des écailles,
couper la langue dans le sens de la longueur, et enlever ses oreilles
trop humaines, pour « ne pas mourir en être humain ». Là
aussi, devant des faits aussi déviants, nous, les personnes
autrefois considérées comme non cinglées, aurions pu nous attendre
à ce que la classe politique réagisse ou simplement s'émeuve, mais
cela eut été ignorer à ce moment précis que la secrétaire d’État
à l’Écologie affirmait que la pratique des vaches à hublots est
une nécessité pour la science. Le hublot, il aurait fallu le placer
sur la tempe de la secrétaire d'État pour étudier le
fonctionnement de son cerveau, puisque Rabelais nous dit que
« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».
Finalement il n'y aurait pas que les savants fous d'Hitler pour
oublier le sens d'une phrase pleine de sagesse. Sage, Francis l'est à
chaque instant, il est bien obligé de cacher sa pédophilie-phobie,
une construction sociale réactionnaire et désormais interdite, ou
critiquer l'initiation LGBT à l'école, s'il ne veut pas passer pour
négationniste. Il ne trouverait plus de travail, ses bêtes seraient
vendues comme objets sexuels ou finiraient en saucisses. Quand il se
promène avec son cochon préférée, un animal de 300 livres, les
passants le félicitent pour la beauté morale et esthétique de son
couple. Il se garde alors bien de les contredire, il prend simplement
garde à ce qu'aucun individu ne vienne en douce meurtrir la muqueuse
du rectum de Charlie. Charlie, il vient le présenter aujourd'hui à
un grand banquier qui veut affirmer de manière picturale qu'il s'est
gavé comme un porc, surtout grâce aux pauvres qui chaque quinzaine
se retrouvent à découvert et se font saisir leurs maigres biens par
des huissiers.
La
voilà vot'bête ?
Le
banquier se trouve debout derrière son bureau, appuyé contre la
baie vitrée en verre blindé. Il ne correspond pas à l'image que
Francis s'en faisait. Normalement un banquier est censé être gros,
sirupeux, il tient un cigare entre ses doigts boudinés. Celui-i est
maigre, le visage émacié, il fixe Charlie avec une mou
réprobatrice, puis il porte son regard brillant d'intelligence vers
Francis, ce dernier croit y déceler de l'amusement.
Est-ce
que je devrais poser avec ce, cette bête ? Enfin, vous voyez ce
que je veux dire.
Non, pas du tout.Vous en êtes certain ?
Hé bien c'est déjà ça !
Le
banquier tapote nerveusement avec l'index droit sur le bureau et
s'arrête. Charlie avait eut du mal à prendre l'ascenseur,
maintenant il frotte tout en grognant son groin contre la moquette.
Craignant qu'il la décolle ou l'arrache, Francis sort de sa poche
une pomme qu'il offre à son cochon qui salive aussitôt, façon pour
le photographe de s'opposer moralement à la recette du cochon aux
pommes et aux épices. Le banquier ne semble pas s'en offusquer, il
regarde à nouveau par la large baie vitrée.
Être
banquier, ce n'est pas être toujours maître chez soi. Ma femme,
vous comprenez.
Francis
ne veut pas rentrer dans la psychologie de son client, il hoche
simplement la tête.
Tenez,
je vais vous montrer ! Si vous voulez bien me suivre...
D'un pas alerte, le
banquier mène Francis et Charlie dans la pièce voisine. Sur les
murs sont accrochés quelques peintures et quantité de photographies
récentes.
Vous avez ici tout le gratin du monde des
affaires. C'est comme une grande famille.
Ils sont tous de votre
famille ?
Francis est surpris de poser lui-même
cette question.
Non, pas tous.
Il rit de bon cœur.
Tenez, voici celui à qui
vous devez la diminution des contenus des boîtes quand nous avons
promis au gouvernement de ne pas augmenter les prix à la
consommation.
Un babouin est représenté faisant une
grimace. Il est accroupi et exhibe au regard des fesses d'un rouge
très vif, il tourne la tête vers le spectateur et paraît faire un
geste obscène d'une patte arrière.
Un sacré farceur
l'oncle René, il aurait pu faire une carrière politique. Enfin,
vous êtes vous-mêmes photographe, ce sont bien vos collègues qui
tronquent la réalité des produits avec les photographies
mensongères des emballages. Est-ce que je me trompe ?
Le
regard de Francis est attiré par la toile d'à côté, y est
représenté un féroce loup, masqué avec un fin bandeau de tissu
noir, qui maintient par derrière un mouton apeuré pour le sodomiser
avec force. Derrière, une file d'attente de moutons imperturbables
paraît interminable. Le banquier observe Francis et sourit.
Qu'en pensez-vous jeune homme, qu'y
voyez-vous exactement ?
Cela me fait penser au monde
politique et aux électeurs.
Hé bien je tiens à vous féliciter.
Effectivement, il s'agit de la représentation de notre ancien
président, les promesses électorales, n'est-il pas vrai, n'engagent
que ceux qui y croient !
Le
regard se porte sur d'autres toiles, une représente une énorme
pieuvre qui tient une seringue avec chacune de ses tentacules, elle
repose sur une marée d'enfants verdâtres qui vomissent. Une autre
encore représente une fouine au petits yeux noirs cupides qui se
frotte les pattes avant.
Max, on le
surnommait « Max », toujours à imaginer un max de
profit, c'est lui qui eut l'idée de placer les bonbons aux caisses
des magasins, à hauteur des yeux et des mains des enfants !
Au
fond de la pièce trône une fresque avec un orang-outan qui lance en
l'air des pièces d'or, de la monnaie de singe sans doute. Un
triptyque représente trois personnages qui rappellent les singes de
la sagesse, ou la fine couche de lin qui recouvre les yeux de Thémis.
Mais cette cécité, qui est la meilleure façon de garantir
l'impartialité de la justice, est extrême, les visages sont lisses,
ils n'ont ni yeux ni oreilles, juste une bouche démesurée et
pourvue de molaires pour broyer.
Francis sait
pertinemment que la farce porte un sens caché, qu'il est un rouage
du système, que ne pas s'y soumettre revient à perdre son emploi.
Mais le banquier s'est dévoilé, il joue la franchise. Du coup, il
se rappelle une célèbre formule de Napoléon Bonaparte et la
prononce imperceptiblement.
La
main qui donne est au dessus de la main qui reçoit.
Le
banquier doit avoir l'oreille très fine, car il poursuit.
Lorsqu'un
gouvernement est dépendant des banquiers pour l'argent, ce sont ces
derniers, et non les dirigeants du gouvernement qui contrôlent la
situation.
Le
banquier regarde un long moment Francis droit dans les yeux. Celui-ci
ne doit pas avoir la patte, … la main molle et moite. Il reconduit
en silence son photographe et lui donne carte blanche pour réaliser
les portraits de Charlie dans son bureau de directeur. Puis il sort
sans un mot pour s'entretenir avec sa secrétaire. Francis ne le
reverra jamais.
Plus tard, le
banquier retournera les épreuves tirées en grand format sur papier
glacé de la meilleur qualité. Ce ne fut pas une mince affaire de
faire monter le cochon sur un siège de directeur, la secrétaire
resta tout le temps en retrait, paniquée, elle refusa d'aider à
pousser le cochon de 300 livres pour le maintenir assis pendant les
prises de vues. Beaucoup de pommes furent nécessaires.
Il était prévu que
le banquier mettrait une croix à l'arrière de la photographie de
son choix, pour faire malgré tout plaisir à sa femme seule
détentrice de sa fortune. On y voit un gros cochon assis très droit
sur ses pattes arrières, son postérieur posé sur le siège en
cuir et métal chromé, un cochon de dos et qui regarde semble-il
bien au delà de la baie vitrée, comme pour oublier ce qui se
déroule dans cette pièce. Pièce perpétuelle, la société du
spectacle est un avatar du capitalisme.
Songeur,
Francis brosse avec soin la soie dure de son porc préféré, aucun
animal n'aura tenu avec autant de classe le rôle de banquier, il lui
lit un texte de Guy Debord tenu de la main gauche.
Toute
la vie des sociétés, dans lesquelles règnent les conditions
modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de
spectacles. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné
dans une représentation.
22) Foutus
complotistes !
Préambule :
Lorsqu'un
pays en occupe un autre par la force, les résistants sont de manière
récurrente présentés comme des terroristes, c'est ainsi que la
Gestapo désignaient ceux que l'on appelle aujourd'hui les
Résistants. Quand on occupe un pays, c'est rarement pour apporter la
civilisation et le progrès, c'est plus généralement pour aller en
piller les ressources. La faculté d'oublier ces fondamentaux en fait
des impondérables qui sont privés de causalité et échappent au
sens critique et à la morale.
Développement :
La
grosse marmite en cuivre repose sur un feu de bois placé au milieu
de la pièce, au 36ème étage. Parler de feu de bois est bien
exagéré, tout au plus s'agit-il d'un tas grossier de planches en
contre-plaqué ou d'aggloméré obtenues après avoir brisé à coups
de hache les meubles et les étagères des bureaux. Une fumée noire
monte au plafond et a déclenché le système anti-incendie. Des
cendres virevoltent dans l'air humide et viennent se déposer sur la
peau nue des sauvages, rendant le lieu apocalyptique. Parmi les
philosophes, certains avaient pris la défense de ces extrémistes,
ils furent fort heureusement vite poursuivis pour apologie d'actes
terroristes. L'Occident s'était montré magnanime, le fait que
le sol soit très riche était un pur hasard, d'ailleurs les tribus
d'Indiens ignoraient tout de cette richesse. C'est pour leur bien que
nous avions entrepris de raser leur immense forêt, tracé des routes
au bulldozer. Récupérer les essences de bois et planter du soja
pour notre bétail était simplement une contrepartie à l'effort
consenti pour sortir ces peuplades de la barbarie, ils nous devaient
bien ça. Le fait de placer leurs femmes et leurs enfants dans des
bordels était une manière pacifique de créer des liens sociaux,
une action éminemment civilisatrice. Alors comment aurions-nous pu
comprendre leur haine de la démocratie et du progrès ? Non,
cette haine est dirigée contre nous car nous portons les valeurs du
progrès.
Marcel,
c'est bientôt prêt ta préparation ?
Jacques
se tenait debout les poings sur les hanches, ses gros muscles
luisaient sous la transpiration, sa tunique en feuilles séchées lui
collait aux cuisses. Chose plus inquiétante, ses peintures
corporelles commençaient à lui couler sur le visage et la poitrine.
Il fallait faire vite.
Je
fais c'que j'peux, je t'y verrais à ma place ! T'as qu'à la
prendre ma place !
Bon, bon, mais fais vite, on va pas y
passer la journée ! Hein !
C'est
en se penchant sur les livres de la bibliothèque que le chef avait
découvert que ces tribus de primitifs coupaient des têtes et les
réduisaient, qu'aussi ils allaient voler les femmes des villages
alentours et pratiquaient le cannibalisme. Il eut l'idée d'associer
ces traits de caractère en une unique action, son chef au-dessus ne
put qu’acquiescer. Ainsi donc fut imaginée la marmite.
Un
fin bouquet se répand dans la pièce. Marcel est accroupi et remue
lentement la préparation avec une grande cuillère en bois prise à
la cuisine du réfectoire. Il espère ne pas avoir de compte à
rendre pour cet emprunt, car le chef est strict question règlement.
Marcel tourne et retourne la mixture, une expression de pur
ravissement sur son visage buriné.
Mais cela énerve Jacques qui
intervient une seconde fois.
Qu'est
ce que t'as à regarder ta marmite comme ça, on est pas au barbeuc
ici, concentre-toi sur la mission bordel de merde ! Je vais pas
t'le redire encore une fois !
Que c'est beau !
Jacques
se penche subrepticement et observe le contenu. Marcel tourne et
retourne la mixture.
Que
c'est beau, ça m'rappelle quand j'étais enfant de cœur !
T'étais
enfant de cœur toi ? Manquait plus qu'un curé dans
not'groupe ! Ici c'est pas l'armée du salut si tu vois c'que
j'veux dire !
Vous y connaissez rien chef, sauf
vot'respect !
Piqué
au vif, Jacques se penche un peu plus et remarque des formes rondes
qui surgissent du liquide blanc en ébullition. Une tête d'enfant
apparaît les yeux grands ouverts et replonge dans le liquide pour
disparaître, aussitôt remplacée par une autre, puis encore une
autre, dans un ballet perpétuel.
Si
vous regardez bien, chef, on dirait des têtes de chérubins !
La foi ça s'explique pas chef, moi j'y vois un message fort que Dieu
est avec nous dans not'mission !
Derrière
le chef qui est tétanisé, avec une très mauvaise expression de
rage contenue sur son visage, le caporal-chef, jusque là silencieux
mais soudainement enjoué, s'exclame.
Moi
je dis que ça sent très bon chef, c'est comme qui dirait d'la la
noix de veau à la crème et aux champignons. J'peux goutter ?
Avant
que Jacques ne le bloque, il se penche, tempe son doigt dans la sauce
et le porte à sa bouche.
Bon
ça suffit les conneries, on est en mission bordel de dieu ! Et
j'veux vous voir danser !
Faut pas jurer chef, ça porte
malheur, les anges y aiment pas ça !
Au
pied de l'immeuble pris en otage par les terroristes, les forces de
l'ordre s'activent, elles ont beaucoup de mal à cause de la marée
des journalistes qui ont investi l'esplanade dans les minutes qui
suivirent l'action terroriste non encore revendiquée à cet instant.
Tous les regards se sont portés vers la baie vitrée brisée par
laquelle l'on perçoit plusieurs indiens peinturlurés faire des
grimasses, bander les muscles de leurs gros bras, et commencer une
sorte de danse rituelle. Ils s'accrochent par les bras et produisent
une sorte de gigue, dans un sens puis son contraire, frappant le sol
de leurs pieds et tapant des paumes des mains sur leurs cuisses. Ils
poussent des cris gutturaux.
Ce sont des bêtes sanguinaires qui
s'attaquent à nos valeurs démocratiques ! Les passants repoussés
par les forces de l'ordre filment la scène avec leur téléphone
portable. Tout le monde aura vu.
Une journaliste de BFM tient
le micro près de son visage.
Comme
vous le voyez, les forces de l'ordre cernent en ce moment même un
groupe terroriste qui s'est réfugié au 36ème étage de l'immeuble
où se trouvent les bureaux de l'Organisation d'Aide à la Forêt
tropicale, une ONG vouée au développement des populations
locales.
Elle
se tourne vers la personne située à côté d'elle, tout en fixant
la caméra par intermittence.
Vous
êtes le coordinateur de cette intervention, pouvez-vous nous en dire
davantage ? Est-il vrai que les terroristes sont d'abord
intervenus dans une école à proximité ?
C'est exact, nous
déplorons l'attaque d'une maternelle avec une barbarie inouïe, je
tiens à dire que ces actes inhumains ne resterons pas impunis, que
moi et mon...
Pardonnez-moi, est-il vrai qu'ils ont massacré
des enfants et euh... tranché des têtes ?
L'information est
confirmée par nos services, il semblerait que ces actions portent
une fois encore la signature de la tribu Bata désormais bien connue
pour ses réduction de têtes. Cet odieux attentat porte la signature
des indigènes qui veulent détruire le monde civilisé.
Mais
un petit groupe de personnes, qui avait réussi à percer le cordon
de police avec ses panneaux et ses banderoles, bouscule le cameraman
qui instinctivement dirige sa caméra vers lui.
Tout
ceci n'est que mensonge, ce que l'on dit des Indiens n'est que pure
ignorance ! Jamais les Indiens, comme les Jivaro, n'ont réalisé
de tsantzas en les faisant cuire dans du lait et de la crème légère,
tout ceci est contredit par la science et l’anthropologie !
C'est impossible ! D'ailleurs les têtes retrouvées chez vos
terroristes sont celles de très jeunes enfants, elles n'ont donc pas
été réduites, et ni les yeux ni les lèvres n'ont été cousues.
Comprenez qu'il faut une semaine entière pour réaliser une tsantza,
il faut se servir de pierres chauffées que l'on fait rouler à
l'intérieur, c'est très complexe, c'est tout un art...
La
journaliste est choquée, mais elle se reprend très vite, et c'est à
cela que l'on reconnaît le véritable journalisme qui se heurte avec
courage au complotisme.
Un
art, vous appelez ce massacre un art ? Ainsi donc vous
approuvez ?
Le
chef de la Police est en train de parler dans son micro, aussitôt
une escouade bouscule et gaze le petit groupe, celui qui s'exprimait
est violemment frappé à la tête et traîné vers un fourgon, les
panneaux et banderoles sont foulées aux pieds.
La journaliste se
retrouve face au coordinateur.
Nous
avons affaire à des activistes qui soutiennent les terroristes.
Ceux-là disent que c'est impossible, or il ne faut pas se demander
comment c'est possible, c'est possible puisque ça a lieu ! Ceux qui
ont une position négationniste des faits sont les instigateurs du
terrorisme, le Gouvernement entend faire appliquer strictement la
loi ! Il y veillera croyez-le !
Dans
la tour, le commando arrache ses pagnes, les colliers de perles
colorées, et s'asperge d'eau. Il commence à revêtir les treillis
empilés dans un coin. Ensuite il extrait trois sauvages menottés
qui restaient confinés dans une petite cage en osier. Il renverse le
chaudron encore bouillonnant et jette dans le feu les costumes
utilisés pour le spectacle, ainsi que la cage.
La dizaine de têtes
fumantes ont roulé sur la moquette et restent immobiles, elles
constitueront la preuve incontestable de l'implication du clan
considéré comme le plus extrémiste, celui qui met en péril
l’Économie. Julien regarde avec tristesse les visages figés
que furent des enfants quelques heures plus tôt, son expression est
extrêmement maussade.
Quand
même chef, des enfants, nos propres enfants. Est-ce bien
fondé ?
Comme tu causes, t'as donc pas entendu la Martine de
l'ONU qui disait que 500,000 enfants morts ça vaut l'coup ?
T'es pas au-dessus de l'ONU, la Martine est brillante y disent !
Oui
chef, mais quand même ! Je me dis que peut-être, des
gosses...
T'as rien à dire, t'as compris ? T'obéis aux
ordres c'est tout !
Au
moment de sortir, à la traîne du groupe, le caporal-chef fait un
pas en arrière, il saisit une petite tête d'ange encore chaude et
la glisse dans son sac à dos, toute cette histoire lui a creusé
l'appétit. Les trois malheureux indiens de petite taille, à qui
l'on avait injecté des drogues, ne comprennent pas ce qui se passe,
ils sont violemment poussés en avant par des colosses habillés
comme des blancs, les voilà qui dévalent comme des fous les
escaliers qui mènent à l'entrée de l'immeuble, tout autre passage
est barricadé. Lorsqu'ils surgissent en pleine lumière ils sont
canardés par un tir groupé qui les fauche dans leur élan, criblés
de toute part. Nul prisonnier cette fois-ci encore.
Alors
Monsieur le ministre, qu'en est-il de la force d'intervention que
nous vous avons réclamée pour nettoyer les villages des pouilleux
qui prennent la défense des arbres ? Les derniers sondages sont
extrêmement encourageants, gaz, pétrole, diamants, même un peu
d'uranium !
Le
ministre semble ravi, il étire sa fine moustache et fait un sourire
en coin.
Comment
dire, avez-vous regardé les dernières informations au journal du
soir ?
Non, pas encore, mais quelle relation y a-t-il avec
notre affaire ?
Quelle relation ? Mais l'opinion
publique cher ami. C'est que vous désiriez n'est-il pas
vrai ?
Rentré
chez lui, le caporal-chef embrasse sa petite fille sur ses cheveux
bouclés. Il défait ses affaires et tombe sur la tête réduite
qu'il avait oubliée. Mais le cœur n'y est plus, ni la faim, il
ressent comme un malaise dont il ne s'explique pas la cause. Il
hausse simplement les épaules, ouvre la fenêtre et siffle le chien.
Quand celui-ci arrive précipitamment, il lui lance ce qui ressemble
à une balle. Le chien plante aussitôt ses crocs dedans et se met à
la déchiqueter de plaisir. La femme du caporal-chef retrouvera
quelques éclats d'os près de la niche, elle pensera que le
fox-terrier a débusqué quelque gros rat ou attrapé un pigeon, et
cette sombre idée la rendra triste un bref instant.
Bien
plus tard, un policier d'investigation à la retraite se promène le
long de la rivière, il tourne et retourne nerveusement entre ses
doigts les perles en verre coloré au fond de la poche de son
pantalon, c'est devenu un rituel. Il ne s'explique pas la présence
de perles colorées dans le feu du 33ème étage, les perles auraient
dû être retrouvées sur les dépouilles des terroristes, ou dans
l'escalier.
Quelque part, ce qu'il imagine parfois lui glace le sang.
Foutus complotistes !
23) Le
flippeur galatique !
Préambule :
Si
l'Homme aime se divertir, gageons qu'il en va de même pour toutes
les espèces de l'Univers si tant est qu'elles ont développé une
intelligence qui les différencie des bactéries. Tout ce qui roule,
tout ce qui rebondit a toujours fasciné les êtres les plus évolués.
Dieu lui-même n'a-t-il pas créé les galaxies qui virevoltent dans
l'espace infini, et parfois se télescopent dans un feu d'artifice ?
Développement :
La base avait été attaquée la
veille. Mars était pourtant connue pour sa sécurité, tant passive
qu'active. Les canons à neutron n'avaient pas été activés, l'AI
n'était pas intervenue pour contrer une attaque, malgré sa capacité
à détecter les modes furtifs connus. Aucune alarme n'avait
retenti. John ne peut pas bouger, il est comme prisonnier de liens
fins et tranchants. Sa tête est lourde et lui fait un mal de chien,
la nausée lui vient et il croit qu'il va vomir. Il respire plus
lentement pour tenter d'endiguer l'agitation cérébrale qui le fait
sortir de la torpeur. Observer, analyser, comprendre. Il fait très
sombre, il découvre qu'il est maintenu en position verticale, les
bras attachés le long du corps. Soudain un cri à côté de lui, il
discerne une forme qui remue comme une larve dans son cocon.
Au
secours, aidez-moi ! Par pitié, y a-t-il quelqu'un qui peut
m'aider ?
La ferme ! Tu vas la fermer oui ?
Personne ne peut quelque chose pour toi, alors ferme-la !
Patrick
a toujours su parler aux femmes, quand il ne bassine pas son monde
avec les reptiliens. Marie
pousse un cri encore plus strident, très long, puis un gémissement
qui devient un râle, sa poitrine se soulève légèrement et elle
recommence à sangloter.
Marie,
c'est bien toi ?
John ? Mon Dieu je suis contente
d'entendre ta voix, que nous arrive-t-il ?
Je pense que nous
avons été attaqué pendant la nuit.
Robert
ricane nerveusement.
Et
bien ça c'est de l'info, John nous dit que nous avons été
attaqués !
Plusieurs
voix ricanent de concert, mais d'autres pleurent.
Puis le silence
revient lentement, entrecoupé de légers sanglots. John prend
l'initiative, il voudrait savoir qui est prisonnier avec lui, mais
certains semblent ne pas avoir repris conscience, comme le commandant
de la base.
À priori toute l'équipe peut être là, si ce n'est qu'il fait trop
sombre pour le vérifier. Il ne peut bouger que ses doigts, ce qui
l'empêche d'atteindre le boîtier de connexion qui est peut-être
encore dans sa poche. Normalement l'AI aurait dû interagir avec son
cerveau par le biais de la puce RFID implantée, mais elle semble
être totalement inactives, l'une comme l'autre. Les voilà livrés à
eux-mêmes. À quoi bon toute cette technologie de pointe si elle
fait défaut le moment opportun ? Marie est paniquée.
Moi
je dis que c'est ET qui vient pour nous prendre des organes ou nous
disséquer !
Patrick
saute sur l'occasion pour parler de ses fameux reptiliens.
Et
si c'était pour nous manger, t'as pensé à ça grosse nouille ?
Ou peut-être que c'est le temps de la moisson pour les lézards qui
nous ont mis sur la Terre ?
C'est pas faux, nous ont fait
bien pareil avec les cochons élevés sur Mars !
Une
autre voix s'élève un peu plus loin, mais le ton dévoile le fait
de ne pas y croire beaucoup.
Et
si nous avions été bombardé par des météorites, et si c'était
des extraterrestres qui sont intervenus pour nous porter secours ?
C'est peut-être pour notre bien qu'ils sont là ?
Robert
rit aux éclats de sa voix grave.
Parce
que tu trouves que ça ressemble à une barge de survie ici, ou à
une clinique spatiale ? Et si tu appelais l'infirmière pour
voir la tronche elle a ? Et depuis quand des météorites ne
sont plus détectées et aussitôt détruites ?
Soudain
une lumière fluorescente descend sur un des corps et permet de voir
un peu mieux la scène. Tous sont fixés verticalement sur une sorte
de rail qui tourne derrière un angle, tous sont attachés dans la
même posture, une multitude de petits crochets en métal se
resserrent sur leurs bras, leurs jambes, le torse aussi. Seule la
tête semble dégagée et libre de ses mouvements. Le regard de John
se reporte sur la lumière verte, le corps en-dessous n'a pas encore
repris conscience, la tête repose mollement sur la poitrine. Des
bras articulés sortent alors de la paroi, ils sont reliés à des
tubes transparents, chacun d'eux vient s'enfoncer dans des parties
distinctes du corps.
Vous
voyez bien que nous sommes dans un genre d'hôpital ! Moi je dis
qu'ils font tout pour nous maintenir en vie ! Hou ! Hou !
Vous êtes là ? Montrez-vous s'il vous plaît ! Nous
laissez pas comme ça, par pitié ! S'il vous plaît...
Robert
rit encore une fois, la dernière, mais il s'agit d'un rire nerveux,
son regard exprime l'angoisse.
Les
cochons aussi on les laisse pas crever dans les élevages, n'est-ce pas
?
Difficile
de savoir combien de temps passa. Plusieurs fois les bras articulés
sont intervenus pour mettre sous perfusion les membres de l'équipe
qui ne réagissaient pas ou plus, pour les alimenter probablement
avec des fluides vitaux. Le plus éprouvant ne fut certainement pas
de se soulager debout et à proximité immédiate des autres, un
mètre à peu près, mais l'odeur et les crampes insoutenables que
provoquait l'immobilisation. Même Patrick avait fini par ne plus se
révolter. Après avoir insulté copieusement ses hôtes, il avait
bandé tous les muscles de son corps, cela n'avait fait qu'enfoncer
plus durement les crochets dans sa chair, rajoutant l'odeur du sang à
celle de l'urine. Soudain un cliquetis sort John de ses rêveries,
à moins que ce ne soit l'action des substances injectées par la
machine.
Des bruits saccadés de machineries résonnent alors dans
toute la structure qui bourdonne, puis le rail se met en mouvement
d'une manière saccadée, d'abord lentement. Dans un seul
mouvement, les corps sont entraînés sèchement vers la direction
cachée par l'angle mort. Un premier hurlement ne tarde pas à se
faire entendre, qui est suivi par un second et un troisième. Les
cris semblent cesser brutalement quand ils sont remplacés par
d'autres. Le rail démarre et s'arrête par intermittence. Marie est
juste devant John, elle semble être l'objet d'une souffrance
intérieure bien trop grande pour elle. Elle regarde le sol tout en
tremblant. Patrick quant-à-lui a cessé de lancer ses insanités et
de beugler depuis plusieurs minutes, il les précédait. Une nouvelle
vibration, et le rail continue son inexorable mouvement.
Marie relève
la tête, les yeux mouillées, elle fait un timide sourire à John
totalement impuissant. Le rail l'arrache à elle même, son visage
bascule du côté opposé et ses cheveux de couleur auburn font une
dernière arabesque autour de son visage. Elle disparaît derrière
l'angle mort et pousse un hurlement qui n'a plus rien d'humain, juste
à côté d'elle une flamme calcine la chevelure de Sophie, et une
scie circulaire vombrissante la tranche lentement au niveau de la
nuque. Avec un bruit de succion, un gros tuyau transparent placé au
dessus d'elle aspire la tête comme le ferait un gros vers. Le cœur
de Marie ne lâche malheureusement pas, elle aura le temps de voir la
haine sur la figure John, les crochets qui s'ouvrent simultanément
pour laisser tomber le corps de Sophie par la trappe en-dessous.
GRRZZAK est énervé, il perd la partie. Il tire
furieusement sur la tirette, propulse à trop grande vitesse la bille
sur la rampe, elle explose sur un bumper. Malgré tout, il récupère
la friandise tombée dans la trappe en dessous, la porte à ses
lèvres écailleuses et la suce en clignant de ses yeux fendus avec
des paillettes d'or. GROUKGZAK se tord de rire en frappant le sol
avec sa queue, signe de contentement. C'était une excellente idée
d'avoir capté les ondes radio électromagnétiques de ces bipèdes
ne manquant pas de goût, ils avaient découvert le flipper et le
distributeur de barres chocolatées. C'est au tour de GROUKGZAK, il
va montrer à son chef ce que c'est que de jouer comme un lézard
civilisé, ces bipèdes méritent des égards si l'on ne veut pas
trop les abîmer. La nouvelle tête roule jusqu'en bas, il la
récupère tout en douceur pour la relancer. GRRZZAK avale sa
friandise, il observe avec attention la technique humaine de
GROUKGZAK. Rien de mieux que voyager pour s'ouvrir l'esprit et faire
du tourisme culturel et gastronomique. Les ZZZAAK ne savaient pas
comment établir le contact avec ces bipèdes, heureusement ils
captèrent une émission éducative du nom de code L-214, ils
appliquèrent scrupuleusement leurs us et coutumes.
24) Les
livreurs tous temps tout le temps !
Préambule :
Avec
les livreurs tous temps tout le temps, l'assurance d'être livré à
temps ! La livraison est notre aventure, pour que la livraison
ne soit pas votre aventure ! Les meilleurs spécialistes sont à
l’œuvre pour uniquement vous satisfaire, que ce soit un piano à
queue déposé sur l’Himalaya*, ou une glace à la fraise livrée
dans la vallée de la Mort. Avec les livreurs tous temps tout le
temps, l'assurance d'être livré à temps ! La livraison ne
doit pas être votre aventureuse ! Choisissez les livreurs tous
temps tout le temps, les seuls professionnels qui vous consacrent
tout leur temps ! * Démonstration faite devant huissier,
lire attentivement les clauses du contrat.
Développement :
Il
gare la voiture au bord de la route, sur l'herbe. Elle fait un peu
miteux la voiture de cette société qui a une si grande prétention
de service. La tôle est rouillée, la publicité adhésive se
décolle, il ne s'agit même pas de sérigraphie. Enfin, par les
temps qui courent, tout job est bon à prendre. Il est en bonne
santé, sportif, on lui a dit que c'est le métier idéal pour ceux
qui aiment pratiquer un sport, et en plus il est payé ! Veinard
lui avait lancé le patron, une claque dans le dos ! Greg
regarde la montagne dont le sommet se perd dans les nuages. Il
pratique certes un peu l'alpinisme, cela lui arriva pendant les
colonies de vacances, et surtout la technique de la descente en
rappel quand il s'agissait d'épater sa nouvelle copine, mais là il
s'agit d'un gros morceau. Il a peut-être surévalué ses capacités
physiques, d'ailleurs il s'était brisé une jambe à cause de cette
fille.
Bon,
allons voir l'équipement fourni par la boîte !
Greg
ouvre le coffre et attrape en soupirant la sangle d'un gros sac en
toile de coton brun, il le repose à quelques mètres et entreprend
de défère les sangles. Le sac au moins et de bonne qualité, le
boss fait donc attention à ce qui est essentiel pour sa mission. Il
a manqué d'éclater de rire quand on lui expliqua de quoi il
s'agissait, une fille de milliardaire bloquée dans un refuge à
cause de la panne inopinée du téléphérique et qui fait un
caprice. Le boss avait négocié un prix bien plus bas que
l'hélicoptère, même les gens riches sont parfois radins. La fille
fit une crise de nerf, elle exigeait sa boîte de caviar et sa
bouteille de Champagne.
Papa,
je veux mon caviar et mon Champagne, sinon je ne retourne pas en
classe !
Mais voyons ma fille, tu vois bien que c'est
impossible !
Finalement
le père appela une agence de livraison qui promettait l'impossible.
Personne de sensé ne promet l'impossible. Ainsi il donne
l'impression à sa fille de céder, tout en ne faisant pas de
dépenses inutiles, car il sera remboursé. Quant à l'hélicoptère
de sa société, il était réservé à ses riches clients, en aucun
cas pour satisfaire le caprice d'une enfant gâtée.
Greg
s'est assis sur l'herbe, il tourne et retourne l'équipement entre
ses mains. Une combinaison noire en néoprène, un masque en
silicone, un tube en plastique, et des palmes. Il prend son téléphone
et appelle l'agence, la secrétaire acariâtre lui demande
d'improviser de mieux qu'il peut. La livraison est devenue son
aventure, il s'est engagé par contrat. Le patron, moins jovial,
arrache le combiné de la main de la secrétaire et hurle qu'il a
tout intérêt à se manier ! Il y a tant de gens qui
n'attendent que de prendre sa place, que ce n'est pas un problème
pour la boîte.
Bordel
de meeeerrrrrrde ! Saloperie de boîte à la con ! Allez
vous faire enculer !
Mais
Greg a fini par entreprendre la montée vers le pic enneigé. Au
début il transpire comme un malade dans sa combinaison de néoprène,
mais le froid de l'altitude la rend moins inconfortable. Quant aux
palmes, elles remplacent plus ou moins les raquettes, si ce n'est
qu'il se vautre continuellement dans la neige à force de glisser et
glisser encore. Dommage qu'il n'existe pas de palmes en peau de
phoque. Le masque aussi a son utilité, mais il reste en permanence
embué. Quant au tuba, il espère ne pas subir une avalanche pour
devoir de s'en servir. Il s'arrête pour souffler un peu, voilà deux
heures qu'il a quitté la voiture. il va être midi, pourvu qu'il
arrive avant la nuit !
La
main gauche de Greg cherche une prise sur la corniche au dessus de sa
tête, ses doigts gelés se referment sur des aspérités de la
roche, il balance une palme sur le rebord et finit par s'y hisser.
Ses mains sont en sang, sa combinaison lacérée de toute part, mais
il est victorieux, enfin presque.
Bon,
je ne suis plus très loin du refuge, voilà donc ces pylônes que je
voyais sur la carte.
Il n'a plus qu'une seule palme, il a perdu celle du pied gauche
dans un passage particulièrement difficile, elle est tombée en
tournoyant dans le vide et a disparu dans les sapins. Pourvu
que le gros porc ne déduise pas la perte de ma paie. Mais
à ce moment son téléphone sonne,il le prend dans son sac à dos et
se le met à l'oreille. C'est la secrétaire qui est au bout du fil,
sèche comme une saucisse sèche.
Allo,
oui ? Qui est au téléphone ?
Vous
en êtes où ? Normalement le destinataire aurait déjà dû
être livré !
Je fais ce que je peux, croyez-le bien !
Un
bon livreur se sort toujours des pires situations, il ne connaît pas
l'échec ! Vous avez au moins pris soin du matériel que nous
vous avons confié ? Sinon il vous sera facturé, Monsieur Bur
est toujours intransigeant sur ce point. Tout équipement détérioré
est déduit du salaire.
Et quand est-ce exactement que ça devrait
être livré ?
Vous savez pas lire votre feuille de route ?
Dans 15 minutes dernier délai, sinon vous pouvez déjà dire adieu à
votre rémunération et chercher un autre travail.
Une
hésitation dans la voix de la secrétaire.
Vous
pensez y arriver ?
Greg
regarde la montagne pour estimer ce qu'il lui reste à parcourir.
Bon, les choses sont claires, alors il éclate de rire. Comme il
entend toujours la petite voix qui sort de son portable, très
faiblement, comme un gazouillis, il le rapproche à nouveau de son
visage.
Vas
te faire foutre grosse dinde !
Greg
finit par atteindre le refuge, il fait déjà nuit, fort heureusement
c'est le clair de lune. Quand il pousse la porte, un petit groupe de
marcheurs regarde avec effarement l'homme grenouille qui vient de
franchir le seuil. La fille n'est plus là, elle a fini par baratiner
un pisteur pour la conduire dans la vallée. Greg s'assoie, ouvre la
boîte de caviar et la bouteille, il mâchera chaque grain et avalera
chaque gorgée avec une immense satisfaction. Ce soir, ce soir
seulement, il se sent riche.
Le bonheur des uns, fût-il
fugace, provoque souvent le malheur des autres. Quelque part dans
l'océan, emporté par le courant de la marée qui s'est inversée,
un homme se bat contre les requins qui le cernent. Il ne s'agit pas
d'un marin tombé à la mer, ni d'un naufragé, mais d'un livreur des
livreurs tous temps tout le temps. Avec la force qui le quitte, il
assène des coups de piolets à droite et à gauche. Il a beaucoup de
mal à garder la tête hors de l'eau à cause des lourdes chaussures
à crampon qu'il a aux pieds. Finalement la nature a le dernier mot,
dans une gerbe d'écume rougeâtre il disparaît à jamais, sans même
une bulle.
Monsieur
Bur est d'humeur bestiale, il renifle et marche de long et en large
dans la pièce.
Toujours
aucune nouvelle des deux livreurs dites-vous ?
Non Monsieur
le directeur.
Et les clients n'ont pas été livrés ?
Non
Monsieur le directeur.
Je vois. Mais dites-moi, juste pour savoir,
est-ce vous qui avez distribué les sacs ? La Presse parle d'un
homme grenouille qui aurait été aperçu dans un refuge de montagne,
or il semblerait que ce soit ce refuge justement. Voyez-vous où je
veux en venir espèce de dinde ?
25) Le
permis moto de meute !
Préambule :
Il
fut un temps très lointain où l'individu conservait toujours une
certaine liberté dans ses agissements, où il pouvait parler sans
peur, où même il se permettait, parfois, de penser par et de
lui-même ce qu'il pensait, malgré le risque que la société pense
à ce qu'il pense de manière pourtant intériorisée, quand même
les pensées susceptibles d'émerger sont décelées et déconstruites
à l'avance. Pour arriver à cette société parfaite, ultime phase
du progrès, on n'avait pas utilisé la lobotomie du lobe frontal,
d'abord sur les assassins, puis sur les dissidents, enfin sur les
enfants à naître. Non, l'AI et la science informatique furent mises
à contribution pour connecter les objets aux êtres vivants, les
caméras de surveillance furent remplacées par celles qui analysent
en temps réel les expression des visages et traquent toute angoisse
ou toute joie qui sont suspectes. Petit à petit les muscles des
visages se figèrent, tout comme la capacité intellectuelle. Mais
les biopuces avaient pris le relais, toute tentative de personnalité
était aussitôt corrigée par les ordinateurs du ministère de la
Pensée universelle. Dans un premier temps, on avait établi la
pensée planétaire, identique partout, puis promulgué qu'elle était
universelle. La GRIFFE avait envoyé des capsules dans toutes les
directions de l'univers pour rappeler à tout l'espace intersidéral
la loi SAUT JOYEUX. L'Homme ressemblait tellement à ses machines,
plutôt à ses maîtres dans une relation de dominant-dominé, que
les familles trans-genres et trans-espèces préférèrent adopter
des androïdes à cause du service après-vente et de la clause de
non satisfaction. Comme les poussins mâles, les enfants finissaient
au broyeur. Puis tout s'arrêta en une nuit, une guerre
électromagnétique d'une puissance exceptionnelle grilla tous les
processeurs et effaça toutes les données. L'immense partie de la
population mondiale, transformée en légumes, disparut assez
rapidement, faute de capacité suffisante à raisonner de manière
autonome. Les fonctionnaires furent les premiers touchés. Celle qui
survécut ne voulut plus entendre parler des droits de l'homme, des
valeurs démocratiques, de l'antiracisme ou de l'autorité, tout ce
qui servit à encadre, à enfermer et à dominer. Elle était devenue
vaccinée contre tous ceux qui entendent penser et agir à sa place.
Certains appelèrent cela le RIC (Résistance Informationnelle
Concerté). Dans cette société au demeurant extrêmement violente,
et où des bandes armées sèment parfois la terreur, le troc a
remplacé l'argent factice, la parole donnée reprend sa place, le
contre-don de Marcel Mauss porte un coup définitif à l'acte de
crédit. Il convient cependant de considérer que cela n'est rendu
possible que par une nomadisation dans un espace qui est dévasté et
soudainement immense, car la surpopulation et les flux
déterritorialisés ne pouvaient engendrer qu'une succession de
milieux d'enfermement et de camps de concentration dans le sens donné
par Giorgio Agamben. Quelques millions tout au plus d'êtres humains
parcourent sans cesse la Terre en quête de subsistance. La moto est
devenue le symbole de cette nouvelle manière rebelle de survivre.
Mais cette survie permanente, n'est-elle pas l'éveil en retour de la
vie, la fin du cauchemar informatique ?
Développement :
Un
de vous peut me dire pourquoi il est là ?
Plusieurs
mains se lèvent, l'une après l'autre. Le vieux motard grisonnant
parcourt la salle de cours de son regard ombrageux, tout en mâchant
un morceau de viande séchée dure comme du cuir. Les mains gantées
posées sur sa grosse bedaine, il regarde les élèves un par un puis
soupir. Il fixe le sol à ses pieds et marmonne dans sa barbe qu'il a
très longue. Il s'assoit sur le bureau qui craque comme pour marquer
une désapprobation.
En
premier, je dois vous dire que j'ai rien à foutre d'vote vie, j'suis
d'abord là pour échanger mon savoir-faire contre des provisions. Y
en a très peu qui savent assez se démerder pour me suivre sans que
je change les couches-culottes. Comprenez c'que j'dis ?
Parfois,
le maître choisit un ou plusieurs élèves pour rejoindre sa meute.
Il faut remplacer ceux qui tombent. C'est la raison pour laquelle les
élèves s'appliquent à réussir les épreuves du permis de conduire
en meute. Ceux qui échouent se retrouvent souvent seuls et leur
espérance de vie est limitée, sauf de très rares loups solitaires
qui deviennent des légendes. Le prof faisait parte de ces derniers,
sauf qu'en vieillissant il s'est dit que construire son propre groupe
serait pour lui une assurance-vie, et pas question de se risquer à
lui dire qu'il s'agit plutôt d'une assurance-vieillesse ! Les
vieux à la charge de la société avaient fini par être euthanasiés
dès 60 ans dans la société démocratique, d'abord par arrêt des
soins, ensuite par asphyxie à l'azote, une initiative que l'on
devait à un sage appelé Attali, ou Attila, il ne sait plus. Parfois
des vieux s'étaient enfuis, leur têtes étaient affichées à la
télévision, et la traque publique commençait avec une prime pour
chaque vieux abattu. La dépouille était transformée en engrais et
servait à faire repousser l'herbe. D'où le proverbe : « Où
Attali passe, l'herbe repousse ». Mais cela est désormais très
vieux, même pour Jack, tant de choses ont changé depuis
l'Armageddon. En premier lieu la considération humaine, car les
banquiers avaient non seulement financé les guerres et les conflits,
mais cette engeance avait amené l'Humanité à sa perte, car
l'argent s'était dévoré lui-même. Jack avait de l'affection pour
les jeunes qui le suivaient. La fin de la civilisation avait fait
ressurgir les sentiments humains.
Bon,
première leçon. Vous découvrez un motard accidenté, mais qui ne
fait pas partie de vot'groupe, il est étalé sur le bitume à côté
de sa machine, alors vous faites quoi ?
Jean
lève le doigt et prend la parole avant les autres pour les prendre
de court.
Moi
je sais Monsieur ! Je sécurise le lieu de l'accident, je vérifie
l'état du blessé et j'avertis !
Très bien. Il est très
important de sécuriser en premier un lieu d'accident.
L'élève
est ravi d'avoir apporté la bonne réponse, il l'a lue dans un petit
livre très abîmé et tout moisi découvert dans une cave ayant
résisté à l'effondrement de la maison pendant le souffle de
l'explosion nucléaire. S'il réussit à se faire remarquer par le
prof, peut-être sera-t-il pris.
Et
comment tu sécurises mon gars, viens donc nous l'expliquer sur
cet'estrade.
Ben euh, d'abord je coupe le contact de la moto, et
euh je vais placer à bonne distance sur le sol des triangles de part
et d'autre pour signaler l'accident, puis je...
La
salle hurle de rire, certains se tapent dans les mains, d'autres
sautent sur les tables.
Tu
places les triangles à bonne distance, c'est bien ça ?
Euh,
oui Monsieur, à bonne distance, de part et d'autre je veux
dire...
Et pourquoi faire ?
Ben pour éviter de créer un
autre accident, un autre motard qui passerait par là et boum !
Qui
passerait par là ? Et boum ?
Oui Monsieur.
Le
prof s'approche subrepticement de l'élève et lui crie un gros
« boum » en se penchant en avant, ce dernier a un
mouvement de recul et trébuche, il s'étale de tout son long, de
nouveau la salle s'esclaffe et rit à gorge déployée. Le prof tend
la main vers son élève pour l'aider à se relever, puis il se
tourne vers les autres en faisant des mouvements des paumes vers le
sol pour faire revenir le calme. Il finit par obtenir un semblant
d'attention à sa personne.
Ne
riez pas, dans les très vieux temps c'est ce qu'on faisait
effectivement.
Vous avez dû connaître cette époque grand-père,
c'est de votre âge !!!
Le
prof repère la saleté qui a fait la réflexion, lui il pourra
toujours courir pour qu'il le prenne.
Vous
devez savoir qu'en ces temps très reculés d'avant la dernière
guerre mondiale, très anciens, même pour vot'prof, c'est bien
c'qu'on faisait pour sauver des vies, comme on disait ! N'allez
pas croire que la vie humaine avait que'que importance. En ces temps
là le rendement et le profit dirigeaient le monde, il fallait sauver
des vies pour éviter les pertes financières.
Le
prof lit la stupeur dans les regards, ce ne sera pas une chose facile
à expliquer.
Quelles
pertes financières prof ? Quelle rapport y a-t-il avec la
vie ?
Tu connais l'élevage des cochons n'est-ce pas, t'as
déjà vu ça mon p'tit gars ?
Oui Monsieur, y en avait un
d'au moins dix cochons dont trois truies chez le voisin à ma mère,
un gros élevage que c'était. Je m'en souviens bien Monsieur.
Et
bien c'est la même chose, tu fais bien attention à c'que que les
cochons se bouffent pas entre eux, tu veille à ce qui s'blessent
pas, et pourquoi ?
Ben pour les cochons Monsieur, un cochon
c'est très précieux...
Et c'est précieux pour quoi mon
petit ?
L'élève
regarde ses pieds qu'il semble compter, il se dandine
nerveusement.
Pour
le jambon Monsieur ?
L'élève
s'écarte du prof, il a peur d'avoir dit une connerie grosse comme
lui, le regard fuyant il craint de prendre une grosse baffe, mais le
prof semble réjoui. Le prof désigne l'élève aux autres en hochant
la tête, en voilà un qui a compris le fondement de la société
humaine.
Exactement,
si on élève des cochons c'est pour les manger, si on sauvait des
vies c'était pour qu'les êtres humains continuent à travailler
pour rembourser les investissements publics, en espérant qui crèvent
avant la retraite en ayant beaucoup fumé.
Bon, l'ancienne formule
n'est pas si fausse, on coupe le contact pour éviter que la moto
n'explose et ainsi on pourra récupérer des pièces et l'carburant.
Ensuite ce sont des mines antipersonnel à détection de mouvement
qu'on place de part et d'autre pour travailler tranquilles, ça évite
l'accident de s'faire allumer par surprise.
Le
prof montre deux rectangles d'une dizaine de centimètres de côté
et les pose sur le bureau.
C'est
c'qu'on appelle sécuriser l'accident. Mais j'vais vous montrer à
quoi sert le triangle et pourquoi il est indispensable à la
sécurité ! On va passer aux travaux pratiques.
Le
prof marche vers la porte, il l'ouvre et passe la tête à travers
l'ouverture, il siffle quelqu'un. Quelques instants plus tard deux
motards tout de noir vêtus, avec des cuirs renforcés par des
plaques de fer, des pointes et des lames de rasoir, font irruption en
portant un cadavre, un motard, mais avec un équipement différent.
Un le porte par les épaules, l'autre par les jambes, ils le
balancent sur l'estrade. Les bras tendus en l'air, le prof exhibe le
triangle au-dessus de sa tête, la barbe frémissante.
Après
avoir coupé le contact et sécurisé les lieux, il faut
immédiatement vous occuper du blessé puis avertir vot'meute. Vous
appelez pas v'meute tant que la zone n'est pas sécurisée et
désinfectée. Utilisez vot'triangle pour désinfecter. Faut vous y
prendre comme ça. Autrefois on appelait avant de désinfecter,
assister y disaient, mais c'est pas bon, ça peut vous tuer.
Le
prof met un genou sur l'estrade à côté du cadavre, il sort une
petite fiole de sa poche, en enlève le bouchon et entreprend de la
passer plusieurs fois sous le nef du motard au sol. Au bout de
quelques instants celui-ci remue une jambe et ferme une main, il
frémit. Trop tard, le prof avait à nouveau saisi le triangle, dans
un mouvement fulgurant, et de haut en bas, il abat la pointe du triangle sur le
coup du motard qui reprenait conscience. Un bruit mat, la pointe s'enfonce dans le bois,
la tête casquée du motard roule en oscillant vers les
élèves.
Toujours
c'te pointe du triangle vers l'bas. Il est extrêmement important de
bien entretenir vot'équipement d'secours, le triangle doit toujours
être bien aiguisé, tranchant comme un rasoir. N'oubliez jamais, ça
peut vous sauver la vie. La sécurité c'est vital.
Le
prof claque des doigts, le cadavre enfin cadavre est emporté,
laissant une ligne de sang rouge sur son passage. Le prof invite les
élèves à sortir de la pièce, il les emmène sur un terrain vague
qui longe le bâtiment.
Sur la droite trois motos noires, d'un noir
mat, sont sur leur béquille latérale.
Vous
êtes tous je crois déjà montés sur des motos, je veux mettre à
l'épreuve vos réflexes avec l'épreuve de l'évitement. Vous aurez
à slalomer pour éviter le tir tendu du fusil mitrailleur positionné
en haut de ce talus. Vous avez de la chance, le tireur a une mauvaise
vue.
Jean
jette un œil puis marche en premier vers les motos, mais le Prof
l'arrête en lui retenant le bras.
Où
crois-tu aller comme ça ?
Ben, euh, je vais prendre une moto
Monsieur.
Je crois que vous avez pas bien compris, les motos c'est
pour ceux qui auront réussi l'épreuve de la course à pied. Un
motard doit contrôler sa vitesse pour éviter de prendre une balle !
L'épreuve
du permis moto n'a jamais cessé d'évoluer, l'insécurité routière
est à ce prix. Mais l'insécurité pour les autres reste encore la
meilleure assurance-vie du motard !
26) La
balançoire !
Préambule :
Depuis
qu'il est tout jeune, Marc a toujours rêvé d'aller à Disneyland,
mais les parents sont ce qu'ils sont, toujours à faire des promesses
qu'ils ne tiennent pas. Il y a bien les manèges au village de bord
de mer, surtout les autos-tamponneuses et la barbe à papa, mais
c'est toujours les mêmes.
Développement :
Le
père de Marc est assis dans son fauteuil une page de son journal
dans chaque main. De la tasse de café posée sur la petite table,
devant ses genoux, s'élève les tendres volutes de fumées qui
caractérisent le samedi matin. La journée s'annonce belle, avec des
nuages prévus en fin d'après-midi. Son père finira son café en
retournant toutes les pages du journal, puis il ira promener le
chien, un rituel immuable. Pour l'instant il tourne la tête et
appelle Marc...
Tiens
Marc, y a un article pour toi dans l'journal !
Marc
revient de la cuisine, il mordille une tartine de pâte
chocolatée.
Un
article pour moi ?
Marc
est méfiant, son père est toujours friand de blagues de mauvais
goût.
Ben
tu veux toujours aller à ton Disney ?
Disneyland papa !
Disneyland !
Regarde cette annonce, tu pourras plus te
plaindre après !
Marc
saisit la page que son père lui tend tout en désignant du doigt le
passage. Sa mère le regarde tendrement, elle aussi fut jeune et
voulait réaliser ses rêves. Marc y découvre une publicité de
taille réduite, dans un angle en bas de page. Elle vente la gratuité
exceptionnelle pour un tout nouveau manège, à condition d'être
parmi les premiers lecteurs à répondre à l'offre. Il n'y en aura
pas pour tout le monde. Il est expliqué qu'il s'agit d'une promotion
destinée à faire connaître l'attraction dans tout le pays, et plus
loin encore. Un numéro d'appel gratuit est joint au texte. Une
photographie représente une famille type, deux transgenres du même
genre et leurs trois enfants de couleur différente pour être en
règle, ils sont assis sur une balançoire géante qui semble
s'envoler vers les étoiles, tous les visages sont aux anges, les
dents sont d'une blancheur immaculée. Comment résister à tant de
bonheur ?
Marc fait la moue, cette attraction ce n'est
pas Disneyland, mais sa mère lui passe un bras autour des épaules
et le secoue légèrement. Elle effleure affectueusement ses
cheveux.
Je
sais, c'est pas c'que t'espérait, mais bon, de la part de ton père
ça part d'un bon sentiment. Il est un peu bourru, mais l'a bon cœur
au fond. Je suis certaine que ça lui fait plaisir.
Une
fois le numéro appelé, Marc sut que l'attraction avait lieu dans un
village proche, mais que le forain préférait rencontrer ses clients
dans un lieu public au préalable, comme un bistrot, pour éviter
l'espionnage industriel. Il lui expliqua que Disneyland essayait de
lui piquer ses réalisations, qu'il n'avait pas encore déposé tous
les brevets, mais ne tarderait pas à le faire.
La mère de Marc
aurait dû être présente pour demander au forain comment il peut
avoir les autorisations d'exploitation d'un manège pas encore
homologué. Elle aurait pu exiger de voir son autorisation
d'exercer.
Le forain est déjà assis derrière une table. Il
porte une veste en velours de toutes les couleurs qui rappelle le
costume d'arlequin. Lorsqu'il aperçoit Marc, il lui fait
discrètement un signe de la main, et regarde à droite et à gauche.
Les seuls clients sont ceux accoudés au bar qui, sous l'emprise de
la vinasse, éclatent de rire et se tordent à chaque vanne vaseuse.
Il invite Marc à s’asseoir.
Quel
poids faites-vous jeune homme ?
Vous voulez connaître mon
poids ? Je suis juste un peu en surpoids.
Marc
est très mal à l'aise, son surpoids est quotidiennement un sujet de
moquerie. Déjà à l'école on le surnommait « ma boule
maboule » ! Le forain ne paraît cependant pas se moquer
de lui.
Oui,
c'est pour des considérations d'ordre technique exclusivement !
Ben,
euh... 95 kg environ. Y a une contre-indication, c'est ça ?
Le
forain paraît être ravi, il se frotte les mains qu'il a
graisseuses. C'est son jour de chance.
Non
pas du tout, bien au contraire !
Il
prend une mine contrite, comme s'il s'était mal exprimé. Il vient
de réaliser qu'il doit faire attention à ce qu'il dit à ses
clients, être un peu plus psychologue.
Je
veux dire que c'est parfait, c'est absolument parfait, vous avez le
poids idéal.
Marc
sourit timidement, en vérité il est ravi. C'est un immense pied de
nez à destination de tous ceux qui n'ont cessé de le railler. Eux
auraient peut-être été recalés. Le forain avait expliqué à
Marc où se présenter. Il s'agissait d'une vieille bâtisse
construite au bord d'une falaise de faible hauteur. Cette zone était
connue pour avoir été un lieu de pisciculture, avant que
l'importation venue d'Asie ne lui fasse une rude concurrence.
Depuis,
hormis quelques touristes égarés l'été, l'endroit est presque
désert, l'élevage intensif avait fait des ravages du point de vue
écologique, le lieu s'était progressivement vidé de ses habitants
au chômage. Le forain conduit Marc vers le bord de la falaise, un
portique en acier surplombe, en son milieu une grande balançoire
avec un large siège reste immobile dans la brise marine.
Ouah !
Jamais
Marc n'a vu de ses yeux de balançoire si haute, il est émerveillé.
L'assise à une place est maintenue par des bras oscillants gros
comme des bras et non des chaînes comme celles de la balançoire
installée chaque année pendant la fête au village. Face à la mer,
ce manège lui rappelle un peu le pas de tir de la fusée Soyouz,
mais c'est à une autre attraction à laquelle il pense... Voilà,
ça lui revient !
On
dirait la balançoire de Glenwood Caverns à 400 mètres au-dessus de
la rivière Colorado !
Le
forain sourit de toutes ses dents, il regarde l'heure à son poignet
et invite Marc à prendre place pour sa démonstration gratuite. Marc
saute prestement sur l'assise rembourrée et se cale du mieux qu'il
peut. Juste une petite appréhension. Le forain se dirige vers la
console de contrôle.
Dites,
il n'y a pas de barre de maintient ou une sangle ?
Chez
la famille de Marc les parents s'inquiètent du retard de leur fils.
La mère harcèle son mari qui sirote un cognac sur le canapé, l'air
très soucieux également, même s'il tente de le cacher.
Je
te dis qu'il lui est arrivé quelque chose !T'as vu l'heure qu'il
est ? Il aurait dû appeler !
Il
se lève, pose son verre et se dirige vers la baie vitrée qui offre
une vue très large sur la mer, il saisit la longue-vue allemande
montée sur son trépied et entreprend de ratisser l'horizon pour
s'occuper l'esprit. Sur la gauche, il reconnaît les anciens parcs à
poissons flottant qui subsistent à l'état d'épaves, la vieille
maison du père Truite qui résiste toujours aux intempéries
hivernales. Le père Truite était obsédé par les cétacés,
quel étrange bonhomme. Soudain, quelque chose attire son attention,
c'est assez flou à cette distance, mais on dirait que quelqu'un
jette des déchets à la mer, dans un mouvement de va-et-vient
toujours accentué. Les déchets sont enfin propulsés du haut de la
falaise et retombent en faisant une arabesque. Il devra le signaler à
la Police. Mais que...
Oh
viens voir, tu croiras jamais c'que je viens d'voir !
Qu'est
ce que tu veux dire, t'as aperçu notre fils, là dehors ? Où
est-il ? Il va bien ?
Sa
femme se précipite et saisit à son tour la lunette, elle cherche,
mais sans rien trouver.
Non
non, j'ai vu un truc énorme qui a bondi hors de l'eau et qui s'est
jeté sur des déchets que quelqu'un jetait à la mer, on aurait dit
une baleine tueuse. Quel appétit ça a ces bestioles ! Tout
avalé d'un coup ! M'étonne qu'y a plus de poisson
!
Heureusement que Marc n'est pas allé se baigner ! Faut pas
me faire peur comme ça !
Le
forain est ravi. Son dressage d'orque se déroule à merveille. Il y
a juste ce problème de rareté du poisson, à cause des élevages
intensifs, qu'il fallut régler. Mais bon, faut pas se plaindre.
27) De
toutes les couleurs !
Préambule :
La
question se posa ainsi, en quoi l'avis du client est-il une donnée
du département marketing ? Des études épistémologiques
établirent que neuf internautes sur dix consultaient les avis des
autres clients en vue de leur propre achat, que ce soit en magasin ou
en ligne, et que les deux tiers y accordaient leur confiance, quand
dans le même temps seulement un tiers des consommateurs croyaient
encore la publicité vue à la télévision. L'avis des clients était
donc devenu beaucoup plus impactant que la publicité. Se posa ainsi
la question du contrôle, c'est-à-dire limiter au maximum la
diffusion des opinions défavorables. Une idée de génie fut, sous
couvert du soucis constant apporté à la satisfaction du client, de
canaliser le mécontentement en interne pour éviter qu'il
n'influence les clients suivants et porte préjudice au chiffre
d'affaire. Un vrai marché de dupe, comme pour la démocratie
représentative, mais qui flatte l'ego des consommateurs incapables
de réfléchir plus loin que le bout de leur nez. C'est ainsi que
débuta ce que l'on appellera la guerre des gros boutons,
successivement vert, jaune et rouge. Or cela s'inscrivait dans
l'évolution des mœurs.>wx
Développement :
La
caddy est poussée d'une main ferme, il débouche au détour d'un
virage serré et s'engage sur l'allée principale qui longe les
caisses. Malgré le cours des années qui l'ont fripée comme une
vielle pomme, Juliette est une mamie volontaire qui ne s'en laisse
pas compter. Avec ses avis elle entend mener la vie dure au personnel
du magasin. Faire les courses, remplir et même uniquement le fond du
caddy, du fait de sa toute petite retraite, concède à la journée
son meilleur moment.
Juliette marque un arrêt et contemple un bref
instant l'alignement des préposés aux caisses, puis elle
choisit. Il y a deux clientes devant Juliette, le caissier saisit
sur le tapis roulant les victuailles défraîchies et les
suremballages parés de toutes les couleurs attirantes susceptibles
de faire oublier la misère qui se cache à l'intérieur, il scanne
les codes-barres avec un geste répétitif et machinal, le visage on
ne peut plus inexpressif et parsemé de quelques pansements. Cette
journée est ennuyeuse. Ce n'est pas tant le salaire de pauvre qui
motiva Marcel pour postuler comme caissier, mais l'appartenance à la
mouvance LGBTBDSM, considérant humainement que faire du mal fait du
bien, et réciproquement. La première cliente a payé en tendant sa
main droite où est incrusté une puce RFID, elle récupère le sac
recyclable où des bras articulés ont déposé ses courses. Elle
fait un bref sourire au caissier puis marche en se dandinant vers la
sortie. Sa main gauche tirant distraitement ses cheveux bouclés,
elle appuie de son index droit sur l'un des trois gros boutons de la
console de satisfaction destinée à récolter les avis des clients.
Le vert s'est allumé brièvement.
La
cliente suivante s'engage devant le tapis roulant et s'active à y
déposer le contenu de son caddy. Soudain, le super-radar à tourelle
des caisses émet la lumière clignotante de l'alerte orange, un
rayon laser violet fuse et la désigne, plus particulièrement le sac
qu'elle porte en bandoulière. Marcel a un léger sourire en coin,
ses yeux brillent d'un éclat malsain.
Madame, voulez-vous
ouvrir votre sac s'il vous plaît !
Moi ? Mais qu'est-ce
que j'ai fait ? Cela doit être une erreur !
Madame,
ouvrez votre sac je vous prie, je dois l'inspecter ! Vous n'êtes
qu'une voleuse !
Vous ne regarderez pas dans mon sac à main
Monsieur, d'ailleurs c'est interdit par la loi puisque seul un
officier de police en a le droit, et encore faut-il qu'il y ait
flagrant délit !
Marcel
en voit beaucoup de ces clientes. Parfois elles récupèrent et
collent un code-barre sous leur sac ou sous une semelle pour faire
croire à une erreur du système qui se déclencherait fortuitement,
mais en vérité elles chapardent en douce. Il connaît la nouvelle
procédure pour couper le bec à ces pimbêches. Celle-ci est toute
récente et cette cliente semble l'ignorer. Il appuie lentement sur
un bouton où est marqué police, aussitôt un robot à roulette
surgit, il a la partie haute du corps identique à un officier de
police, sous la ceinture ce n'est qu'une machine reliée en temps
réel au commissariat de quartier. Toute intervention est
enregistrée, une copie est envoyée aux archives du Tribunal des
Flagrants Délits si le vol ou la tentative de vol sont avérés, et
l'androïde doté d'une intelligence artificielle est assermenté.
Avec un peu de chance Marcel assistera à la fouille au corps,
parfois les gestes brusques du robot déchirent ou arrachent les
vêtements des clientes qui piquent une crise de nerf. Le
policier-robot s'arrête devant la cliente et s'adresse à elle.
Le
respect de votre vie privée est notre priorité. Nos partenaires et
nous-mêmes utilisons différentes technologies, telles que
l'inspection de vos affaires, pour personnaliser nos offres et nos
publicités, proposer des fonctionnalités sur les réseaux sociaux
et analyser le trafic. Merci de cliquer sur le bouton situé sur ma
poitrine pour donner votre accord de la fouille de votre sac à main.
Vous pouvez changer d’avis et modifier votre choix à tout moment.
Marcel
est déçu, c'est uniquement le sac à main de la pimbêche que l'IA
entend contrôler, mais non semble-t-il pour mettre en évidence un
vol caractérisé, mais comme prétexte d'une suspicion de vol afin
d'analyser le profil commercial de la cliente et le rentrer dans la
base de donnée. Marcel est encore plus déçu quand la cliente
appuie sur le bouton en disant à haute voix qu'elle accepte. Pendant
que la machine inspecte scrupuleusement le contenu de son sac, elle
foudroie du regard le caissier médusé qui reste la bouche ouverte.
La machine replace tout délicatement dans le sac, un sourire privé
de sentiment humain s'affiche sur sa face synthétique, elle
s'adresse à la cliente.
Bien Madame, aucun
vol n'a été constaté, veuillez accepter nos excuses ainsi que ces
bons de fidélité offerts par le magasin, en espérant vous garder
comme cliente fidèle.
La
cliente regarde les bons, il y a quelques promotions, un petit cadeau
à récupérer à l'accueil du magasin, une babiole pour enfant sans
doute. Pourtant, c'est le troisième bon qui attire son attention.
Elle s'adresse alors à la machine qui n'est pas encore retournée
dans son placard.
Dites moi, Monsieur le
policier, le caissier m'a bien traité de voleuse ?
Un
instant Madame, je dois repasser l'enregistrement.
Il
se passe quelques instants où le temps paraît s'allonger. Le
caissier devient blême.
Effectivement, il
vous a dit il y a exactement 5 minutes et 45 secondes « Vous
n'êtes qu'une voleuse ! ». Voulez-vous que j'enregistre
une réclamation ?
Non, ce ne sera pas nécessaire.
Elle
tend le troisième bon à la machine qui le scanne. Aussitôt une
double porte à trois battants s'ouvre. Apparaissent trois gros
malabars avec des bras épais comme des cuisses qui arrachent le
caissier couinant à son siège et le ruent de coups. Finalement ils
le ramassent comme une loque et le repositionnent du mieux qu'ils
peuvent sur son siège, le visage tuméfié et un râle sortant de sa
bouche meurtrie, il invite de la main Juliette à vider son caddy sur
le tapis roulant.
Vous en voyez de toutes les
couleurs dans ce magasin à c'que je vois !
Le
caissier ne répond pas mais hausse les épaules. Il est davantage
sado que maso, pas comme ces brutes épaisses qui sont de vrais
pervers sadiques. Il a quant à lui besoin de la souffrance pour
atteindre le plaisir le plus raffiné qui mêle domination et
humiliation. Avant de trouver cet emploi, il avait souvent recours à
des mises en scène particulières, il pratiquait le plus souvent
dans des clubs spécialisés, parfois même dans un « donjon ». Le
magasin était devenu son nouveau donjon, il en est un figurant.
Songeur, il pense avec tant de ravissement à toutes les merveilles
qui l'attendent, qu'il ne fait pas attention aux conséquences
immédiates de sa rêverie sur un lieu de travail. Le caddy de
Juliette est presque vide, faute d'être servie dans un délai
qu'elle juge raisonnable, elle est allée appuyer sur le bouton rouge
de l'insatisfaction.
Elle a scanné sa carte de fidélité pour
utiliser tout le bonus qu'elle a accumulé ces dernier mois. Malgré
sa petite taille, elle se penche sur le tapis roulant qui l'emporte,
elle tire alors l'aiguille à tricoter qu'elle avait enfoncée dans
son chignon gris et entreprend d'en diriger la pointe acérée vers
l’œil grand ouvert de surprise du caissier qui ne sait pas encore
s'il doit hurler de peur ou bien de plaisir. Mais un bras fait de
métal arrête dans sa course fatale celui fébrile de Juliette,
celui du policier-robot.
Madame, le règlement
du magasin stipule qu'aucun dommage irréversible ne peut être
toléré envers notre personnel !
Juliette
fait la moue, les grandes surfaces sont pourtant le temple du
sadomasochisme, d'abord avec les salaires du personnel, ensuite avec la
malbouffe industrielle qui y est étalée sans honte.
28) Photografions !
Préambule :
Aline
trempe sa cuillère dans sa soupe et la ramène à ses lèvres.
Robert la suit du regard en relevant avec difficulté la tête dans
sa direction.
C'est très chaud, fais gaffe à ne pas te
brûler ma chérie !
Aline sourit et souffle
légèrement sur la cuillère avant d'en avaler le contenu. Ce
velouté de champignons est un délice. Depuis l'interdiction de
fumer, il est devenu courant de servir des potages dans lesquels on
verse un soupçon de poudre de psilocybe fer de lance, ou « chapeau
de la liberté» par sa référence au bonnet phrygien auquel il
ressemble, ou d'amanite tue-mouche plus radicale dans ses effets.
Cela fait longtemps que les voitures se conduisent toutes seules, il
n'est donc pas à craindre d'être dépisté lors d'un contrôle ou
après un improbable accident.Aline est née homme, mais elle
décida d'être une femme. Son époux Robert est né homme, il
choisit cependant de persévérer dans sa condition de mâle, mais
d'espèce canine, il est allongé sous la table du restaurant, nu
comme un vers, tenu en laisse comme il est spécifié à l'entrée de
l'établissement.
Ta gamelle est bonne ? Tu te régales
là en-dessous ?
Je kiffe un max, mais goûte pas, sinon
t'vas regretter ta race !
Robert
est à plat ventre, il happe des morceaux de viande qu'il avale
aussitôt. De temps en temps, il donne un coup de langue sur leur
enfant de deux ans dont l'école maternelle n'a pas encore déterminé
ni le sexe, ni le genre, ni l'espèce. Robert aboie de satisfaction,
puis il se gratte l'oreille qui le démange avec son pied droit, et
pousse de la truffe leur enfant dont il a la garde vers la gamelle
fumante. Aline est ravie de voir à quel point Robert est un bon
« parent 2 ». Une famille idéale, tellement idéale
qu'elle est sélectionnée pour le concours du ministère de la
Famille. Ok, mais cesse d'aboyer, sinon je
vais devoir te mettre la muselière !
Développement :
Le
sergent ralentit et gare le véhicule le long du trottoir. Il n'a pas
besoin de couper le contact du moteur à hydrogène comme dans
l'ancien temps, l'arrêt se fait automatiquement au bout de cinq
secondes. Seules les forces de l'ordre ont le privilège de conduire,
cela tient au fait que la sélection est drastique et que très peu
de citoyens ont un quotient intellectuel au-dessus de 60. Mais
encore, seuls ceux qui n'ont pas été condamnés au motif de la
haine, c'est-à-dire qui n'auront jamais contesté une décision
gouvernementale, ni remis en doute la vérité officielle, ont cette
chance. Ceux qui réussissent les épreuves doivent être
reconnaissants et se vouer corps et âme aux valeurs progressistes
que les terroristes qui, par leur haine du bien, tentent de
saper.
Regarde, c'est ici tu vois, les
touristes sortent déjà du bus.
Ils ont l'air normaux tes gus,
je vois pas c'qu'un terroriste viendrait manigancer par ici.
C'est
pourtant l'information qui nous a été communiquée par le
central.
Quelques
secondes avant le lieu était encore bucolique, seulement perturbé
par le chant des oiseaux et le crissement des insectes, en cet
endroit la route longe un parking qui offre un large panorama. Les
touristes se déversent de l'autocar et se répandent de manière
aléatoire tout autour. Il sont vêtus de vêtements d'été bariolés
et fantaisistes. Beaucoup ont du mal à marcher tellement ils sont
devenus énormes à force de manger des chips devant leur écran
géant, beaucoup ne sont jamais sortis de leurs lieux de vie,
beaucoup semblent hagards et ont l'air absents. Ils tiennent tous un
téléphone portable à la main, ou droit devant eux une grande
tablette. Ils photographient de manière compulsive et désordonnée
tout ce qui passe par leur tête, une mouette qui plane au dessus,
une fleur fanée qui pousse au bord de la route, un nuage isolé dans
le ciel, le bus sous toutes les coutures, leur voisin, aussi
eux-mêmes en tendant une longue perche qui oscille et percute les
autres perches. Certains utilisent des drones, plusieurs se sont déjà
écrasés dans les rochers, sont tombés en vrille sur d'autres
touristes, ou ont failli découper quelques chapeaux. Mais une bonne
partie tiennent leurs appareils par le mauvais côté ou essayent de
voir quelque chose.
Où qu'il est le cœur,
où qu'il est ? Dans le guide y disent qu'y a un cœur !
Un
des touristes a soudainement l'ait tout excité, il ouvre grand ses
yeux et s'exclame :
Là, regardez, le
cœur ! Là, vous l'voyez pas ? Mais si l'est là !
L'est là !
Une
frénésie s'empare du groupe qui vient aussitôt s'agglutiner au
bord de la rambarde, les dernier arrivés grognent et manifestent
leur mécontentement en hochant la tête, ils se dressent sur la
pointe des pieds et essayent de tendre plus haut encore leurs deux
bras pour prendre une photographie, puis contemplent le résultat. Au
loin, à quelques centaines du mètres, une anfractuosité dans la
paroi dessine vaguement un cœur, c'est le fond de commerce des
agences touristiques.
Les
deux policiers continuent de scruter la scène, mais ne constatent
que la routine habituelle, rien ne distingue ces touristes des autres
touristes. Si les bus étaient encore conduits par des êtres
humains, il serait plus facile de repérer un terroriste, car sa
haine le pousserait à mordre le conducteur. Ce fut d'ailleurs ce
comportement qui fut à l'origine de la loi contre cette haine. Un
jour déjà lointain, un député qui pourtant n'était pas en panne
mordit sévèrement un chauffeur de taxi. On ne sut jamais s'il
s'agissait de rage ou de cannibalisme, simplement de faim peut-être.
Pour éviter toute épidémie de haine, il fallut traquer celle-ci
chez tous ceux susceptibles de ne pas aimer quelque chose ou
quelqu'un. Celui qui agit différemment des autres n'aime pas ce que
les autres font, il porte donc la haine en lui, et donc il est déjà
un terroriste potentiel ! Le rôle de la police est de traquer
les déviants et de les neutraliser avant qu'ils ne commettent un
attentat, c'est du moins ce qui est partout affiché sur les panneaux
publicitaires. L'adjudant grignote une barre de céréales, soudain
il s'arrête et fixe une zone précise, son collègue le
remarque.
T'as vu quelque chose ?
Là,
regarde, à l'écart des autres, tu vois c'te bonne femme ?
Le
sergent saisit sa paire de jumelle et observe ce qui est peut-être
un flagrant délit. Il voit une femme d'un certain âge, une vraie
femme semble-t-il, elle tient dans les mains un appareil photo
archaïque dont plus personne ne comprend le fonctionnement. Les gens
normaux aiment les choses simples, ceux qui cherchent ce qui est
compliqué sont des complotistes, et chacun sait que le complotiste
mène au terrorisme ou motive des actions terroristes.
Maryse avait bien
été obligée d'intégrer un groupe, puisque tout déplacement
individuel est prohibé car considéré comme énergivore et non
écoresponsable. Elle a fait le tour du bus pour chercher un angle de
vue plus intéressant et composer à l'écart du groupe une
photographie de ce somptueux paysage qu'elle avait découvert avec
ses parents quand elle était encore petite fille. Son père lui
avait légué sa collection de vieux appareils que la loi du
recyclage aurait dû l'obliger à mettre à la casse, comme ce fut
fait des anciens compteurs électriques pourtant toujours en état de
fonctionner. Seuls les derniers appareils photographiques
correspondent aux normes de la consommation d'énergie, le sergent
continue d'observer la scène, la mâchoire crispée. Cette femme
tient dans les mains un appareil interdit, mais cela ne fait pas
d'elle un terroriste. Il cherche le gros coup. Maryse,
toujours prudente, s'est retournée pour glisser une diapositive d'un
très vieux stock dans le compartiment interne de son OM1, celui
préféré de son père, une merveille mécanique qui fonctionnait
sans pile. Soudain, malgré sa vue qui baisse, quelque chose attire
son regard, un reflet dans la vitre d'un second bus. Des policiers
sont en train de l'observer à la sortie du virage.
Merde,
merde et merde ! Comment vais-je me tirer de ce mauvais pas ?
Papa, que ferais-tu à ma place ? Vous saviez réagir à cette
époque, par pitié aide-moi !
Elle
sait qu'elle a juste quelques secondes pour se sortir de cette
situation, elle sait qu'elle risque d'être inculpée pour haine et
donc apologie de terrorisme, si ce n'est de terrorisme. Cela fait un
certain temps qu'elle a dû être repérée ou dénoncée.Ils ne vont
pas la lâcher.
Pardonne-moi papa pour ce que
je vais faire papa, mais je n'ai pas la choix.
En
faisant des petits pas, se tourne imperceptiblement vers les deux
policiers situés plus loin, pour être bien vue d'eux. Elle tient
toujours l'appareil au niveau de ses hanches, la trappe ouverte, elle
penche alors la tête et déglutit un long filet de salive à
l'intérieur, puis elle le referme et le tient devant elle les bras
tendus en mimant un panoramique. Le sergent pouffe de rire.
La
voilà ta terroriste ! Je crains que ton grand coup soit pas
pour aujourd'hui mon adjudant !
On peut toujours l'arrêter
pour possession illégale d'appareil prohibé !
T'oublie que
t'es là pour coincer les terroristes, c'est pas cette vieille qui va
l'faire !
Maryse l'a échappé
belle, mais maintenant elle sait que son visage et la signature de
son rythme cardiaque relevé par les nouvelles jumelles de la police
sont désormais rentrés dans les bases de donnée, elle a tout
intérêt à renoncer définitivement à la photographie, surtout
qu'à son âge elle risque à tout moment d'être euthanasiée pour
être transformée en engrais, plutôt en poudre d'os riche en
phosphore pour les pépiniéristes, vu sa masse corporelle qui fond
chaque jour. Le retour avec le groupe sera un calvaire, car depuis
que le smartphone s'est miniaturisé et inclut toutes les fonctions
inimaginables, le mode vibreur le fait utiliser en plug anal vibrant
rechargeable sur prise USB. Une mauvaise odeur se répand dans le bus
quand tout le monde se met à pianoter sur son écran. Tout le monde
ou presque, car la personne au genre indéfinissable assise à côté
d'elle, la partie droite du visage femme, la partie gauche homme,
reste assise bien droite, les mains posées sur les genoux, elle est
prise de tremblements qui la font tressauter continuellement.
Attends,
voilà un aut'bus, peut-être que c'est dans celui-ci que s'trouvait
ton terroriste ?
Tu devrais pas te moquer de not'fonction,
c'est grâce à nous que les valeurs démocratiques peuvent être
sauvegardées dans not'pays ! Ces gens nous doivent une fière
chandelle !
Le
sergent reprend la paire de jumelle qu'il avait posée sur la
banquette arrière. Un
groupe de touristes sort du nouveau bus, comme les précédents il
s'éparpille à proximité. Tous les bras sont déjà tendus pour
prendre des photographies quasiment aléatoires et instantanées,
jamais réfléchies, les flash crépitent en plein soleil. Dès que
le cœur est aperçu dans la structure rocheuse les gens se
précipitent et mitraillent davantage. Soudain, un petit groupe de
personnes baissent leur pantalon, descendent leur slip, puis
s'accroupissent. En se dandinant comme des canards, elles tournent le
dos à l'attraction et lui présentent leur postérieur. Le sergent
est rouge de colère, il appuie sur le bouton d'ouverture de la
portière et pose un pied sur le sol.
Là
c'en est trop, je sors verbaliser ces abrutis pour exhibitionnisme !
Et ils vont faire quoi là, ils vont chier par terre comme des
bêtes ?
L'adjudant
l'attrape de justesse en lui saisissant le bras, le sergent tourne
vers lui un visage contrarié.
Attends, je
crois savoir de quoi il s'agit ! Tiens, je vais te
montrer.
L'adjudant
ouvre sa mallette et en tire un prospectus en papier biodégradable
et écoresponsable, y est imprimée une page de publicité qui vante
un tout nouveau produitinspiré de l'utilisation détournée
des téléphones portables de plus en plus miniaturisés, le plug
anal appareil photo.
Toi
t'as pas vu le reportage télé hier soir. J'me trompe ? Pour
une fois on y parlait d'autre chose que de chasse aux terroristes. Tu
devrais décompresser de temps en temps.
Le
sergent hoche négativement la tête, mais il commence à transpirer
à grosses gouttes.
Tu vois, de plus en plus
les gens conservent leur plug anal enfoncé profond pendant qu'elles
s'adonnent à d'autres activités, voire même en présence d'autrui
comme toi et moi.
Le
sergent commence à se sentir mal, mais son chef poursuit.
Sans
qu'on le sache, pour éprouver du plaisir à chaque instant, pour
qu'y ait pas d'injustice ! Y paraîtrait que c'est bon pour la
prostate, ça la stimulerait.
Le
sergent fait une grimace exprimant le dégoût, il regarde l'adjudant
avec suspicion, et si... Puis il chasse cette idée folle de sa tête
et inspire profondément.
Oui
et alors, peut-être, mais là c'est de l'exhibition et rien
d'autre !
Il
prend le papier dans ces mains et le lit en détail. Le nouveau
slogan est que la photographie doit devenir un moment plaisir qui
doit être partagé.
Et comment qui s'y
prennent pour prendre la photo ?
D'après
c'qu'on dit y a un capteur derrière le bazar, il suffit de pousser en
serrant les dents, comme quand....
Le sergent saisit le prospectus des mains de son collègue et le
range avant qu'il ne voit l'emballage vide.
Heureusement qu'il n' a pas encore mangé les fayots conseillés
avec, sinon il aurait mitraillé !
29) Le
bonheur des hommes et des bêtes !
Préambule :
Une
expérimentation fut réalisée dans une porcherie-école de
Normandie, 47 porcs reçurent chaque semaine la visite d'un
artiste plasticien, un projet intitulé « 180 jours de
bonheur » subventionné par plusieurs organismes officiels. Des
porcs purent jouer avec un ballon bleu de yoga et entendre le bruit
des vagues, un cochon élu eut même le privilège de marcher 35 km
jusqu'à la mer, et suprême gentillesse, ils eurent droit à un
concert gratuit. Bien entendu, la finalité n'était pas seulement de
lutter contre les images abominables diffusées sur les élevages par
des âmes sensibles destructrices d’Économie, mais de mesurer
l'influence du taux de bonheur des porcs sur la qualité finale de
leur chair si rose, si belle, si attirante. Les êtres humains ont
parfois des intentions qui sont nobles, mais il ne faut tout de même
pas abuser. C'est comme pour les guerres dites démocratiques, on
veut bien débarrasser un pays de son dictateur, mais ce n'est pas
gratuit, c'est même souvent un pillage dévastateur qui est
planifié. Après nous nous étonnons que ces barbares veulent poser
des bombes chez nous. Mais bon... Si tout est bon dans le cochon,
rien n'est sans arrière-pensée chez l'homme qui mieux que toute
autre créature sur Terre, et peut-être dans l'Univers entier, sait
se comporter comme le feraient des démons. En Chine, les choses sont
traditionnellement différentes, c'est cette fois-ci la torture
raffinée qui garantit à la viande une haute qualité gastronomique.
Pendant le festival de Yulin, les chiens et les chats sont éventrés,
dépecés, ébouillantés vivants ou tués à coups de bâton pour
finir dans les assiettes, car l'on estime que
plus la bête souffre, plus la viande sera goûteuse ! Cette
découverte culturelle permit aux épicuriens occidentaux de
découvrir une autre voie que la leur dans la recherche de toujours
davantage de plaisir gustatif, pour savourer une viande toujours plus
tendre, surtout pour les doux enfants à qui la fessée est désormais
interdite. Ces âmes pures méritent tout ce qu'il y a de bon, et
bon rime toujours avec cochon. Il convient de savoir que depuis 1964
l'étourdissement des animaux est devenu obligatoire en France pour
éviter la souffrance, mais que cependant – est-ce une surprise ?
– une dérogation permet d'égorger les animaux conscients dans le
cadre de l'abattage rituel, qu'enfin cette pratique s'est généralisée
en dehors du cadre religieux. Quant à l'utilisation de la tige
perforante destructrice du cerveau, l'échec est estimé entre 6% et
16% chez les bovins. Les êtres humains se sont tellement fait la
main sur les bêtes, que le massacre de leurs semblables ne nécessite
aucune qualité particulière.
Développement :
Bonjour
madame !
La
patronne lève des yeux vitreux et très pâles, elle se tient assise
sur le tabouret positionné derrière la caisse enregistreuse
numérique, le gras de son postérieur dépasse en bourrelets
frémissants, son tablier est taché de sang, mais la boucherie est
un modèle du genre qui attire les meilleurs restaurateurs. Son mari
élève lui-même les bêtes qui finissent leur courte vie dans
l'arrière-boutique.
Bonjour Madame, et Bonjour
mademoiselle, entrez je vous prie !
Sur
le seuil de l'établissement se tient par la main une maman et sa
fille âgée de 8 ans. Fluette, la petite est toute habillée de
vêtements sombres, avec deux longues tresses de cheveux noirs, sa
bouche vermeille a les lèvres pincées. Ses yeux également de
couleur de jais expriment le vide vertigineux de ceux qui ne
manifesteront aucune empathie. La petite fille rentre dans le magasin
et ne s'arrête qu'une fois arrivée devant la caisse enregistreuse,
la patronne est obligée de se pencher en avant sur le comptoir, peu
habituée à une intrusion aussi déterminée. Tout ce sang et les
longs gémissements des bêtes martyrisées retournent généralement
l'estomac des chasseurs les plus endurcis.
Tout comme le bourreau, le
boucher inquiète et provoque des sueurs froides.
Bonjour
ma petite, comment tu t'appelles dis-moi ?
Lisa Madame, mais
je suis un garçon !
Ah ! Très bien, et qu'est-ce que
tu veux Lisa mon garçon ?
Mon papa m'a promis que je pourrai
moi-même préparer ma viande, parce que je reproche souvent à maman
de ne pas me donner à manger une viande assez tendre. N'est-ce pas
maman ?
Sa
mère l'a suivi à l'intérieur du magasin, elle hoche la tête en
signe d'acquiescement, mais avec une boule tout au fond de la gorge.
C'est son père qui a voulu qu'elle vienne ici lorsque Lisa lui
annonça vouloir devenir un garçon. « Tu
veux être un homme, hé bien tu vas te comporter en homme ! »
lui rétorqua-t-il sèchement. Lisa n'avait même pas pleurée, pas
une larme.
Lorsqu'elle passe à
l'arrière-boutique pour torturer son animal, un bœuf de 700 kg que
Lisa a choisi elle-même, la patronne affirme qu'elle ne risque rien
car l'animal est entravé dans une cage renforcée en titane. Mais sa
mère ne peut pas supporter bien longtemps le vacarme des ruades ni
les beuglements. Avant que sa fille ne sorte de la boucherie
recouverte de sang, elle s'enfuit pour aller pleurer. Déjà, fille
de province, elle ne supportait pas comment son propre père
choisissait un petit cochon à la ferme, pour aller se réjouir de
l'engraissement de l'animal et le contempler en l'encourageant.
Chaque samedi, il disait qu'il allait visiter son cochon, voir s'il
se portait bien.
Bien
loin de là, le père de Lisa est assis dans un restaurant asiatique.
Il allait faire demi-tour lorsqu'il il avait vu le serveur retourner
derrière la vitre la pancarte pour signifier la fermeture, mais le
Chinois ouvrit malgré cela la porte avec un grand sourire et
l'invita à entrer. Ce n'est pas en France que l'on serait reçu avec
autant de courtoisie. Il était déjà tard et il ne trouverait pas
d'autre restaurant ouvert.
Le serveur l'a installé à une petite
table qui jouxte un grand aquarium éclairé par une douce lumière.
Quantité de gros poissons de 20 à 45 cm le sillonnent en long et en
large.
Je peux choisir mon poisson et vous me
le cuisinez aussitôt sur le grill ?
Le
Chinois fait un large sourire, une légère courbette, mais le
contredit avec contrition.
Non Monsieur, nous
sommes désolé, ce sont les poissons du patron, ils ne sont pas à
manger.
Tant
pis, bon alors proposez moi ce que vous avez de mieux.
Pendant
qu'il mange une mixture épicée, le père de Lisa surveille de plus
en plus la paroi de l'aquarium, il n'aime pas la manière dont tous
les poissons se sont agglutinés à côté de lui et l'observent tout
remuant les nageoires, la mâchoire inférieure écrasée contre le
verre, cela le met très mal à l'aise. Les dents ont l'air énormes,
ce doit être un effet déformant de la vitre. Alors que le
serveur tire les tentures sombres derrière la vitrine du restaurant,
il pose une question.
De quelles espèces de
poissons s'agit-il ? De bien beaux spécimens il a votre patron,
mais j'arrive pas à mettre un nom dessus. Attendez, ce ne serait pas
la dorade royale ?
Non Monsieur, ce sont des Serrasalminés,
des piranhas plus exactement, et on dirait bien qu'ils vous
apprécient beaucoup Monsieur. Vous savez, ces animaux chassent en
meute.
Son
dernier client n'a pas le temps de se relever, le serveur lui porte
un violent coup à la tête, son corps s'effondre sur la table puis
glisse à terre. Il lui passe une large sangle sous les épaules et
avec un palan le suspend au-dessus de l'aquarium. Déjà l'eau est
agitée de mille tourbillons et devient rougeâtre, dommage que le
patron ne soit pas là pour profiter du spectacle. C'est tout juste
si le lendemain un œil averti aurait remarqué un morceau déchiré
de cravate qui dépasse d'une gueule armée de dents tranchantes
comme un rasoir. Mais si le poisson ne vous aime pas, il continue sa
ronde aquatique parmi ses congénères, et vous ne le revoyez jamais,
ni même une semelle.
Le lendemain matin
Lisa va en cours d'orientation sexuelle. Le maître leur a demandé
de dessiner comment ils voudraient être et comment ils se voient.
Lisa déteste dessiner, elle rentre fièrement en classe, la poitrine
écrasée, avec maintenues devant elle, par une grosse ficelle, deux
testicules de 10 cm qui encadrent un pénis de 40 cm de long qui
oscille quand elle marche, arrosant le sol de classe de gouttelettes
de sang. Les enfants rient à tue-tête, mais l'instituteur fait un
malaise cardiaque.
Quant
à Lisa, elle se fiche de la tendresse de la
viande, c'est devenir un garçon qu'elle veut et obtient! Sa mère
quant à elle a décidé de contrer les recommandations de la
nutritionniste, elle servira des menus végétariens à sa fille et à
son mari. Toutes ces atrocités inutiles, cela commence à bien
faire, aucune bête ne saurait être vorace à ce point et manifester
autant de sauvagerie ! Sur l'écran de télévision, une
publicité vante le recours aux tortures les plus raffinées pour
offrir la chair la plus douce, une torture fine pour un goût plus
fin, une torture prolongée pour un plaisir qui dure et durera pour toujours.
30) FLNC !
Préambule :
La
pire erreur d'appréciation que l'on puisse faire, c'est de croire a
priori que nous sommes dans le camp des gentils. C'est non pas
l'origine, mais la matière de toutes les guerres. Bien sûr on
essaye de nous le faire croire, par la force, mais rien n'est plus
étranger à la recherche de vérité. Platon disait avec Protagoras
: « Il
n'y a pas un seul sage à juger qu'il y ait un seul homme qui
commette des fautes de son plein gré et qui, de son plein gré,
réalise des actes laids et mauvais. Tout au contraire, les sages
savent parfaitement que tous ceux qui font des choses laides et
mauvaises les font malgré eux
». Nous opposons le progressisme à la dictature, rien n'est plus
faux. Le suprémacisme racial se prétendait démarche scientifique,
le nazisme s'est inspiré du Fordisme qui lui-même l'avait fait des
abattoirs de Chicago. Le camp de concentration doit être saisi comme
paradigme bio-politique où la règle et l’exception deviennent
indiscernables. Les camping furent à l'origine des petits coins de
verdure, des endroits sommaires, lentement l'exception sécuritaire
s'est imposée comme la règle commune, avec des patrouilles, des
barrières à l'entrée, des caméras vidéos, cartes et des pass,
des bracelets à porter au poignet. Et désormais la puce RFID. De
plus en plus l'être humain s'est mis à ressembler au bétail, dans
les camps naturistes tout particulièrement. Il est dit que le
vêtement est une barrière sociale, mais la nudité efface ce qui
nous différencie, elle transforme les personnes en individus, les
individus en marchandise. Les raisons écologiques invoquées sont
des prétextes. Ce qui aurait dû rester exceptionnel a pris le pas
avec la structure concentrationnaire de la logique sécuritaire,
elle-même tributaire de celle marchande. Les campings d'aujourd'hui
sont des camps de concentration miniatures calqués sur les multiples
milieux d'enfermement de la société moderne, l'aspect ludique a
pour finalité de soutirer le maximum d'argent dans un minimum de
temps. Ainsi le camping moderne ressemble au camp de travail où il
s'agissait de faire bosser gratuitement des groupes d'êtres humains,
sauf que cette fois-ci il s'agit de ponctionner la carte bancaire en
enfermant ceux qui le veulent bien dans un espace le plus clos
possible, pour les inciter à ne pas sortir. Pour ceux qui ont connu
l'esprit du camping, il s'agissait d'un « droit à la nature »
décrié aujourd'hui en tant que « camping sauvage » qui
va désormais à l'encontre de tous les règlements, par inversion
radicale il est devenu l'exception. La règle et l'exception ont fini
par devenir indiscernables pour l'immense majorité des clients
conditionnés sur cette voie, il leur semble aujourd'hui normal de se
laisser enfermer dans un espace concentrationnaire. La vie y est
vendue en boîte, la culture devient folklore, la liberté s'est
transformée en surveillance « pour votre sécurité ».
En réalité, le système de l’Économie touristique organise la
ponction des salaires. En France, la halte nocturne est légale en
quelque endroit de la commune, mais l'interdiction prévue par la
loi, en ce qu'elle doit être selon le législateur justifiée et
demeurer exceptionnelle, s'est généralisée avec les affichages
municipaux d'interdiction, ceci avec la complicité laide des forces
de l'ordre et de la Justice. Face aux enjeux marchands, il est
impossible de revendiquer quelque droit qui s'oppose à la logique du
profit et de la massification. En cas de résistance, la bête
s'acharne à briser le récalcitrant. L’État, pour subsister, a
tout intérêt à favoriser le tourisme de masse, ce dernier permet
de ponctionner en un temps record, avec la TVA, l'argent qui n'a pas
été saisi avec les impôts directs. La recherche du bonheur défini
par le respect de l'ipséité n'y aucune part, dans le monde moderne
l'avoir ronge l'être en sapant les humanités nuisibles aux profits
laminant de la grande distribution. C'est une pure barbarie.
Développement :
Pousse-toi,
j'arrive pas à voir !
Moins fort Marc, tu vas finir par nous
faire repérer.
Marc
ajuste le panier à salade qu'il a sur la tête, les brindilles et
les feuilles fixées dessus ont tendance à se défaire et à lui
boucher la vue.
Combien
de temps va t-on attendre encore ?
On attend que la
patrouille soit passée, tiens la voilà qui vient à droite !
Les enfants, vous bougez pas surtout, attendez que je vous le dise.
Après vous resterez bien groupés derrière moi.
Un
rottweiler, tout en en reniflements et en giclées de bave, tire sur
sa chaîne renforcée et entraîne un gardien longiligne qui trottine
derrière de façon erratique, trébuchant par intermittence. La
veille, un enfant était resté accroché au-dessus de la grille qui
le soir est fermée et isole le camping de la longue plage de sable
fin. Les bains de minuit sont totalement interdits puisque la
baignade n'est pas surveillée. Il n'est pas rare de voir des
touristes accrochés au grillage, les doigts bleuis passés dedans,
pour venir contempler les couchers de soleil. Cette grille surmontée
de fil de fer barbelé permet de lutter contre les touristes non
inscrits qui voudraient profiter des animations gratuites, comme le
karaoké du mercredi, l'une des deux activités intellectuelles du
camping. L'installation fut un temps électrifiée, mais l'odeur d'un
cadavre grillé à point détourna les clients du restaurant qui
perdit beaucoup d'argent ce soir-là.
Comme il y eut des témoins au
lever du jour, il y eut une enquête, mais celle-ci ne permit pas de
déterminer si les morceaux manquants furent dévorés par un chien
ou un touriste, les résultats de l'analyse de l'empreinte génétique
ayant malheureusement disparu. Depuis lors, l'installation électrique
a été remplacée par les rondes, il est juste conseillé de ne pas
se promener en pleine nuit, par exemple pour aller aux toilettes,
pour éviter de se faire mordre par un chien qui aurait arraché sa
muselière, comme cela est arrivé. Pour la nouvelle saison, un
couvre feu a été instauré de une heure du matin à cinq heures,
car le camping de 20.000 places « TOUT POUR LE GOGO »,
met tout en œuvre pour la sécurité de ses clients, car le respect
de la vie est sa priorité. Le chien et son humain ont disparu
derrière les baraquements de prisonniers, la dernière activité qui
fait la fierté du camping, un loisir éducatif largement
subventionné par l’État et qui entend instruire ceux qui n'ont
pas suffisamment compris les conséquences du stalinisme et du
maoïsme. À
la
fin de la semaine, avec un supplément à payer pour le régime sec
et la tenue rayée, une attestation de stage de citoyenneté est
gracieusement offerte. Cette activité a un succès fou, les clients
arrivent par wagons entiers. Si le client standard a toujours le
choix de participer ou pas, car pour lui tout est une question de
choix, les délinquants sont contraints de suivre ces stages de
sensibilisation, aussi que leurs parents, les professeurs déchus et
historiens corrompus par la « complotite aiguë », une
forme de rage dévastatrice.
Pour l'instant, il est 10 heures,
c'est le moment de la soirée techno du samedi soir et les baffles
monstrueuses inondent le camping d'un vacarme assourdissant. C'est le
moment attendu, il ne faut pas traîner. Le chef de groupe siffle
entre ses doigts pour attirer l'attention de ses gars, il prend son
talkie-walkie pour ne pas avoir à utiliser un téléphone portable
qui risquerait d'être sur écoute et d'être tracé. La lutte pour
la liberté exige en effet de restreindre celle-ci au maximum.
Allo,
allo, allo ! Tu m'entends ? Allo ! Tu m'entends ?
Cinq
sur cinq chef ! Je t'entends cinq sur cinq !
Tu peux y aller,
amène vite le 4X4.
Tous
feux éteints, un vieux 4X4 tout rouillé roule sur le sable
qu'éclaire seulement la lune montante, il avance en marche arrière
vers la grille de quatre mètres de haut, le conducteur coupe le
moteur.
Vas-y,
tu peux lancer ! Te rates pas surtout !
Un
rouquin, le visage rayonnant, fait des moulinets avec son bras, le
trident s'envole avec sa chaîne vers le sommet du grillage et s'y
fixe. La soirée musicale a étouffé tout bruit métallique. Il n'y
a toujours pas de caméra de surveillance dirigée à cet endroit
vers l'extérieur du camping. Le rouquin donne à la chaîne quelques
coups en arrière pour vérifier qu'elle est bien fixée, puis il
fait un signe de tête en s'éclairant d'une lampe de poche qu'il
masque à moitié. Il remonte dans le véhicule et enclenche la
première. La chaîne se tend, vibre, la partie haute de la grille à
deux battants se tord, se plie, se déchire puis bascule du côté de
la mer. Le 4X4 l'entraîne un peu plus loin.
Venez
les enfants ! Courez ! Courez ! Allez !
Les
enfants arrivent au bord de l'eau, il n'y a que des vaguelettes,
alors les conditions sont idéales. Quelques-uns ouvrent de grands
yeux. Après avoir mis leurs vêtements en boule sur le sable, ils se
précipitent en maillot dans l'eau en faisant de grandes gerbes !
Ils rient aux éclats. C'est le premier bain de minuit de leur
existence, et ce sera sans doute le dernier. Un moment de pur
bonheur !
Marc,
c'est à toi maintenant, ton rôle est le plus important. Tu sais ce
que tus as à faire ?
Oui chef, vous en faites pas pour ça !
Ils vont bien me mettre au trou !
Marc
enlève le panier à salade qu'il a sur la tête, il se déshabille
aussi vite qu'il peut avec son embonpoint qui ralentit ses
mouvements, puis il se dirige courbé vers l'endroit convenu. Caché,
il regarde sa montre, les enfants ont droit à encore trente minutes
de liberté. Il observe longuement l'aiguille trotteuse de son
chronomètre. Alors soudain il se remet debout et vient se placer
exactement dans le champ d'un des projecteurs qui balaie
continuellement de sa lumière blanche la zone des baraquements de
prisonniers, le puissant faisceau lumineux le dépasse puis revient
s'immobiliser sur sa personne, en haut du mirador un surveillant
déclenche une alarme qui peine à surpasser la musique techno qui va
durer encore deux heures et pousser les campeurs incapables de dormir
à venir consommer des boissons dans des verres en plastique, assis
sur du béton. Ne
bougez pas ! Posez vos mains bien en évidence sur la tête !
Pas de geste brusque !
Le
gardien et son chien se sont précipités sur un prisonnier qui
s'évade, Marc a une appréhension, il transpire quand le molosse
tenu à bout d'une laisse qui craque vient approcher les babines
qu'il retrousse vers son bide. N'est-il pas censé porter une
muselière ? Mais le collier étrangleur tient bon et le gardien
finit par tirer le chien en arrière. Marc se laisse emporter vers
les baraquements, le gardien l'emmène au cachot après avoir vérifié
qu'il avait bien payé le supplément évasion. Marc vérifie sa
montre en douce, à présent les enfants ont dû regagner leurs
tentes accompagnés par le chef de l'expédition, le rouquin a dû
signer leur opération avec le sigle FLNC, elle action restera selon
lui historique pour l'organisation du Front de la Libération
Nationale des Campings.
La joyeuse bande s'est retrouvée le
lendemain autour d'une table isolée d'un des bars du camping, les
sièges sont en béton pour que personne ne les casse, et les verres
en plastique. Sur les murs sont accrochées les affiches habituelles,
« toute pensée individualiste est une offense faite à
autrui », « la vraie liberté n'est pas de penser, mais
de consommer », « tous ensemble nous faisons une seule
famille », « parent 1 et parent 2 offrent toujours des
jeux sans distinction de genre ». Le chef se rappelle la phrase
d'un humoriste qui aurait été assassiné, « si voter servait
à quelque chose, il y a longtemps que ça serait interdit » il
aimerait bien voir une tel slogan dans un camping. Marc baisse la
tête, il imprime avec le coude un petit mouvement circulaire à son
verre et regarde tourner le liquide coloré en vert pour que les gens
l'achète. La menthe, c'est censé être vert et non transparent,
alors on met du colorant. Putain de monde de merde !
Que
pourrions-nous organiser après l'opération d'hier ?
Je sais
pas, c'est bien toi le chef.
Peut-être démonter la barrière à
l'accueil ? Ça vous choque pas cette barrière ?
Si
bien sûr, mais moi c'est les caméras, ça me rappelle trop les
heures les plus sombres !
La barrière ils en mettraient une
autre, la dernière a résisté à la tentative d'enfoncement.
Oui,
et tu te souviens, il avait fallu mettre hors service la dizaine de
caméras positionnées à l'accueil, et maintenant elles sont toutes
reliées par le WIFI ! Et qu'en est-il de la puce RFID qu'ils
veulent rendre obligatoire ? Vous savez que tous nos
déplacements seront enregistrés. La résistance est déjà
morte.
Le
chef déglutit avec peine, il sait que la start-up Neuralink, fondée
par Elon Musk, avait présenté l'interface neuronale implantée dans
le cerveau. L'être humain sera relié à la machine, ou plutôt le
contraire. Dès 2020-2021, il aurait lancé les tests cliniques avec
les humains, mais comme toujours l'armée s'est probablement saisie
de la technologie, allez savoir ce qu'ils font aux gamins. Cela fait
longtemps que la vaccination de masse est jugée suspecte par les
complotistes dont les portraits s'affichent sur les écrans, pour
favoriser la délation citoyenne. Le chef regarde la pancarte
accrochée sur un mur extérieur, « Si tu aimes ta famille,
dénonce-là ! ». Auparavant, jamais à court d'idées, le
pouvoir avait réussi à conditionner la masse en lui faisant croire
que le travail libère ou que voter est un devoir.
Comment
ils font ça ?
Ils l'implantent depuis longtemps dans la
paume de la main droite.
Marc
désigne de l'index un emplacement précis sur sa main.
Ils
te mettent ça là, et te voilà comme le bétail. Y a pas que la
fonction de paiement, ça c'est pour attirer les couillons, ça
envoie toute sorte de données, de ton taux d'alcool dans le sang
jusqu'à ton rythme cardiaque. Vous avez jamais entendu parler du
professeur Delgado et de la puce cérébrale « Stimoceiver
» ? Perte de mémoire, perte de capacité de concentration,
élimination du seuil émotif, diminution de réactivité cérébrale.
On va devenir des zombies si on ne fait rien et on s'en rendra même
pas compte ! Même pas compte.
Le
rouquin lève la tête et contemple la reproduction de Guernica
qui couvre le mur du fond, il sort en douce le dernier tract qu'il a
imprimé : « Et
elle fit que tous, petits et grands, riches et pauvres, libres et
esclaves, reçussent une marque sur leur main droite ou sur leur
front, et que personne ne pût acheter ni vendre, sans avoir la
marque, le nom de la bête ou le nombre de son nom ».
Sur les écrans publicitaires qui les cernent, des visages
synthétiques avec des voix douceâtres ne cessent de vanter en
boucle l'excellence des activités payantes du camping. Ils sortent
enfin, mais non sans avoir monté le son au maximum pour rigoler un
peu. C'est fou le bien que ça fait.
Des
travaux attirent l'attention du rouquin et de Marc qui s'apprétaient
à sortir.
Tiens
regarde, il sont en train de modifier l'entrée du camping. Attends,
c'est quoi ce truc qu'ils montent avec la grue là ? On dirait
une banderole.
Moi je trouve que ça ressemble à un panneau
ondulé, comme du fer forgé.
En
passant de l'autre côté de la barrière, ils lisent enfin « Le
camping rend libre ».
Ils
n'ont pas osé ? Dis-moi que je rêve !
Ben non, on
dirait bien tu rêves pas. Je crois que du travail nous attend encore
ici.
Ouais t'as raison, d'une certaine façon notre travail à
nous rend
libre !
Et
les voici partis à rire comme des dératés, en fredonnant le chant
des partisans.
Du bureau de gestion du camping qu'il a fait
ressembler à un mirador, les poings sur les hanches, le directeur
observe la progression des travaux. Il sourit, il est ravi de la
tournure des événements. Il en est certain, les dernières
modifications vont attirer quantité de gogos qui vont se
précipiter sur les nouvelles attractions. Il lui vient une idée, il
faudrait qu'il embauche des figurants pour tenir le rôle de
saboteurs. Mais il fronce les sourcilles, il vient juste d'oublier
les derniers actes de sabotage. Il se tourne alors vers sa secrétaire
et hurle les yeux injectés de sang et en serrant les poings qu'il
tend implorant vers le ciel, le regard proprement halluciné.
Vous
m'entendez ! Les terroristes, c'est moi et personne d'autre !
Puis
il remarque que Laurie le regarde stupéfaite, elle ne bouge plus. Il
baisse la tête et se passe la main dans les cheveux pour réajuster
sa mèche qui commence à pousser.
31) L'oubli !
Préambule :
Elle ouvre la
portière, un air frais désagréable s'engouffre à l'intérieur.
Elle se penche en arrière et saisit en faisant une grimace son pull
irlandais qui est posé sur la banquette arrière.
Jean,
tu viens avec moi faire un petit tour ?
Non,
ça me dit pas trop, fait un peu friquet. Si tu veux je te prépare
un café bien chaud.
Lucette enfile
son pull par le haut et l'ajuste en frétillant.
C'est
gentil, j'en ai pas pour longtemps, nous le boirons à mon retour.
La
voiture de location est garée sur le bas-côté, au milieu des
crottes de mouton, la route sinueuse continue en descendant vers un
petit lac proche qu'elle longe jusqu'à son extrémité. Lucette
dépose un petit baiser sur le front de Jean, elle lui sourit et s'en
va d'un pas alerte, la sangle de son appareil photographique posée
sur l'épaule. Arrivée au niveau du plan d'eau surmonté par une
haute montagne aux rochers sombres, Lucette remarque une barrière en
bois qui est relevée, un chemin défoncé semble suivre le bord de
l'eau, et il mène probablement à une ferme. À la recherche d'un
meilleur point de vue, elle décide de s'engager sur une courte
distance. Il sera toujours temps pour elle de faire demi-tour.
Trouvant le temps long, Jean finit par faire chauffer l'eau et
prépare le café, il verse celui de sa compagne dans la bouteille
isotherme et goutte le sien tout en soufflant dessus. Une douce
chaleur se répand entre ses doigts, c'est une drôle d'idée de
partir en vacances en cette saison. Jean décide finalement de
partir à la recherche de Lucette. Il sait qu'elle aime s'attarder à
prendre des photographies, mais là cela fait plus d'une heure, ce
n'est pas normal. Il espère que ne lui est pas venue l'idée
d'escalader les rochers escarpés que les mousses rendent
glissantes.
Lucette ! Tu
m'entends ? Ohé Ohé ! Lucette ! Lucette où es-tu ?
Lucette ma chérie !
La connaissant bien,
Jean est persuadé qu'elle a pris le chemin sur la droite. Sur un
vieux panneau en bois spongieux tout rongé par l'humidité, on peut
encore déchiffrer « The Lost Valley ». Ce chemin ne
cesse de sinuer pour suivre la rive, il monte et descend pour
enjamber les buttes recouvertes de bruyère, et la visibilité reste
de quelques dizaines de mètres seulement. Quelques enjambées plus
loin, il y a un tournant plus marqué, Jean accélère le rythme,
mais quelque chose attire son regard, un mouton en train de brouter
avec application a un objet autour du cou. Jean trouve ça bizarre,
il s'approche doucement. Avant que le mouton l'ait vu, se soit
accroupi sur les pattes arrières pour uriner, puis fuir prestement,
il a bien semblé à Jean voir une cravate autour du cou, il hausse
les épaules car parfois les moutons se coincent la tête entre des
fils barbelés. Quels animaux stupides ! Tiens, cet autre s'est
enfilé on ne sait comment un vieux pantalon tout troué qui lui pend
derrière !
Alors le mouton, on a
enfilé la tenue du dimanche ? C'est du sérieux là !
Jean
éclate de rire à sa propre blague, puis soudainement son visage se
fige. Tout en haut du talus sur la droite, il reconnaît l'appareil
photographique de Lucette. Il pend par la lanière au cou d'un mouton
qui le regarde estomaqué. La bête très bête se détourne aussitôt
et disparaît en bêlant, Jean se met à courir derrière, mais en
vain. Essoufflé, il se passe la main sur son front trempé de
sueur.
Mais, qu'est-ce que ?
Le
mouton est toujours hors de portée, mais Jean tombe sur les
vêtements que portait Lucette, ils sont éparts et jetés
négligemment dans l'herbe. Elle n'est pas allée se baigner tout de
même, l'eau doit être gelée ! Et si c'était un de ces
bouseux qui l'avait violée ? Jean s'assoie dans l'herbe pour
reprendre ses esprits, tout cela fait beaucoup, et c'est tout
embrouillé dans sa tête, il a besoin de réfléchir. Réfléchir,
oui mais à quoi déjà ? Il passe la main sur les brins d'herbe
et en arrache un qu'il porte à sa bouche, ce n'est pas mauvais, ça
a du goût. Puis il en prend un autre, puis encore un autre. Jean,
mais est-ce encore Jean ?, réalise qu'il a vraiment faim. Cette
herbe verte est vraiment irrésistible, et Jean, mais qui est Jean ?,
et qui déjà ?, se met sur les mains pour mieux brouter. Quel
délice ! Bah, il n'est plus temps de ruminer !
Développement :
Le
fourgon a le hayon arrière qui claque, Justin a dû mal le refermer.
Mais son véhicule est une antiquité, dans la mesure où il y aurait
encore des gens qui s'intéressent aux vieilles choses. Les vieilles
choses, il y en a tout au long de la piste, calcinées, rouillées,
pillées, démembrées. il n'y a que l'embarras du choix. Mais ce
sont des épaves, les engins en état de marche sont devenus
extrêmement rares, non à cause du manque de pièces, mais de la
connaissance pour en comprendre le fonctionnement. Pour faire tourner
le moteur, Justin extrait lui-même l'huile qui remplace le pétrole
des anciens jours. On lui a dit que ce carburant était tiré du
sous-sol, c'est quelque chose à laquelle il a beaucoup de mal à
croire.
Il paraît aussi que la pédale du milieu servait à
s'arrêter, c'est aujourd'hui l'ouverture du parachute qui fait
office de frein, souvent, il doit le reconnaître, de manière
aléatoire. Mais bon, on ne s'arrête que rarement au cours de la
journée, si l'on prend garde de rester dans la plaine. Les chevelus,
quant à eux, ont investi les hauteurs, ce qui rend la chasse
périlleuse. Mais celui qui ne bouge plus de la terre aride est
potentiellement mort. La vie n'est que mouvement, et c'est le
mouvement qui maintient la vie.
Les
roues tournent de moins en moins vite, la grande toile rectangulaire
se ramasse sur elle-même, elle ondule et tombe en faisant tournoyer
une fine poussière. Le métal des jantes qui mord dans l'asphalte
troué finit par s'immobiliser dans celui-ci. Justin saute de la
cabine, il doit replier le parachute avant de vérifier le plein.
Putain
de saloperie ! Pas le moment de me faire siphonner mon
carburant !
Il
finit de brasser la grande toile recousue de toute part, il la
replace en bon ordre dans son conteneur et vérifie la commande du
clapet qui en commande l'ouverture.
Heureusement
que le frein ne m'a pas trahi pendant cette putain de chasse !
Bon, voyons un peu à l'intérieur.
Une
dizaine de chevelus pendent à une barre attachés aux poignets, les
pieds dans le vide, une profonde haine dans les regards fixés sur
Julien. Justin les avait tous attrapés au filet, après avoir creusé
une profonde fosse à la lisière de la forêt. Vous
m'auriez mangé, pas vrai ? Vous comprenez même pas ce que je
dis, n'est-il pas vrai ? Bande de dégénérés ! Un
des chevelu particulièrement obèse se lèche les babines en le
fixant, il n'a pas dû encore saisir dans quelle situation il se
trouve, Justin en tirera bien cinquante litres de carburant, c'est
sans doute ce qu'on appelait autrefois les graisses saturées. Il
faudra surveiller la cuisson pour ne pas en perdre une goutte.
Alors
c'est vous les « bonnes femmes » ? Vous savez qu'y
en a qui disent qu'on faisait partie de la même espèce ?
Quelle connerie ! Mais regardez-vous !
Justin
quant à lui pense que « bonne femme » est une altération
de la langue, que l'on disait de quelque chose qu'elle est fameuse,
et en l'occurrence le carburant tiré des chevelus a une excellente
réputation, il sature bien la poussée du moteur. Mais si les
chevelus qui vivent reclus dans les montagnes n'ont pas besoin de
pétrole, ils sont toujours en manque de nourriture, aussi Julien
veille à ne pas trop s'approcher, un coup de dents peut vite être
fatal. Le chasseur est souvent la proie.
Mais
regardez cette femelle les filles ! elle croit vraiment qu'elle
va nous cuire ?
Justin
a fait chauffer le grill, il s'apprête à extraire l'huile, aussi
choisit-il un chevelu et entreprend de le détacher, mais à cet
instant le plus gros lance sa dentition dans sa direction, fort
heureusement les mâchoires claquent dans le vide. Cependant, cela
suffit à le déséquilibrer, suffisamment pour qu'un autre le
ceinture avec ses jambes et le maintienne fermement dans
l'entre-jambe. C'est une partie de jambes en l'air qui s'ensuit,
Justin tombe sous le nombre, vite exténué il sombre dans
l'inconscience. Justin ne reprendra pas conscience, l'origine du
monde est parfois sa faim.
Assise autour du grill, les filles
savourent les morceaux encore brûlants. Béatrice, celle qui a
réussi le coup de ciseau, a droit au meilleur, elle se prépare un
aut'dog. Chaque fois qu'on mange un dog, vient l'envie d'en manger
encore un autre. Sophie, l'obèse du groupe, se lèche les babines
et montre les crocs. La cheffe lui rappelle les règles de la vie
en groupe.
Du
calme Sophie ! Tu as eu ta chance ! La prochaine fois
peut-être.
Sophie
sourit de toutes ses dents, cette perspective l'enchante. Elle saisit
un gros morceau de jarret et l'avale. Sans le savoir, Sophie est une
croqueuse d'hommes. Les morceaux non consommés seront
soigneusement emballés dans le parachute préalablement secoué et
découpé en serviettes, ils seront emportés dans la montagne pour
nourrir les jeunes procréés par GPA, la gestation par animaux,
essentiellement des truies ou des cochons transgenres. Ceux atteints
de la maladie, et qui sont les reptiliens porteurs de queue, sont
relâchés dans la plaine, ils serviront de garde-manger lorsqu'ils
quitteront leur territoire. Ce sera alors le temps de la récolte.
32) Des
hauts et des bas !
Préambule :
Tellement
haut c'était ! Trop haut peut-être ? Mais pas tellement
en fin de compte. L'élévation de l'homme est toute relative, elle
préfigure en l'annonçant une chute inéluctable, que ce soit par le
suicide du haut d'une falaise, d'un pont dans une eau
tourbillonnante, noire et glacée, ou plus conventionnellement au
fond de la fosse creusée du cimetière. Il n'existe aucune fin
heureuse, aucune sortie gratifiante, seul compte l'instant présent.
Matthieu n'avait pas d'enfant. Non pas qu'il jugeait ce Monde
injuste, dangereux ou peu viable, mais parce que les adultes sont les
enfants qui ne laissent que quelques rares fois imaginer les êtres
cupides et menteurs qu'ils sont en devenir, non pas du fait de
l'influence de la société qui serait négative, mais de ce qu'ils
sont de manière intrinsèque, nature profonde déjà lovée dans
l'être à naître et qui se déploie par la suite, et qui tire
inlassablement sa substance de celle des autres, et en suce la
moelle. Parfois ces autres paraissent se réveiller du cauchemar dans
lequel ils sont naturellement ou ont été plongés, comme pendant
l'épidémie de la peste jaune qui distilla dans les cerveaux le
poison du RIC ou Révolte Inopinée de la Conscience. Cette
conscience, stimulée on ne su pas vraiment ou ne voulu pas
reconnaître en haut lieu pourquoi ni comment, revenait à comprendre
que le Régime vole la souveraineté au peuple en instituant des
représentants de ce dernier, l'apparition d'un poison de la pensée
éveillée qui cassait abruptement la verticalité de la chaîne de
commandement.
Pour empêcher de voir clair, mais surtout démotiver
par la terreur, un maintien féroce de l'ordre au service de la
Finance fut appliqué sur le peuple pour le mater durement en le
marquant dans sa chair, avec la collaboration servile de la Presse.
Matthieu donc considérait que l'avortement n'est pas devenu un mal,
qu'au pire on se sait pas ce qu'il adviendrait d'un gosse que la mère
n'aurait pas attrapé par les jambes pour le fracasser contre le mur,
comme cela s'observe quotidiennement avec les traces sanguinolentes
et les débris d'os que les chiens vont laisser. Il faut convenir que
la crise est arrivée à un point de non retour et que la purge de la
troisième guerre mondiale, censée se produire en de pareilles
circonstances de chaos généralisé, tarde à se produire. De petits
conflits atomiques étaient bien survenus par-ci par-là, tout
d'abord au service des multinationales de l'énergie fossile, mais
ils n'avaient fait qu'empoisonner la totalité de l'air de la
planète. La technologie hypersonique des Russes avaient en effet
dissuadé les grandes nations libres d'envoyer la grande Armada, les
choses traînaient en longueur malgré la famine qui se généralisait
et le retour du cannibalisme tribal.
Développement :
En
2018, il y eut déjà des signes avant-coureurs de cette haine qui
grandissait, elle-même projection du désarroi et de
l'incompréhension. Pour exemple, aux États-Unis, la famille Walton,
propriétaire de Walmart, gagnait déjà 4 millions de dollars par
heure, 70.000 par minute ou 100 millions par jour, quand un employé
touchait 11 dollars de l'heure. Comme en France, la Justice ne se
penchait pas sur cette injustice tellement énorme qu'elle en devient
invisible, elle était particulièrement occupée à appliquer des
peines de prison ferme à des individus miséreux qui, poussés par
la faim, passaient à l'acte en allant voler dans les poubelles, ou
chapardaient une part de pizza. Au service des puissants, située
elle-même au sommet de l'échelle sociale de la démocratie, elles
se montrait particulièrement cruelle envers les laissés pour
compte, car les parasites, par leur nombre toujours plus gigantesque,
représentaient le véritable et unique danger pour le Pouvoir. Il en
avait une peur panique, c'est ce sentiment, ainsi que le dégoût que
lui inspirait la plèbe, qui poussa la classe dirigeante - non pas
les marionnettes de la politique, mais les hommes d'affaire toujours
plus riches - à construire des tours de plus en plus haute. Jusqu'au
jour où...
Et
toi, que faisais-tu ?
L'homme
est maigrichon, il a le teint blafard, il balbutie quelque chose
d'inaudible.
Plus
fort, on t'entend pas ! Faut-il que je répète la question ?
Je
... euh … huissier ! Oui, c'est ça, huissier de
justice !
Ah ! Bien ! Et ça sert à quoi un
huissier aujourd'hui ?
L'huissier est un officier
public ministériel
qui pour prendre un exemple a le pouvoir d'ordonner à l'employeur
d'un personne condamnée à verser des dommages et intérêts, et
d'effectuer des saisies sur son salaire.
C'est quoi ce charabia ?
Tu sers à quoi en fait ? Y a pas d'employeur ici. Hein les
gars, à moins que vous considériez tous que je suis votre
employeur !
Tout
autour les gars éclatent de rire et se tapent sur les cuisses. Le
visage de l'huissier passe par toutes les couleurs, il exprime
successivement la consternation, l'embarras, la crainte, l'homme se
demande s'il ne doit pas lui-même se forcer à rire pour attirer la
sympathie de ces brutes.
Monsieur,
je suis titulaire d'un office à qui l’État a délégué des
prérogatives de puissance publique ? Nous sommes nommés par le
Garde des Sceaux, et...
Tous
les visages se crispent, le silence revient immédiatement. Seul
l'huissier a encore un timide sourire sur sa figure blême, maigre
sourire qui s'efface à son tour avec une mine cireuse.
L’État ?
Tu travaillais pour l’État, cet État qui nous a plongé dans le
chaos ?
Oui Monsieur, je faisais un travail honnête !
Mais
à nouveau tous les gars s'esclaffent. C'est d'entendre que l'on peut
à la fois travailler pour l'État et faire un travail honnête qui
déclenche l'hystérie.
Vous
entendez ça ? Il faisait un travail honnête ! C'est
pourtant ton État qui a ruiné le peuple avec la dette et la
fabrication de la fausse monnaie. Mais dis moi, l'huissier, combien
tu gagnais, dis le nous sans fausse honte, qu'on sache !
Le
chef de la bande fait un clin d’œil à ses hommes.
Voyons
… environ 10.000 euros par mois.
L'huissier
remarque l'hostilité dans les regards sidérés, il tente de corriger le tir.
Euh
… mais certains de mes collègues gagnaient beaucoup beaucoup plus.
Et puis l'impôt, vous comprenez...
Et l'huissier, sais-tu
combien touchaient une infirmière ou un médecin urgentiste ?
Euh
… je ne sais pas.Voyons...
Il
commence à transpirer à grosses gouttes.
Beaucoup
moins l'huissier, considérablement moins, et pourtant ceux-là
étaient utiles, tout comme les paysans qui te
nourrissaient. Toi tu allais saisir pour ton État le peu qu'il
restait encore aux pauvres. On va donc voir si la loi qui régit la
pesanteur a moins de rectitude et plus d'empathie que celle qui
encadrait ta profession. Et les gars, vous êtes tous d'accord ?
Comme tu savais si bien voler, on devrait pouvoir admirer tes
performances en plein ciel.
Tous
grognent et hochent de la tête. Le plus baraqué attrape alors le
freluquet par le col et l'approche de la baie vitrée ouverte sur le
vide. Avec un ample mouvement du bras il l'envoie jaillir du 150ème
étage. Le hurlement est malheureusement très bref, mais tous se
penchent pour observer la chute finale à l'aide d'une paire de jumelles.
Moi
je trouve qu'il vole bien l'huissier ! Très stylée cette
envolée ! Une envolée de la Haute comme qui dirait ! Ah ah
ah !
Tu vas perdre tes paris, moi je pense que ce sont
les marchands qui volent le mieux ! Ils ont eu toute leur vie
pour s’entraîner avec leurs clients.
Tu racontes n'importe
quoi, les marchands c'est gros et ça tombe comme des boulets,
celui-là au moins fait quelques figures avec ses bras en croix.
Tiens regarde, il a heurté le sol au moins dix mètres plus loin que
le dernier banquier !
Alors là je dis qu'il a triché, dépassez un
banquier c'est pas possible.
Tous
rient de nouveau et de bon cœur. C'est formidable de voir qu'en
période de crise ultime la joie peut s'installer dans les cœurs. Il
est agréable de constater que la civilisation va repartir sur des
bases plus saines. Il y a quelques jours en arrière, ils avaient eu
sous la main l'inventeur des cookies sur Internet, ils l'avaient
obligé à avaler son poids en cookies en chocolat pour voir s'il en
ferait, lui aussi, une indigestion. Puis ils l'avaient relié à un
élastique pour réitérer plusieurs fois le plongeon. Le trottoir
tout en bas, beurk, dégueulasse !
Les
joyeux compères se relèvent et se
frottent les mains. une bonne chose de faite.
Mais qu'est-ce qu'on a là ? Ne serait-ce pas
un élu ?
Dans
la grande pièce vient de pénétrer un homme dépenaillé qui
autrefois devait être propre sur lui, des vêtements de qualité
l'attestent. Il est amené par deux gus hilares. L'homme, si tant est
qu'il s'agit bien d'un être humain, fait les gros yeux, il gonfle
les joues comme s'il voulait expirer de l'air, puis les rétracte, il
semble vouloir dire quelque chose. Il est poussé sans
ménagement.
Tiens
voici un suppôt de Satan, surtout ne lui enlevez pas le sparadrap
qu'il a sur la gueule, il risquerait de vous embobiner avec son
sempiternel baratin ! J'en profite pour vous demander de ne plus
faire monter des juges, ceux-là comme vous le savez ont droit à un
traitement de faveur.
Mais
le chef des joyeux lurons a un sourire radieux, derrière l'homme
politique il vient de reconnaître un des anciens très grands
patrons de l'industrie agroalimentaire. Depuis de nombreuses années
la justification sensée de la malbouffe était bien moins de faire
des profits colossaux, en vendant de la saloperie, que d'empoisonner
le peuple, dans le contexte démoniaque de la planification d'un
génocide planétaire. La contamination par métaux lourds, et
particulièrement l'aluminium des vaccins, avait pour avantage de
rendre autiste et de faire baisser considérablement toutes les
capacités intellectuelles. Effectivement, la moyenne d'intelligence
s'était effondrée. On avait par exemple vu des policiers jouer avec
leurs armes, certains s'étaient entre-tués, d'autres peut-être
suicidés. Le chef fixe le grand patron, ce dernier est hagard, son
regard n'exprime que de l'incompréhension, même pas de la peur. Il
est comme l'enfant qui vient de naître ou le vieillard sénile. Il
faut dire que le fait de l'avoir soumis à un champ électromagnétique
extrêmement intense avait grillé les circuits ou effacé les
données qui faisait de lui un immortel augmenté. Le langage est
perdu, l'homme balbutie des sons incompréhensibles, sa pensée, s'il
en a une, disparaît immédiatement dans le néant. L'industriel
censé nourrir le peuple, du mieux qu'il pouvait, connaît enfin
l'Enfer qu'il a participé à répandre, le peu de conscience qu'il
possède encore tourne en rond dans sa tête, de façon impromptue
mais interminable. Le chef est ravi, voilà qui compense un peu la
souffrance des parents dont les enfants naissaient sans bras, quand
des préfets s'en prenaient aux maires qui avaient le courage de
s'opposer aux pesticides. Il est reconnu comme ardu, si ce n'est
impossible, de désactiver la capacité à raisonner des
fonctionnaires, puisque la différence n'est guère visible. Ainsi,
comment aurions-nous pu faire rentrer en régression la Cour de
cassation qui rappelait que le code de la route ne prévoit pas le
cas du véhicule utilisé par une personne qui voudrait se garer
devant chez elle, aussi le ministère de l'Intérieur qui considéra
que l'autoriser reviendrait à privatiser l'espace publique et donc
« à créer une rupture d'égalité entre les citoyens ».
Il faut avoir un cerveau supérieur pour saisir que cela aurait
libéré des places et eut profité à tout le monde. C'est bien le
manque d'intelligence, plus que le profit et la rapine du
stationnement payant, qui avait immergé, plus que plongé, le monde
dans un chaos, comme autant d'effluves du terrifiant contrôle mental
du projet MK-Ultra censé avoir été arrêté en 1988. C'est bien de
la diffusion exponentielle des psychotropes et des ondes
électromagnétiques qui conjointement en portaient la signature.
Plus
loin, la tour Lucifer est la plus haute de l'Empire. Elle avait pour
prétention de défier les lois de la physique, et même Dieu. C'est
là que le gratin du gratin s'est réfugié. Réfugié, c'est
beaucoup dire, plutôt jouir du spectacle qu'offrent les gueux de la
peste jaune et autres manants qui réclament des droits qu'ils n'ont
jamais eu. On avait pourtant tout donné à ces gueux, les programmes
de télévision en rapport avec un développement intellectuel
anéanti par l'école, la bouffe industrielle et frelatée conçue
pour rendre malade et faire grossir comme les cochons qu'ils adorent
en charcuterie, la musique rythmée qui les font sauter comme des
singes, la propagande des médias qui ramène la réalité à ce
qu'ils peuvent en comprendre. La laideur de l'art contemporain placé
à des endroits stratégiques aurait dû suffire à éteindre les
âmes. Même la largesse de l'élite ne suffit pas, pas même en
dernier recours la distribution gratuite et illimitée d'alcool au
bas des logements concentrationnaires, ni celle gratuite du tabac et
des drogues. Les conséquences fiscales furent désastreuses, car les
trafiques des stupéfiants étaient pris en compte dans le calcul du
PIB. Au lieu de s’empiffrer des saloperies en tout genre diffusées
selon un plan savamment établi et qui avantageait les investisseurs
situés dans les paradis fiscaux, les sauvageons commencèrent à
mettre en doute l'origine des attentas terroristes, ils cherchèrent
sur la toile les relations de cause à effet, déconstruisirent ainsi
toujours plus le mensonge qui était une digue qui risquait à tout
moment de rompre. Une crise plus importante avait suivi la
disparition programmée de l'argent liquide, le peuple exigeant
d'être payé en monnaie indexée sur l'or, comme en Russie et en
Chine. On lui avait répondu en faisant tirer sur la foule. Alors le
flot tumultueux se déversa.
Tenez,
regardez la masse de sans dents qui grouille au bout de cette avenue !
Mais
quelle bande de dégénérés qui touchent des allocations et vivent
au crochet de la société !
Jean
était un banquier qui avait fait investir ses clients sur le marché
des armes, c'était moins risqué que les produits financiers
toxiques. En remerciement, et bien avant les révélations des
« Panama papers », un des fournisseurs lui viré une
somme conséquences, plusieurs décennies de salaire, sur un compte
offshore et offert une mitrailleuse légère dernier cri qu'il avait
laissée dans sa caisse au garage. Il s'amusa comme un enfant lors du
montage de la bête toute rutilante et bien graissée. Il lui tardait
d'essayer son nouveau jouet sur la racaille qui venait saper les
fondations de son monde. Il pose lentement deux doigts sur la double
gâchette, tout excité par le pouvoir que cela octroie et qui semble
glisser dans la gorge comme un sirop de grenadine. Sur sa droite,
Hervé, un homme d'affaire partiellement ruiné, mais féru de pêche
à l'espadon, et de chasse au tigre ou à l'éléphant, si ce n'est
au prisonnier relâché par la police locale soudoyée, ou d'un ou
plusieurs enfants kidnappés pour les sévices sexuels dont la bonne
société est friande, positionne un harpon équipé de barbillons.
Il vise consciencieusement et le projectile fuse vers sa cible qu'il
rate de peu pour venir transpercer de part en part l'individu d'à
côté. Une prise en vaut une autre. Le long filin remonte le corps
ensanglanté d'une jeune femme qui oscille et racle la façade en
laissant une traînée rougeâtre et des morceaux de boyaux.
Jean
se penche par la baie, il est troublé à la vue du sang, il préfère
tirer de loin, Hervé quant à lui semble ne pas apprécier la
mitrailleuse.
Quel
gâchis de tirer sur cette foule ! J'avais proposé au ministre
un camion-benne qui les fauche pour pouvoir les transformer ensuite
en nourriture. Au moins ils auraient été utiles à la société et
les autres seraient redevables sans le savoir !
Les
deux compères rient d'un rire retenu et évoquent le passage le plus
mémorable du film Soleil vert. La mitrailleuse crache ses
projectiles et fauche la moisson.
Comme
vous y allez, là ce n'est plus du sport cher ami, mais de la
boucherie !
Jean
secoue négativement la tête, il désigne un endroit avec sa main.
Avez-vous
vu, Hervé, la meute qui se déverse depuis la place ? Vous
pensez peut-être l'arrêter avec un harpon de chasse à la baleine ?
De plus, vous ne croyez pas que la tour est un peu trop haute pour ce
genre de sport ?
Qui donc pourra arrêter cette meute Jean ?
Votre belle mitrailleuse ? Combien de munitions avez-vous
apportées ici ? Vous voyez bien que la police et l'armée ont
fait défection, elles constituent maintenant les milices qui
rançonnent les faibles. Personnellement je complète une dernière
fois mon tableau de chasse.
Grâce
au filin motorisé qui relie le trait en titane à la grande
arbalète,
Hervé
a remonté la jeune femme au niveau de l'étage, il entreprend de la
faire basculer sur la moquette, mais le corps fauché au niveau de
ventre se scinde en deux parties, les vertèbres rompent dans un
petit bruit sec, le bassin et les jambes basculent dans le vide. Il
retient le buste déchiré par la tête qu'il attrape à deux mains
et contemple la jeune femme dont le visage figé exprime une
indicible souffrance. Jamais de toute sa misérable vie elle n'aura
été aussi expressive.
Une
belle prise vous en conviendrez !
Hervé
est content de lui, il aura abrégé le calvaire d'une créature née
au mauvais moment, il aura aussi veillé à ne pas abîmer un beau
visage. Il se souvient comment les rustres au pouvoir avait fait
tirer dans la tête avec des LBD, n'hésitant pas à provoquer des
traumatismes crâniens et à crever des yeux. Des barbares ces
gens-là ! Voilà ce qu'il arrive lorsque l'on confie les rênes
à des gens dépourvus d'éducation.
La
piétaille approche sûrement de la tour, on entend d'ici le
martellement des tambours et les vociférations de haine. Le brouhaha
commençant à devenir gênant, Jean délaisse quelques instants sa
mitrailleuse fumante et se dirige vers la chaîne haute-fidélité du
salon très bourgeois. Il cherche avec doigté parmi les disques et
sort un enregistrement par Hindemith de sa symphonie Mathis der
Maler. Il glisse le CD dans la trappe et appuie sur « play »,
il ajuste le niveau sonore.
Vous
savez Hervé, vous l'avez peut-être remarqué vous-mêmes, dans
les films destinés au peuple, les méchants et les psychopathes sont
immédiatement reconnaissables en ce qu'ils écoutent toujours de la
musique classique. Celle-ci est une incongruité suspecte pour le
peuple. Cela dit, j'ai choisi de prendre un peu plus de hauteur,
cette fois-ci ce ne sera ni Bach ni Vivaldi, mais un compositeur dont
ces êtres primitifs ignorent même l'existence. Prenons volontiers
cette hauteur vous et moi. Êtes-vous d'accord avec ce que je dis
Hervé ?
Sur quoi ?
Sur sur le fait que la hauteur,
c'est aussi celle de l'esprit ?
Hervé
a un petit rire nerveux, mais il secoue la tête avec une mine
désapprobatrice pendant que son acolyte retourne à
sa mitrailleuse.
Je
ne suis pas d'accord avec vous Jean, il me semble que cela fait fort
longtemps que l'élite dont nous faisons partie n'écoute plus
d'opéra. Les jeunes, ... ils haïssent l'opéra. Alors les quatuors
à cordes, vous pensez bien ! C'est plutôt la coke et les viols
de filles, de garçons, d'enfants pour l'élite. C'est comme ça
qu'ils nous tiennent après coup, par les couilles si j'ose dire !
J'ai été mis sur la touche pour avoir refusé de m'y adonner.
Vous pensez ce que
vous dites ?
Bien sûr que je le pense ! La Pédophilie,
les sacrifices d'enfants et le Satanisme sont totalement imbriqués.
Jean
vise soigneusement, mais il relève la tête et fixe Hervé.
Quand
même ! Vous vous rendez compte de l'énormité de ce que vous
dites ?
Tout à fait, mais il faut faire la distinction entre
les rituels des loges plâtrières et l'implication des services,
souvent ceux des puissances étrangères dois-je dire. Quant à la
musique classique, elle a disparu avec les vrais bourgeois, les
dernières personnes que j'en ai vu en écouter furent une employée
enragée qui nettoie des chiottes en Écosse - vous auriez vu la tête
que faisaient ses clients, et une vieille femme qui à l'aube fait le
ménage pour une boucherie. Les esthètes dont vous croyez faire
partie, hé bien ils se trouvent parmi ceux que vous mitraillez
!
Jean
a soudainement le regard fixe, il relâche la gâchette de sa
mitrailleuse.
Dites-moi
Hervé, vous croyez qu'il y en a beaucoup, … des mélomanes ?
Quelques-uns je dirais...
Comme
Jean semble maussade, Hervé s'adresse à lui avec un large
sourire.
Ça
vous dit qu'on s'en grille une petite ? Ce sera peut-être la
dernière fois.
Il
a parlé trop vite, le filin s'est coincé quelques étages plus bas,
tout au bout une petite grosse particulièrement laide s'agite en
poussant des cris de goret. S'ils réussissent à hisser la proie, il
faudra la faire rôtir longuement en l'arosant coppieusement comme il faut.
Au
sommet de l'autre tour, les joyeux lurons ont fini de harnacher
Monsieur le directeur d'une chaîne de grandes surfaces dans l'avion
qu'ils poussent, tout en chantant, vers la rampe de lancement qui
dépasse de la baie vitrée qui n'existe plus.
Ce
n'est pas un avion ! Laissez-moi sortir !
Les
lurons rient en cœur, certains s'essuient une larme qui coule.
Mais
si c'est un planeur, rétorque le chef, regardez mieux, il y a les
ailes, le manche et la gouverne ! C'est un avion !
Le
chef d'entreprise se secoue énergiquement, il essaye en vain de se
défaire des sangles qui le maintiennent dans le caddy
transformé, avec sur les côtés deux planches en contreplaqué et
un empennage de fortune qui évoquent un aéroplane. L'équipe
s'était amusée comme des gosses pour le monter, elle avait la
chance d'avoir dans ses rangs un passionné de réalisation de
modèles réduits.
Mais
ce n'est pas un avion, c'est … un caddy !
Mais non !
Vous, vous vendiez bien de la nourriture qui n'est est pas, alors
vous n'allez pas chipoter ! Comme vous nous disons que c'est ce
qu'on dit !
Je, je suis un marchand, je n'ai jamais rien
fait de mal !
Vous vendiez des produits biologiques sur
lesquelles vous preniez des marges crapuleuses, plus du double pour
les carottes et les pommes de terre, vous aviez pensé aux familles
peu aisées qui constituaient l'essentiel de votre clientèle ?
Le
marchand regarde sans comprendre le chef de ces dingues.
Mais
c'est le commerce, en quoi est-ce répréhensible de faire du
commerce ?
Le
chef fait un signe de tête, l'avion prend son
élan dans la pente et bascule dans le vide. On a juste le temps de
voir Monsieur le directeur agripper à deux mains le manche à balai, le serrer très fort, puis
l'avion fait quelques loopings, fait quelques figures acrobatiques,
laisse espérer un arrondi au ras du sol, mais réalise un dernier
looping qui l'envoie s'écraser sur une façade d'immeuble.
Moi
je trouve que ça vole plutôt bien un directeur de magasin,
pour critiquer je dirais juste que je trouve qu'il n'était pas si
pépère en fin de compte !
Repère,
pas pépère, tu te trompes de marchandise.
33) Les
douceurs !
Préambule :
Pierre
saisit une à une les provisions et les pose sur le tapis roulant. Il
est penché dans son caddy quand ce dernier lui enfonce légèrement
les côtes. Une femme bien grasse a poussé le sien contre son propre
caddy et fait mine de ne rien avoir remarqué. Il lui reste une
dizaine de boites et de conserves à poser, pourtant elle a déjà
mis en place la barre de client suivant et dépose allègrement ses
propres courses, un expression méprisante sur sa figure bestiale.
Pierre empile donc les siennes sur son propre tas, et ce qui devait
arrive, une bouteille en verre d'huile d'olive glisse et vient se
fracassa sur le sol, juste devant les pieds de la créature. On
l'entend hurler et couiner. Le caissier se redresse, observe
brièvement la situation, puis il appelle le service de nettoyage.
Pierre est ravi, la bête est obligée de reprendre ses affaires et
de déplacer son gras encore plus gras vers une autre caisse. Quel
dommage que la truie n'ait pas eu quelques orteils écrasés. Cela
lui eût apprit à vivre. Pierre observe la chose qu'autrefois l'on
appelait une femme, la femelle de l'homme parait-il, mais dont
l’appellation est désormais erronée avec l'application systémique
et infectieuse de la théorie du genre et la quantité de
trans-genres ou trans-espèces qui se sont révélés. Il est
végétarien, mais reconnaît en son for intérieur qu'en cas de
guerre prolongée elle représenterait une bonne réserve de
nourriture, à condition de n'être pas très regardant sur la
question des graisses saturées, de la contamination des tissus par
les pesticides, les OGM et les antibiotiques, sans parler des
vaccins. Cette chose est représentative de l'élevage intensif
humain, le mieux est qu'elle soit dévorée par ses congénères.
Après tout, si l'on put douter que les nazis firent réellement du
savon avec de la graisse de Juif, il est établi de manière certaine
que la République française produisit du cuir d'origine humaine, ne
serait-ce que citer Saint-Just dans son rapport du 14 août 1793 à
la Commission des
moyens extraordinaires : « On tanne à Meudon
la peau humaine. La peau qui provient d’hommes est d’une
consistance et d’une bonté supérieure à celle du chamois. Celle
des sujets féminins est plus souple mais elle présente moins de
solidité ».
À Angers, une tannerie de peau
humaine confectionna trente-deux culottes en peau de Vendéens que
portèrent des officiers de la République, le 6 avril 1794 la
compagnie de Marat dressa un bûcher pour extraire la graisse des
cadavres de cent cinquante femmes, dans le registre de Carrrier nous
pouvons lire : « Cette opération
économique produisait une graisse mille fois plus agréable que le
saindoux ». L'Histoire ne dit pas cependant
s'ils firent un bon festin. Le barbecue accompagne toujours les
grandes occasions, et en France on mange de tout, des gastéropodes
baveux jusqu'aux tripes formidablement malodorantes. Pour une
question de dignité et de moralité, Pierre n'a jamais participé à
la fête du 14 Juillet, mais il pense qu'une grosse truie de ce
gabarit serait aujourd'hui facilement dévorée vivante, que le
peuple affamé viendrait lécher sur le sol les traces des viscères
et les fluides corporels qui s'en échapperaient, et la charcuterie
corse, faite à partir de porc chinois, saurait rapidement s'adapter
à de nouvelles conjonctures, sachant que les touristes furent
toujours considérés comme du bétail.
Développement :
Moins
les gens ont d'éducation, moins ils développent une personnalité.
Moins ils ont de personnalité, moins ils réussissent dans la vie et
détiennent un pouvoir d'achat conséquent. Ils vivent alors empilés
comme des animaux et apprécient ce genre de vie qui leur convient.
Chez ces gens, la taille et la couleur du paillasson sont souvent
obligatoires, ainsi que la couleur extérieure des portes. Qu'importe
que tout soit d'une laideur extrême et d'une qualité exécrable,
puisque la vulgarité est leur condition et constitue leur ipséité,
seule compte l'effacement de la personnalité, afin de pouvoir
satisfaire aux exigences de la massification qui seule rend
corvéable. Günther Schwab n'avait-il pas expliqué que la même
pâtée produit les mêmes cochons ? C'est le fondement même de
la société marchande du monde de la modernité progressiste, car
des porcs identiques mangent à leur tour une pâtée identique.
Pierre en avait assez de ce formalisme qui tire le bas, il était
allé trouvé un ébéniste d'art africain pour lui faire réaliser
une porte, certes de couleur marron obligatoire et donc proche de la
matière fécale, mais qui puisse correspondre davantage à des
critères humanistes, si ce n'est véritablement humains. Puis il
était rentré et avait longuement écouté Purcell.
Vous
voulez donc un personnage en relief collé sur votre porte
d'entrée ?
C'est ça, c'est tout-à-fait ça ! En chêne de
surcroît si cela est encore possible.
L'artisan
sourit de toutes ses dents, les esthètes deviennent si rares.
Quand
le client paye, cher Monsieur, tout est possible. Mais vous savez que
ça va vous coûter un bras une telle porte, car c'est beaucoup de
travail.
Je sais bien, mais là n'est pas la question, est-ce
dans vos cordes ?
Que désiriez-vous exactement ?
Pierre
montra à l’ébéniste quelques photographies des magnifiques 500
portes sculptées de Zanzibar, toutes protégées par le Stone Town
Conservation and Development Authority, toutes faites à la main avec
un ciseau à bois, une paire de gouges et un maillet. Il savait qu'il
ne pouvait pas raisonnablement copier ni s'inspirer directement des
symboles et des codes d'œuvres façonnées par ces artisans
traditionnels, car cela n'aurait aucun sens. Il pouvait cependant
refaire vivre une démarche qui fut en son temps collective, c'était
celle d'un monde non encore devenu machinique. Vivre avec des gens-au
dessus et en-dessous de soi est quelque chose d'abominable et de
répugnant, de très animal aussi en rappelant la gestion
industrielle de la production de viande, mais une porte personnalisée
signifie le blocage catégorique sur le seuil de la barbarie non
consentie, il s'agit en quelque sorte de la résurgence de la pensée
magique porteuse des vibrations qui échappent à l'entendement du
monde matérialiste et marchand.
- Par
mes origines, je connais bien cette Culture, savez-vous que ces
portes étaient posées en premier ? La construction du lieu de
vie commençait par le seuil. - Exactement ! On était aux
antipodes des constructions modernes qui aseptisent pour
déshumaniser. Une famille arrive, une autre repart. Pour quelle
autre raison, selon vous, voudrais-je une porte personnalisée, si ce
n'est affirmer ce que je suis. C'est ce que l'on appelle une
individualisation éthique. - Mais certains aiment cette
uniformisation qui justement les isole du groupe. - Beaucoup. Mais
quelle part la volonté a-t-elle concrètement quand on se cache ? -
L'individualisation dont vous parlez renvoie à une attitude
individuelle de distanciation par rapport au groupe d'appartenance,
autrement dit c'est une affirmation de niveau individuel qui va
rentrer en contradiction avec celui du groupe, alors qu'à Zanzibar,
hé bien c'était tout le contraire. En mode inversé, comprenez-vous
qu'il ne s'agissait que d'une illusion
d'individualisation ? L'artisan
regarde Pierre droit dans les yeux, il cherche ses mots, puis
continue. -
Bon, vous me direz qu'ici justement il n'y a plus de groupe
d'appartenance, hormis l'abstraction pure des valeurs démocratiques,
qu'il n'y a concrètement que des individualités. Que voulez-vous,
nous ne vivons plus dans le passé. - Oui, j'ai fort bien compris
qu'il s'agit de subjectivité, et vous mettez bien en évidence le
paradoxe qui en découle, car en voulant m'affirmer je vais m'isoler
davantage. Pourtant, je vous dirais bien que les individus sont
aujourd'hui radicalement isolés derrière leurs portes standardisées
et si lisses. Alors... - Vous devez admettre que toute approche
est par essence subjective. Pour
Michel Foucault, je pense que vous le connaissez, la subjectivité
sociologique n'est que l'ombre du pouvoir, puisqu'elle
fabrique une vision normalisée de l'individu. Voyez-vous, c'est bien
en fin de compte le sens à retenir de ces portes sculptées, elles
correspondaient à des codes strictes, et ça correspond à
l'effacement occidental, mais en apparence retourné. L'un comme
l'autre on n'y coupe pas. Qui copie son voisin s'en éloigne, qui
veut s'en éloigner le singe. Là vous vous en approcherez, mais en
mode radicalement hostile. Attendez-vous à du mépris. - Bon,
alors vous me proposez quoi ? - Quelque chose qui vous
plairait, à vous et à vous seul. Mais n'espérez pas combattre le
nihilisme de l'existence fragmentée chez vos voisins, ils se
moqueront ou vous singeront, surtout ils seront jaloux et vous vous
en ferez des ennemis. D'ailleurs, ce qui fait accepter l'art
contemporain par tout le monde, c'est justement qu'il soit rempli de
vide, même la subjectivité en est extrudée. Ce vide seul
rapproche, mais la nature en a horreur. Dans les HLM les gens sont
empilés comme des lapins, seuls les gens aisés et cultivés ont
l'aise et les moyens de marquer leur différence de manière
esthétique et raffinée, mais inconsciemment il s'agira toujours de
se différencier des gens peu éduqués dans le but les tenir à
bonne distance, marquer une frontière. Parce qu'il en a une peur
bleue, le peuple se méfie des gens qui ne font pas partie de sa
classe. C'est la lutte des classes cher Monsieur, pour marquer sa
différence il faut pouvoir l'imposer. Ici vous jouerez uniquement
sur le terrain de la provocation, ils le percevront ainsi. -
J'allais malgré tout dire, comme Schopenhauer,
que le
monde est ma représentation,
que je refuse cependant qu'une surface vide et sombre reflète mon
âme.
Je pense que l'effacement de la subjectivité, ainsi annihilée, est
un vecteur de dissolution collective, une fabrication à la chaîne
des zombies.
Pierre
sourit ce jour-là, ce n'est pas tous les jours que l'on rencontre un
artisan qui en a dans le citron. Il optera pour la représentation
d'un satyre de la mythologie grecque, créature mi-homme, mi-bouc. En
attendant, la voisine le toisa en lui rappelant que les portes
avaient été définies par le règlement de copropriété, il lui
rétorqua que ce règlement stipulait uniquement que la couleur doit
être conforme à celle initiale, chose qu'il respecterait à la
lettre, à défaut d'en garder l'esprit. De cela il se garda bien de
l'évoquer. Après chaque nouvelle attaque, la voisine furieuse
repartait en ondulant de son gros postérieur, la robe bleue à
fleur, qui la faisait ressembler à un tonneau sur deux pattes
d'oiseau de mauvaise augure, valsant d'un côté et de l'autre, la
mine renfrognée. De l'autre côté, un voisin sortait parfois la
tête par l’entrebâillement, l'individu en Marcel était un grand
gaillard avec des sourcils broussailleux. Un type étrange avec un
sourire toujours béat. Une fois sa porte d'entrée était restée
ouverte après qu'un huissier se soit enfui en hurlant, Pierre
remarqua qu'au milieu de l'unique pièce était plantée dans une
grosse souche teintée de rouge une grande hache à deux mains, sur
des étagères étaient alignées des bocaux en verre renfermant une
collection de têtes coupées. L'homme lui avait souri puis avait
refermé lentement la porte. Quel étrange bonhomme ! Une fois,
la voisine s'était arrêtée quand il refermait sa porte, il sortit
d'un sac en toile de jute un bocal de formol dans lequel nageait une
tête blafarde, il se mit à le caresser doucement en fixant
l'enquiquineuse irascible avec envie. Pierre eut du répit à partir
de ce moment précis, il entendait seulement des bruits de pas
précipités dans le couloir. Mais le silence était pire que
tout.
Puis revint l'artisan accompagné de son chef
d’œuvre.
J'ai
trouvé cette décoration de porte auprès d'un de mes fournisseurs,
il a été incapable d'en définir l'origine, ni la dimension
initiale. Je pense que c'est très ancien, sans doute un bien passé
de génération en génération. C'est vraiment exceptionnel, alors
j'ai pris sur moi de le fixer sur un panneau que j'ai sculpté en
respectant du mieux que je le peux le style et le tour de main de
l'artiste.
C'est … magnifique !
Pierre passe doucement les doigts sur la tête du satyre, il en
suit les contours torturés.
Notez
comme la structure est riche en détails !
On dirait de
l'ébène.
C'est bien de l'ébène, effectivement. Le support
quant à lui est en chêne.
Les
jours passèrent, mais une nuit on entendit des miaulements
insupportables et des feulements glaçants, probablement le chat
siamois de la voisine que l'on ne revit plus de la journée. Le
lendemain, Pierre remarqua des poils gris prisonniers des poings
serrés du satyre, il lui sembla aussi que l'expression du visage
avait légèrement changé, la position des sabots également, il mit
cela sur le compte de l'éclairage. Trois jours plus tard, c'est la
queue de l'animal qui dépassait de la bouche de la sculpture. Pierre
tira en vain dessus, de toutes ses forces, c'est solide une queue de
chat. Elle finit par rompre. Cet animal est autant une peste que sa
maîtresse. Quelques semaines plus tard elle se retourna après
l'avoir croisé devant sa porte, en postillonnant elle lui lança
qu'elle ne lui plaisait pas, que dans la copropriété on n'aimait
pas les originaux.
Et
qu'est-ce que c'est que ça ! Votre porte n'est pas
réglementaire ! Lors de la prochaine réunion des
copropriétaires, je vous promet qu'on va régler ça !
Mais
j'ai respecté la couleur, caca d'oie, comme vous aimez !
La
voisine rougit de colère et elle expire comme un bœuf.
C'est
quoi tout ce bazar dessus ? Z'avez pas le droit d'exposer sans
autorisation dans le couloir ! En plus on dirait une obscénité
votre truc ! Y a des enfants ici !
Le
bruit a dérangé le voisin qui entre-baille sa porte et jette deux
gros sourcils frémissants dehors, cela fait sursauter la grosse qui
en a une peur bleue, elle recule et s'accroche en tâtonnant à la
porte de Pierre, elle en saisit la poignée. Mais il ne s'agit pas de
la poignée, mais du sexe gonflé du satyre qui s'extrait
difficilement de son support. Elle n'a pas le temps de hurler et de
mettre la paume de sa main devant la bouche, que déjà la sculpture
vivante l'enlace et lui fourre son sexe sous la robe pour la
ferrailler sauvagement. Pierre regarde interloqué la scène, puis
voit le voisin disparaître chez lui. Il n'a pas le temps de le
maudire pour sa lâcheté, qu'en fait il ressort avec la hache à
deux mains arrachée du billot. L'arme fait deux ou trois moulinets
et s'abat sur le cou de la créature mythologique, la tête faite
d'ébène rebondit sur le sol et s'immobilise. La femme est assise
sur le sol les jambes écartées, elle se relève péniblement et
pointe un doigt tremblant vers Pierre.
Vous !
Vous ! Je vais vous poursuivre pour tentative de viol !
Moi ?
Moi j'ai tenté de vous violer ?
Pierre
éclate nerveusement de rire, il secoue la tête. Il doit une fois
pour toutes clouer le bec à cette mégère.
Non
non, ce n'est pas ce qui s'est passé, vous vous êtes acharnée sur
ma porte qui ne vous a rien fait, vous êtes venue me vandaliser, puis vous êtes tombée à
la renverse en
tirant comme une folle sur la poignée qui est allée se mettre
dans votre, euh ... votre ... euh ..., enfin votre bazar !
L'homme
aux épais sourcils a posé la tête de la hache sur le sol, il
s'appuie des deux mains sur le long manche en noyer et observe la
scène. Il s'exprime calmement, d'une voix grave.
C'est
ce qui s'est passé, je peux en témoigner !
Plus
tard l'homme étrange l'invite à prendre un verre chez lui.
Lentement il enlève les deux sourcils qui ne sont que des ustensiles
d'un magasin de farces et attrapes. Pierre a bien été eu, ça et la
porte comme possédée par une vraie entité, ça fait beaucoup
le même jour.
Vous
comprenez, pour ce pas être emmerdé par cette grosse conne, j'ai
imaginé ce stratagème. Chaque fois qu'elle me voit elle prend vite
la
poudre d’escampette ! Je dois dire que je me suis bien marré,
ça oui !
Et la hache et les têtes posées
là dans ces bocaux ?
Vous avez décapité le … cette chose tout de même, et c'est quoi
cette chose d'après vous ?
La hache, c'est une copie achetée
dans un magasin de répliques d'armures, j'ai juste fait adapter un
manche de meilleure qualité, mais les têtes c'est un décor en
carton-plâtre et plastique pour le cinéma que j'ai acheté sur
Ebay. On trouve de tout vous savez, c'est juste pour le fun, pour
rigoler quoi, vous me omprenez non ? Reconnaissez que je vous ai sorti de ses
pattes, à la grosse !
L'homme
regarde Pierre avec son large sourire figé, impénétrable. Pierre soupire de
soulagement et baisse les yeux.
Mais
cette chose ? Comment vous l'expliquez cette chose ? Un tour de passe-passe
?
Vous
savez, il y a des choses qu'il vaut mieux renoncer à comprendre, croyez-moi.
Plus
tard l'homme aux faux sourcils se retrouve seul chez lui. Sans que
Pierre le remarque, il avait ramassé la tête du satyre. Il la place
avec douceur dans un nouveau bocal, son sourire est encore plus
radieux car sa collection devient conséquente, il crache dans ses
mains, saisit sa grande hache posée contre le mur à l'entrée, et
d'un mouvement ample, avec un bruit mat, en fiche le tranchant dans
la souche. Puis il grignote une barre de céréales. Quand il ôte le
couvercle de la poubelle pour y jeter l'emballage, une odeur
pestilentielle s'en échappe, il se souvient alors qu'il a oublié de
se débarrasser des têtes des trois artisans qui s'étaient payé la
sienne.
34) La
carotte et la matraque !
Préambule :
Nous
ne sommes, nous n'étions pas encore assez nombreux, il y avait
encore bien trop de forêts primaires à dévaster, trop de parcs de
loisir à construire, au milieu de l'année la moitié des ressources
annuelles était consommée, mais il fallait aller plus loin encore,
et toujours plus vite. Des gamins à la place des arbres, côté
sauvagerie ça le vaut largement. Après que la valeur d'échange ait
expulsé celle d'usage, arrivait-il que des artisans avertissent
spontanément le client et le dédommagent, mieux encore, est-il
jamais arrivé que l'automobiliste place une carte de visite sous
l'essuie-glace après qu'il ait éraflé une portière, cela ne
désigne-t-il pas inexorablement un temps que l'on peut qualifier de
mythique ? L'Histoire aurait dû faire sentir que finalement le
chien témoignerait de davantage de rectitude à un moment ou à un
autre.
Développement :
Il
n'y avait déjà plus de zone blanche, les antennes de la 5G
pullulaient à coté des éoliennes vrombissantes hachant le
volatile, la quantification de toute chose morale ou physique, la
standardisation de toutes ces choses quantifiables, toujours à
l’affût et accompagnant l'individualisme sans profondeur, allaient
mettre au monde un monstre à la hauteur de la modernité, quand la
face cachée décidade tomber le masque. La conscience, très
loin d'être refermée sur elle-même à la manière d'une citadelle
intérieure, s'était ouverte au monde et ses promesses
d’accomplissement, si bien que derrière l'opacité de la
conscience d’emblée séparée d’elle-même, ce monde modelé par
ceux qui en avaient pris possession, avait soif d'une identité
nouvelle.
« Ici
vous rentrez dans une zone où la carotte est obligatoire »
! Le
vigile se redressa sur son siège percé, il en sauta lourdement et
réajusta sans y penser sa carotte orange réglementaire, il se
précipita, plutôt il trottina comme il pouvait jusqu’à un adulte
et un jeune qui s'aventuraient dangereusement sur l'allée piétonne,
inconscients qu'ils étaient du danger qu'ils représentaient pour
eux-mêmes, et surtout pour les autres ! Il s'arrêta à bonne
distance, la distance officielle de sécurité qui empêche les
carottes de se toucher, et il tendit sans trembler un bras terminé
par une main gantée qui tenait elle-même un scanner portatif relié
à l'IA.
8884
– 6947 BD XXX ???
Le
vigile hocha la tête dans un bref mouvement qui voulait dire oui, et
il inclina alors le bras vers l'individu de petite taille.
Et
4476 – 5845 FJ XXXY, vous êtes tous deux en infraction de port de
carotte, je dois vous verbaliser et vous inscrire à un stage de
citoyenneté.
Le
petit être non augmenté se blottit derrière l'individu qui pouvait être un
parent ou un géniteur.
Maman,
j'ai peur !
Chut
ma chérie, je t'ai déjà dit de ne pas m'appeler maman en public,
mais parent cinq !
Le
vigile tout content de lui, et qui bombait le torse et se cambrait,
ce qui faisait dresser la carotte qui dépassait de son postérieur,
rangea le scanner dans son étui, car désormais le drone prenait la
relève et envoyait déjà son rapport avec l'amende salée qui va
avec. Mais c'était quand même lui le chef, lui qui avait l’œil
et savait repérer les terroristes, ceux que les tièdes, les
mijaurées appelaient complotistes !
Nous
partions Monsieur le vigile, je suis rentré dans cette zone par
erreur avec ma fi..., je veux dire la progéniture dont j'ai la
charge, euh cette gamine, si elle veut être une gamine bien entendu,
dont je suis un des parents, ... au service de l’État.
Le
vigile était aux anges, ses collègues l'observaient, le chef aussi
l'espérait-il. Il allait placer sa formule préférée.
C'est
trop tard, n° 8884 – 6947 BD XXX, les carottes sont cuites si je
peux dire !
Si
je puis dire, devriez-vous dire Monsieur le vigile
!
Les
collègues à dix mètres de là pouffèrent de rire, quelqu'un
derrière un écran hurla de rire et dirigea sa paille vers une autre
ligne de sucre d'une blancheur immaculée, même les gardes de la
meute anti-virus grognaient sous leurs défenses. fièrement exhibées
Hein
? Vous
faut porter une carotte pour sortir d'ici, sinon je vous fais
verbaliser une seconde fois, et là c'est le camp d'internement pour
six mois ! Vous êtes dans de sales draps ma p'tite
dame, puisque vous êtes une dame, c'est ça ? Mais bon, c'est
vot'jour de chance, je suis de bonne humeur aujourd'hui !
Le
vigile se tourna vers la sécurité et claqua des doigts en direction
du personnel de santé, alors deux filles ou transgenres en blouse
blanche, bien dressées, mais qui ne ressemblaient pas aux chimères
à moitié humaines ou partiellement humaines du service d'ordre,
comme les humanoïdes aux défenses de sanglier proéminentes en
poste de part et d'autre, se précipitèrent la carotte frétillante
en portant chacune un plateau sur lequel était posée des carottes
lavées dans leur emballage fraîcheur.
Aïe !
Mais vous me faites mal !
Cria
la petite qui se contorsionnait alors qu'une des deux infirmières la
ceinturait pendant que l'autre essayait de lui placer la carotte
comme il faut, après avoir fait un trou dans son pantalon avec une
paire de ciseaux chirurgicaux ! Comme elle gesticulait de plus en
plus, le médecin de service lui-même finit par intervenir en
personne, un grand gaillard qui en imposait et qui marchait avec sa
carotte plantée de manière digne.
Madame,
il va falloir vite calmer cette jeune personne, ou nous devrons vous
séparer pour l'emmener au centre de rétention ! Si il n'y a
pas moyen, nous devrons enlever le bas, c'est donc ça que vous
voulez ?
La
fillette se calma aussitôt, mais elle se mit à trembler et ne put
retenir sa vessie, l’œil lubrique le vigile ne rata pas une miette
du spectacle, enfin, en tant que professionnel de l'introduction de la carotte. La mère lui rendit un
regard torve. Une partie des badauds regardait la scène comme
captivée, une autre accélérait le pas et ne regardait pas en
arrière, le regard fixé au sol pour échapper à la reconnaissance
faciale. Une fois l'opération terminée,
le médecin retournait à son poste, il s'adressa une dernière fois
à ces enquiquineurs non conscients des risques.
Qu'est-ce
que vous auriez préféré, que l'on vous enfonce jusqu'au cerveau
une tige par le nez ? Certains ont émis cette possibilité,
alors ne l'oubliez pas !
La
mère prit alors un risque insensé, au bord de l'hystérie elle
harangua le médecin.
Bordel
de merde ! Il y a plus de dix études randomisées qui prouvent
que la carotte dans notre trou du cul ne sert strictement à rien !
Pire, ça provoque des hémorragies internes que vous attribuez à ce
virus qui n'existe pas !
Le
médecin revint sur ces pas, il avait subitement le visage
congestionné.
En
plus de mettre les autres en danger, vous êtes une négationniste ?
Sachez, madame ou ce que vous êtes en réalité ou croyez être,
qu'une étude britannique très sérieuse a apporté la preuve que le
virus se propage d'abord par le pet, c'est pour cela que je dois, que
vous devez porter une carotte !
Des
curieux s'étaient massés, il s'adressa plus particulièrement à
eux.
Il
a été établi que seule une carotte pelée normalisée protège du
virus !
Il
se tourna vers les humanoïdes aux défenses de
sanglier, ou de phacochère, et désigna négligemment de la main la
complotiste et le rejeton.
Bon
ça suffit, embarquez-moi ça !
Le
chien robot renifleur s'accroupit sur ses pattes avant et se mit à
aboyer, tout en agitant sa queue qui en vérité était
une antenne 5G.
Il
fut un temps où le ministre de la santé dit que le port de la
carotte ne servait à rien, pire que cela pouvait être dangereux,
alors la représentante elle-même du gouvernement, pourtant pas si
bête, vint dire devant le peuple qu'elle ne savait pas comment
mettre la carotte. Certes elle avait montré son postérieur à la
population, quelque chose d'énorme, le fait de montrer son
postérieur, mais peut-être alors qu'elle avait trop serré les
fesses. Comme les imbéciles sont toujours ceux qui ne changent pas
d'avis, le port de la carotte fut rendu obligatoire par décret,
beaucoup allèrent jusqu'à percer un trou dans les sièges de leur
voiture pour se protéger en toute circonstance, d'autres
continuèrent pour le plaisir.
Quelqu'un
derrière un écran n'avait rien perdu de la scène, grâce au robot
chien renifleur équipé de sa caméra haute définition. Il dirigea
sa paille vers une autre ligne de sucre d'une blancheur immaculée
tout en contemplant rêveur l'affiche du film « Invasion du
village de la Reine des Anges ». S'en prendre directement aux anges,
qui ne sont pas encore tombés, chez eux, ne peut que réjouir la
bête qui est venue.
Nous
aurions pu faire porter un masque à toute la population, j'aime
beaucoup l'idée d'enlever toute trace de personnalité à ceux qui
déjà ne sont rien !
La
bête assise en face de lui, bien installée dans un fauteuil club en
cuir rouge, teinté avec du sang humain, ricanait doucement.
Un
élu du peuple à mon service a déjà fait en sorte qu'ils n'aient
plus de dents, vous vous souvenez ? Que voulez-vous donc leur
enlever de plus ? Leurs âmes ? Mais elles me sont
acquises ! Au contraire, il est dans ma nature d'encourager les
vices, c'est le vice qui les rend esclaves, esclaves
d'eux-mêmes !
L'homme
sembla déçu et ressembla à un enfant à qui l'on a confisqué son
jouet, non pas déjà qu'il songerait à chevaucher cette bête ou
qu'il se prenne vraiment pour un naufragé en quête de sa survie
dans une tempête eschatologique.
Tout
de même, nous aurions pu avec la génétique faire en sorte que les
enfants naissent sans visage, avec une peau lisse, totalement
anonymes. Pas de visage, pas de râleur pour contredire, juste des
marcheurs, notre projet quoi !
Les
ongles acérés des doigts griffus de la bête s'enfoncèrent
profondément dans le cuir, de minces filets de sang s'en
échappèrent.
Vous
ne connaissez strictement rien à l'âme humaine, les mères auraient
préféré se jeter dans le vide avec leurs enfants plutôt que de ne
pas les regarder sourire. Croyez moi, ils ont beau être stupides, ils ne le sont pas assez
pour croire que l'on arrête un virus avec du papier.
L'homme
le regarda avec ses petits yeux calculateurs et glacials, il avait la
grosse tête, il se dit qu'il pourrait peut-être bien chevaucher
cette bête, il devrait juste se mettre dans un état d'esprit.
Manipuler le Diable ? Signe d'une grande destinée, il aurait
cependant dû faire attention à la noirceur qui voilait le regard de
la bête, une bête si vieille qu'il est pure folie de croire pouvoir
la berner.
Plus
tard, le vigile quittait son service, c'était le dernier jour de la
semaine et il avait besoin d'un repos bien mérité. Dehors, tout
autour de lui des carottes étaient jetées à même le sol,
certaines propres, d'un beau orange vif, encore fraîches, d'autre
non, mais cela restait biodégradable, alors que des masques auraient
conduit à un massacre écologique. Enfin, il s'en fichait
totalement. Avant d'aller prendre sa voiture, il se dirigea vers un
banc public pour fumer une dernière cigarette, il était songeur. Il
venait en effet de changer sa carotte avant de quitter son poste et
il était songeur car il n'avait pas réussi à mettre la main sur sa
matraque. Où avait-il bien pu la poser ? Passablement énervé,
il se laissa tomber sur le banc percé un peu trop brutalement, un peu trop
rapidement pour tout dire, et du coup il avait raté le trou, certes
de peu, mais ces matraques sont particulièrement résistantes,
lui avait-on dit, elles trouvent toujours leur cible.
35) La
chevauchée des veaux qui pleurent !
Préambule :
Tout
cavalier le sait, il faut ménager sa monture, selon l'adage « qui
veut aller loin ménage sa monture », ce qui dans la réalité
concrète se laissa entendre comme un aphorisme, une figure de style,
et qui l'est bien en vérité, puisque les montures ne manquèrent
jamais. Ah ça oui, les montures ne manquèrent jamais, nous n’eûmes
donc pas particulièrement à les ménager, et nous ne nous en
privèrent ainsi pas, la seule difficulté fut donc d'avoir toujours
à disposition des montures en état.
Développement :
Il
attacha en un tour de main les longues rênes au lampadaire en
ferraille qui faisait le planton devant la petite boutique, bien que
ce dernier rouillé et plié en son milieu semblait vouloir prendre
chaque jour davantage la poudre d’escampette, car même les objets
censés être inanimés semblaient possédés par le désir ardant de
fuir cette ville.
Bonjour
Matthias, qui d'neuf aujourd'hui ? Des promotions dans ta
boutique ?
Matthias
était occupé à empiler consciencieusement des boites
qui de loin ressemblaient à des boîtes de tomates entières dans
leur jus.
On
dirait bien des boites de tomates que t'as là, tu peux m'en mettre
une de côté ?
Matthias
continuait de compter tout haut, mais il leva la tête qu'il avait
bourrue et sourit brièvement à
un client fidèle.
Et
de 10, le compte y est. Je peux t'en refiler une si tu veux, mais
faut pas me demander plus, c'est une commande spéciale.
John
n'était pas dupe, les « commandes spéciales », cela
fait longtemps que ça n'existait plus, c'était au jour le jour et
juste un petit jeu entre eux pour se rattacher à une vie qui
n'existait plus, et qui certainement n'existerait plus jamais.
Bon,
une ça m'ira, mais à condition que tu ais un paquet de pâtes, ou
deux j'ne cracherais pas dessus. T'aurais pas aussi une bonne
bouteille de vin ?
Matthias
pris sa mine des mauvais jours, il fourgua la boite dans un carton
décrépi par le temps, et saisit derrière lui un sac en toile de
jute fermé par une ficelle éméchée.
Non,
désolé, mais j'ai plein d'avoine pour tes montures.
Avant
de délasser les rênes, il plongea la main dans le sac en toile et
glissa quelques poignées de flocons d'avoine dans les mangeoires de
l'attelage, il s'en mis aussi dans la bouche et commença à les
mâcher lentement. Ils avait un sale goût de rance, presque tout
désormais était rance, sauf les légumes frais pour ceux qui
pouvaient encore dégoter des graines biologiques très rares,
puisque les semences modifiées par les industriels, ces mêmes
ordures à l'origine du fléau de la fausse pandémie, étaient des
hybrides qui à cause de leur mentalité mercantile furent crées
artificiellement afin de ne pas permettre une reproduction de
qualité. Les survivants n'hésitaient plus à massacrer pour
quelques graines biologiques des variétés anciennes succulentes,
alors que des milliards de mangeoires non biodégradables, ce que
l'on savait dès le départ, et qui constituèrent les masques
faciaux destinés à protéger d'un virus dissuadé par la science de
passer par les innombrables trous, volaient au vent et servaient bien
de combustible. Mais la nature aurait horreur du vide, la matière en
décomposition sert d'engrais, et la multitude des crétins servira à
produire l'énergie qui allait permettre de se diriger vers un monde
meilleur enfin débarrassé de se gangue épaisse.
Les
montures mangeaient de manière instinctive l'avoine glissé dans les
masques qu'elles portaient sous le menton. Il n'avait même pas été
nécessaire de leur mettre une mangeoire, la multitude s'était
habituée au tissu porté en permanence sur ou sous la bouche, ou
accroché à l’oreille comme les étiquettes des animaux de
boucherie, l'évidence d'une seconde nature, surtout une
prédisposition mise à contribution.
T'en
a mis du temps ! Et quoi, une boite de tomate ???
Hein !
Assise
sur le siège du passager, Jeanne dépitée avait le carton sur ses
genoux et tournait dans tous les sens la boite entre ses doigts
agiles à la propreté très douteuse.
Made
in Italy dis donc ! Mazette ! Ok, mais toute cette distance rien que pour ça, c'est pas
ce qui va me remplir le ventre ! Au cas tu l'aurais pas remarqué, va aussi
falloir changer
certaines montures, elles ralentissent trop l'attelage.
John
serrait avec ses mains le volant du van, il soupira.
Je
sais, regarde plutôt au fond du carton !
Jeanne
en sortit un sachet en plastique qui contenait des dizaines de
comprimés.
Laisse-moi
deviner, N-acétylcystéine, Zinc ? Vitamine D ?
Jeanne
sursauta de joie et serra John dans ses bras. La mort devra les
attendre encore un peu. la NAC est nécessaire à la synthèse du
glutathion qui vient contrebalancer le graphène des faux vaccins
dont la présence fut mise en évidence une première fois par des
chercheurs espagnols, c'est un matériau magnétique qui notamment
imprègne le cerveau et qui allait être activé par la 5G qui révéla
alors sa véritable raison d'être. Ironie du sort, un téléphone
portable, certes modifié et sur certaines fréquences, activait
certaines fonctions primaires chez les zombies, le problème étant
d'en trouver au cerveau non entièrement détruit par les hémorragies
cérébrales, ou aux jambes qui ne devenaient pas ces poteaux
ou du boudin rouge. Quand le zombie Spike pisse un sang
épais par le nez, les yeux, et les oreilles, il est temps d'en
changer.
John
s'était toujours demandé si Matthias ne produisait pas le NAC
dans sa cave, en effet il ne connaissait rien du passé de
ce bonhomme d'apparence bourru, et le fait que ces comprimés lui
soient offerts suggérait de ne pas devoir en savoir davantage pour
ne pas attirer par mégarde les convoitises et risquer de tarir
une source providentielle. Il n'aborda donc jamais cette question
avec Jeanne. John sortit le téléphone portable de sa poche et
l'alluma, jamais cet objet de servitude ne lui avait donné le
sentiment de se connecter autant au monde qui l'entourait, certes sur
une dizaine de mètres d’émission effective, maintenant que
presque toutes les antennes 5G avaient été dévastées par les
terroristes.
« R »
pour reculer, tous les montures de l'attelage reculèrent en même
temps, « G » pour gauche, toutes les montures pivotèrent
sensiblement vers la gauche, « A » pour avancer,
l'attelage tirant le van commença à accélérer le pas puis à
trotter, si l'on pouvait appeler ce chaos un trot. Bon, ce
n'était plus les vitesses d'autrefois, mais faute de carburant ou de
recharge des batteries, il aurait été de mauvais goût de s'en
plaindre. Quant aux chevaux, cela fait longtemps qu'ils avaient été
tous mangés, cependant l'avoine a des vertu insoupçonnées pour
toute créature munie de pattes. Bref, le van et son attelage
disparurent dans un nuage de poussière où virevoltaient des masques
en papier salis avec le temps.
Cela
fait longtemps que ce, comment s'appelle-t-il déjà, ah oui,
Matthias c'est ça, te fournit ? Tu n'as jamais voulu me communiquer
ta source. Et puis... Oh merde !!! Regarde, la
première ligne de l'attelage vient de s’effondrer, j't'avais dit
que ça allait arriver sous peu ! Tu devrais changer toutes les
montures, y en a pas une qui soutient le rythme, sans parler de la
dernière qui n'a plus de jambes et que tu gardes encore !
John
tira sur le frein à main qui grinça. John grinça intérieurement
aussi, il aimait la chose, c'est ainsi qu'il la surnommait à cause
de sa capacité à ramper avec rage sur ses bras musclés, après que
des thromboses aient obligé de lui sectionner les jambes à hauteur
des cuisses, car la chose lui rappelait les compétitions
paralympiques, ce qui appelle un minimum de respect. Il en aurait
fait autant avec Jeanne. D'ailleurs, ne serait-ce pas une bonne idée
de libérer enfin John et d'atteler Jeanne
à sa place ? Il devra y songer sérieuseument
un jour prochain.
Il se dirigea vers l'arrière du van, ouvrit
le gros cadenas et libéra la chaîne qui maintenait les deux
battants fermés, à l'intérieur une dizaines de vaccinés 100 doses
étaient assis sur deux bancs alignés contre les parois, un sac sur
la tête, mais le regard vide comme celui des porteurs chroniques de
masque à cause de la privation prolongée d'oxygène et du CO² qui
atrophièrent la cervelle, surtout celle des jeunes enfants à
l'école, ce regard observé chez les malades d’Alzheimer,
parait-il un lien entre la protéine Spike et le prion.
C'est tout juste si parfois on voyait une larme salée qui coulait,
le plus souvent il s'agissait de larmes de sang presque coagulé. John les fit sortir
un par un après qu'il eut libéré l'attelage en frappant violemment
à la tête les précédentes montures avec un pic à glace, à
l'exception encore de la chose qui continuait à creuser le sol, et
qui faisait du surplace en projetant constamment de la terre derrière
elle. Mais quelle rage de vivre cette chose finalement ! Une
leçon d'humilité.
John
finissait d'ajuster et de serrer les sangles quand Jeanne saisit
nonchalamment le téléphone qu'il avait laissé sur le tableau de
bord éteint à jamais du véhicule, Jeanne avait téléchargé une
nouvelle application qui allait s'avérer très utile. Au moment où
John lui sourit pour lui signifier qu'il avait fini, elle lui sourit
tendrement aussi, alors elle avança doucement son index vers le
téléphone et appuya sur « M », « M » pour
manger. Elle pensa que « D » pour dévorer aurait été
un choix plus approprié ou plus humoristique, mais « D »
était pas déjà pris pour droite, cette idée la fit éclater de
rire. La voyant si heureuse, John rit aussi, c'est à se moment que
les montures se mirent à grogner et que la chose le ceintura de ses
bras puissants, le fit culbuter et basculer, et que les grognements
laissèrent la place aux bruits de la succion passionnée.
Jeanne
ricanait encore quand elle appela son supérieur hiérarchique pour
lui signifier que son travail de démantèlement du réseau de la
résistance prenait une excellente tournure. Il lui restait à
approcher ce Matthias, elle se demanda si cette brute aimait les
pâtes, elle conclut que oui. En laçant soigneusement ses cheveux,
elle se demanda si elle n'était pas semblable à la divinité
guerrière messagère d'Odin chargée de conduire au Walhalla les
guerriers morts au combat, d'une guerre terminée et dont elle
nettoie les poches de résistance, car les veaux devaient disparaître
devant les saigneurs, et les rires couvrir les pleurs, les siens de
rires. John était un être sensible, on ne devient pas maître du
Monde avec de la compassion, elle alluma une cigarette et se tint les
bras croisés, la tête légèrement penchée de côté pour que la
fumée lui glisse sur la joue sans irriter l’œil qu'elle fermait à
moitié, elle aspira quelques longues bouffées, expira lentement,
elle fit un pas en avant pour éteindre le mégot sur le front d'une
monture qui cherchait encore dans les restes, elle insista
nerveusement en faisant grésiller ce mégot qui était déjà noirci
et froid quand elle le lâcha.
Quand
la petite meute fut rassasiée, après surtout qu'elle eut attendu
pour jouir du spectacle, Jeanne vint choisir un solide gaillard, elle
appuya sur la touche « S » pour stop du téléphone
portable et désolidarisa la monture de l'attelage, jeta les sangles
au sol et l'ancien masque qui virevolta au vent et s'accrocha à un
arbuste, puis vint fixer sur la gueule de la monture sélectionnée
un maque noir renforcé muni de deux
gros anneaux métalliques ,
elle y passa son foulard et recula pour prendre son élan.
C'est
au petit trot que Jeanne partit toute guillerette, elle se dit
qu'elle trouverait facilement une autre monture, alors elle se cala
sur les épaules et donna une série de
violents coups de pieds dans les reins. La bête renâcla, pencha sa
tête en avant et se mit à courir en zigzagant, laissant une traînée
de poussière qui prenait des teintes ocres orangées dans les rayons
du soleil couchant.
36) Le
grain de sable !
Préambule :
C'est
l'été, l'air est déjà chaud et les vacanciers commencent à
s’agglutiner sur le court escalier taillé dans la roche qui
conduit à la minuscule crique située en bas du parking improvisé.
L'endroit étant prisé, chacun cherche l'emplacement qu'il avait la
veille, ou qui sera mieux que celui de la veille, pour garder ses
distances. Une famille peine à descendre les dernières marches, les
enfants poussés devant tiennent maladroitement les grosses bouées
bariolées qui s'agitent dans tous les sens avec des bruits bizarres,
les adultes énervés serrent contre leur corps bien nourris les
parasols et les chaises pliantes, et autre sacs qui contiennent le
pique-nique. À
n'en plus douter, cela va encore une fois attirer les guêpes des
alentours, et fera que le père sautera encore sur place une
chaussure à la main, frappant de-ci de-là en manquant de peu les
gosses.
Développement :
Un
des gosses court vers sa mère en hurlant, il tient en l'air le seau
qu'il avait rempli à ras bord d'eau de mer et dans lequel son papa
avait plongé le petit poisson qu'ils venaient d'attraper avec
l'épuisette achetée dans la boutique pour touristes.
Maman
maman ! Regade le poisson ! On a attrapé un gros poisson !
En
passant près d'Aurélie, la course zigzagante du gamin lui fait
projeter un peu de sable sur la serviette, et l'éclabousse de
gouttelettes, Aurélie se redresse sur son séant et s'assoit tout en
chassant les grains de sables du revers de la main.
M'enfin !
Pouvez pas retenir vot'môme ? C'est un monde tout de même !
Le
gamin s’arrête aussitôt, laisse tomber le seau et se met un doigt
dans la bouche, le poisson tente en vain de sauter sur le sable
chaud, mais le gamin va se réfugier auprès de sa mère très
occupée à lire les messages reçus sur son téléphone portable,
une clope au bec et les bourrelets ruisselants sous la crème solaire
qui empeste l'air.
Ce
n'est qu'un enfant, laisse tomber, t'as vu au moins la mère, discute
pas !
Marc
est allongé à côté d'elle, il vient de tourner une page de son
roman, lui suggérant de faire de même. Aurélie se rallonge sur sa
serviette, sur le dos cette fois-ci, elle ajuste ses lunettes noires
et se cale bien sur le sable en l’aplatissant. Mais Marc est
taquin, il saisit un grain de sable entre le pouce et l'index et le
lui lance gentiment sur le ventre. Le grain doré rebondit sur la
peau satinée, Aurélie se passe instinctivement la main sur le
ventre, Marc recommence l'opération en visant le nombril, ce qui
nécessite beaucoup d'adresse, Aurélie chasse un insecte imaginaire,
craignant de se faire piquer par une guêpe à cause des crétins qui
viennent avec leur bouffe. Au second essai raté Aurélie, tourne la
tête en abaissant ses lunettes.
Tu
crois que je ne t'ai pas vu ? T'arrêtes un peu tes
conneries !Tu ne sais pas t'arrêter, c'est drôle au début,
mais après ça devient lourd.
Marc
prend une tête déconfite et joue l'innocent.
Moi ?
Mais qu'ai-je fait ? Ce n'est pas moi, j'y suis pour
rien !
Aurélie
éclate de rire et saisit une poignée de sable à pleine
main.
Attends,
moi aussi j'y suis pour rien, tu vas voir !
Mais
Marc l'arrête aussitôt en lui désignant le gamin qui ne ratait
rien de la scène.
Ce
que je vois, c'est que tu vas donner de bonnes idées au gosse !
Quelques
instants plus tard, la mère braille sur son morveux qui lui a lancé
une pelletée de sable avec sa pelle achetée dans la boutique pour
touristes, les deux jeunes sont pris d'un fou rire, puis finissent
par s'assoupir dans la chaleur étouffante. Le gamin est occupé à
jouer avec une grosse étoile de mer rouge que son papa vient de
ramasser dans un trou d'eau, elle finira sur le tableau de bord de la
voiture, puis jetée par la fenêtre quand l'odeur deviendra
pestilentielle. C'est alors qu'Aurélie se met à hurler en
portant la main à son front.
Bordel
de merde, c'est toi qui m'a lancé un caillou sur la tête ?
T'es malade ou quoi ? C'est dangereux ton truc ! Putain ça
fait mal !
Marc
ne comprend pas, il se retourne et regarde subrepticement du côté
du gamin, il remarque alors que le ciel s'est subitement assombri, un
énorme cumulonimbus s'est constitué, une pluie de grêle commence
déjà à s'abattre sur la plage, certains grêlons gros comme des
œufs, non, des poings. Il n'est plus temps de quitter le déluge des
projectiles, il n'y a nulle-part où aller pour se mettre à l'abri à
temps, Marc saisit Aurélie par le bras, s'accroupit et positionne
les deux serviettes au-dessus de leurs têtes pour amortir les chocs
qui sont de plus en plus violents. Un homme avec une épuisette et un
masque sort la tête de l'eau et regarde en l'air stupéfait, à cet
instant un morceau de glace très dure traverse le masque en
produisant un jet de sang qui de l'intérieur teint en rouge vif la
vitre, deux ou trois parasols sont emportés par les bourrasques d'un
vent soudainement circulaire et chargé de sable qui fouette les
corps dénudés, les gens s’affolent ou se recroquevillent sur le
sol, des enfants hurlent et cherchent leurs parents le nez
dégoulinant de morve, on se bat pour un parasol ici, quelques-uns
plus loin, dans leur quête perpétuelle de notoriété, continuent
de filmer la scène titanesque avec leur téléphone, l'escalier est
pris d'assaut et des corps sont piétinés, un couple se donne des
coups de pied avec pour enjeu la glacière maintenue au-dessus de la
tête, un Kayakiste qui dérivait a retourné son embarcation et
s'est réfugié dessous, les projectiles rebondissent en tout sens
sur la coque et font un bruit d'enfer. Cela semble interminable, puis
se calme, le bombardement frénétique fait place à une pluie fine
qui lave les plaies et dilue le sang, quelques rayons de soleil
percent à nouveau à travers les nuages.
Marc,
baisse les couvertures et les tient encore le long de son corps sans
les lâcher, ils s'en tireront avec des ecchymoses et des bleus sur
les bras et les épaules. Un cadavre flotte sur le bord, dans une eau
teintée en rose par son propre sang, mais la mère qui est obèse
s'en sort peut-être indemne grâce à son parasol qui a résisté,
son surpoids accroché dessus ayant permis de le maintenir fixé dans
le sable. Le poisson à l’œil mort dérive, il est emporté vers
la mer avec l'eau du déluge qui s'écoule encore en un petit
ruissellement, l'escalier est déjà vide en dehors de quelques corps
collés à la rambarde métallique rouillée, plus haut sur le
parking les sirènes des alarmes des voitures ravagées par la grêle
continuent de hurler leur lancinante musique. Marc et Aurélie
entreprennent de remonter les marches de l'escalier malgré des mains
qui tentent de les agripper et qu'il est plus facile de ne pas voir.
C'est
promis Marc, je ne te chambrerai plus avec ton grain de sable !
Comme
si rien ne s'était passé, le garçon s'était approché dégoûté
du petit poisson mort que chaque fois une vagueette repoussait, il
repère alors le cadavre qui dérive, oscille et roule comme un tronc
d'arbre. Avec avec une brindille qui traînait sur le sable, entre
les glaçons, il tente d'extraire l’œil qui flotte dans le masque,
le dépose délicatement dans le seau qu'il a récupéré, à cet âge
on s’émerveille de tout.
Gilbert !
On t'a dit de pas ramasser les déchets !Veux-tu jeter ça dans
la poubelle !
La
mère de Gilbert avait rouvert en grand le parasol et repositionné
sa serviette. Bien qu'allongée sur le dos, ses grosses jambes
boudinées écartées, elle relève la tête malgré son cou gras
pour surveiller son garnement, à nouveau une clope au bec, son
téléphone à la main. Elle remarqua cependant la lueur dans le
ciel.
Hé
Marcel, t'as vu ça ?
La
petite lueur dans le ciel grossit, grossit très vite, elle monta
haut et commença à redescendre. Non, il ne s'agissait pas d'une
leur, mais de plusieurs, une lueur comme fragmentée. Sans un bruit,
une énorme gerbe d'eau jaillit aux niveaux des bateaux au mouillage
et retombait en une gigantesque cascade. Avec une lumière aveuglante
accompagnée d'un souffle brûlant, des explosions d'obus expulsèrent
du sable en l'air, la plage était bombardée en bonne et due forme,
mais cette fois-ci par un déluge de feu et non de glace. Des
météorites étaient attendues dans le ciel, elles étaient
supposées tomber beaucoup plus loin ou se désintégrer.
Avec
l'innocence des enfants, Marcel ne fut pas touché, il continua ainsi
de marcher vers le parasol de ses parents toujours miraculeusement
planté, avec cependant un trou entouré d'un liseré de petites
flammes qui s'agrandissait comme une auréole, en dévorant
minutieusement la toile.
À
l'endroit où se tenait sa mère ne subsistait qu'un trou écarlate
qui fume, avec une odeur de gras brûlé qui lui rappela le barbecue
de son papa. Mais où est papa ? Gilbert est indécis, ne
sachant quoi faire de sa trouvaille, il pense la jeter directement
dedans mais se retient. À
y regarder de plus près, pour un observateur attentif qui aurait été
témoin de la scène, le trou se situait exactement là où quelques
secondes plus tôt était un nombril, comme si les Dieux eux-mêmes,
avec la démesure qui correspond à leur nature, avaient l'esprit
taquin, voire espiègle ! Sans les alarmes des voitures qui
emplissaient l'air, on eût eu entendu des rires lointains. L’œil
du papa de Marcel flottait dans le seau et regardait son fils.
37) La
grande parade !
Préambule :
Avec
l’implantation du téléphone portable dans les cervelles,
exactement comme le prédit Klaus Schwab, celle-ci constituée d'une
nanopuce activée par les ondes de la 9G qui recouvre désormais
toutes les zones autorisées, qui fait que même un rat n'aurait plus
trouvé un seul trou pour se cacher, l'objet mythique disparut comme
il était venu. Alors, une poignée de nostalgiques psychotiques de
vintage, put-on dire, mais le put-on seulement, de rares individus
continuaient une gestuelle du passé, en vérité ils ne gardaient
que le réflexe en tant qu'excroissance d'eux-mêmes. S'ils eurent pu
naguère être désignés comme des asociaux et individualistes, des
terroristes, après avoir été la norme, l'habitus, ils ne sont que
l'effet d'un programme parasite, un bug que l'IA entendra résoudre,
une image fantôme, une scorie. Avec ses algorithmes, l'IA sait
toujours qui doit être mis en relation, elle rend impossible tout
partage d'une pensée de nature subversive. C'est pour prévenir tout
crime de la pensée subversive que la reconnaissance faciale déjoue
les émotions discordantes que les visages d'ange d'une société
épanouie viendraient trahir, l'hérésie apparente de tenir un objet
inerte constitue tout simplement un bug du programme que l'IA élude
et la population avec elle, et qu'elles écartent du partage des
données, puis font disparaître en le noyant dans le flux de la
conscience collective contrôlée. Le programme avait été
ambitieux, le cher Bill connaissez bien son affaire, l'immense
majorité de la population avait un quotient intellectuel qui n'avait
cessé de baisser comme c'était prévu et mis en œuvre, mais les
gens se reproduisaient comme des lapins, les ressources allaient
manquer, il avait suffit de rendre un virus inoffensif un peu plus
contagieux et d'interdire aux médecins de soigner, pour qu'ils se
jettent sur un matériel génique expérimental, en les y aidant
certes un peu, comme en menaçant de leur couper les vivres. Ainsi,
les thromboses, et autres maladies cardiaques ou AVC, qui suivirent,
dépassèrent toutes les espérances, mieux encore, la surmortalité
anormalement élevée convainquit le reste du troupeau de se joindre
à la grande messe en se faisant injecter les poisons. S'il y eut
bien quelques parents qui s'interposèrent entre leurs enfants et la
machine de guerre, leurs corps reposent désormais dans les tranchées
creusées à la hâte, où l'on jeta également tous les témoins des
scènes de guerre de la lutte contre le virus.
Développement :
As-tu
faim l'enfant, que dirais-tu d'un beignet de farine de
criquet ?
L'enfant
dont la moitié gauche est ce jour-là grimée en fille, l'autre en
garçon, selon la règle de l'inversion bimensuelle des côtés pour
éviter de heurter la communauté en affichant de manière sectaire
une appartenance qui prendrait un caractère sexiste et
discriminatoire, se tourne vers l'adulte, le sourire arrive
automatique aux lèvres.
Oui,
parent « 1 », je désire un beignet de farine de
criquet.
À
cet instant le véhicule de vendeur de beignet tourne au coin de la
rue, ce que savait parfaitement l'IA qui œuvre au bonheur de ses
sujets, bien mieux que ne l'aurait fait l’omniscience d'un Dieu
exilé loin d'une création dramatiquement larvée, son ennemi
eschatologique, avant que la glande pinéale ne soit désactivée,
d'après une poignée de corpuscules sectaires et conspirationnistes
de la période de la 5G qui parlèrent de calcification avec la
diffusion de fluor. Toujours est-il que l'IA pouvait désormais
diffuser des rêves. À
quoi donc pouvait servir le contrôle des corps et des cerveaux, si
l'âme allait librement où elle veut ou s'échappait par la mort
désormais interdite ?
Quelle
chance tu as l'enfant, voici justement le vendeur de beignet !
Les
beignets de criquets étaient savoureux. Si depuis longtemps les
industriels, dans leur sincère soucis de satisfaire leur clientèle,
avaient renforcé le goût des chips avec le glutamate monosodique,
cet exhausteur de goût qui a le goût de jus de viande, qui aussi
est un facteur d’obésité, d’hypertension, de diabète, et
également provoque les malaises du syndrome chinois, mais qui
surtout pousse le client à dévorer ses chips qui sinon auraient été
recrachées dans un seau ou aux toilettes, les fameux beignets de
criquets quant à eux, pour être encore meilleurs, avaient bénéficié
de l'avancée de la science apportée aux sodas, idée géniale,
aussi géniale que celle de jeter une bâche unie à plus de dix
millions d'euros par-dessus un monument historique pour en faire une
création artistique éphémère, quand l'argent manque pour aider
les vrais artistes que la police chasse, ou pour recruter des
infirmières au lieu de vigiles, l'idée fut de se servir des fœtus
humains. Ce dont personne ne se doutait, c'est que le goût pour la
chair humaine allait préparer les zombies à se dévorer eux-mêmes,
ce qu'ils firent.
Joseph
marchait normalement, son téléphone à la main, mais Joseph avait
toujours haï cet objet que dès son enfance il avait pris pour un
moyen de servitude, n'ayant aucune confiance dans l'Humanité, encore
moins dans les politiques. Il se souvenait des camps auxquels avaient
échappé ses grands-parents. Même avec l'implantation de la puce
dans le cerveau qui faisait de chaque être humain augmenté une
composante de la termitière humaine, il avait su garder sa
personnalité et faire semblant d'être un être robotisé. À
la police suspicieuse qui l'arrêta une première fois en le voyant
avec le téléphone à la main, il tenta d'abord de se justifier en
expliquant que selon la loi ce qui n'est pas interdit est autorisé,
avant de réaliser que ça, eh bien c'était le monde d'avant, aussi
il se frotta le postérieur avec, faisant des petits cercles pour
montrer qu'il s'en servait comme d'un racloir à merde avec la
pénurie de papier. Les deux policiers haussèrent les épaules puis
rirent très brièvement, mais il aurait été plus judicieux de ne
rien répondre et de faire comme si l'on avait pas soi-même remarqué
l'objet au bout de la main. Si les policiers avaient échappé aux
poisons, on avait pris soin de leur injecter les placebos, ils
étaient désormais porteurs de la puce dans la cervelle et il n'est
pas certain que l'humour soit encore toléré, surtout pas l'injure
qui est faite d'oser tenir un raisonnement devant autrui, une
infraction caractérisée.
Zut,
zut, zut, tu vas t'ouvrir enfin ?
Le
couvercle de la trappe glisse enfin, avec des doigts fébriles Joseph
change la batterie et remet le couvercle en veillant à ce que
personne ni aucun objet relié ne l'observe à son insu, il observe
même attentivement la poubelle qu'il n'avait pas remarquée
jusqu'alors, on parle d'histoires de conteneurs automatiques qui
avalent leurs proies. Ils s'étaient placés sous un gros platane, un
vrai arbre semble-t-il, pour échapper aux caméras des satellites
espions, la petite lumière rouge affichée à l'écran passe du
rouge au vert, puis s'éteint pour plus de discrétion. Le brouilleur
de poche bourdonne très légèrement.
Pourvu
que la 9G n'ait pas eu le temps ou l'idée d'échanger des données avec ma
cervelle !
Reda
qui était à côté de lui secoue la tête et se retient, il
oubliait les drones. Reda avait fait parvenir en douce un
téléphone portable à Joseph, il lui avait donné un point de
ralliement et surtout demandé d'appuyer sur un bouton précis juste
avant de sortir de chez lui, et de ne pas oublier la batterie de
secours. Mais Joseph avait sans doute allumé trop tôt le téléphone
et la batterie était presque déchargée à son arrivée , il
avait pourtant insisté pour la changer tout seul.
T'inquiète,
si c'était le cas elle l'aurait déjà vidée ou même grillée si
tu n'avais pas neutralisé le graphène avec les bonbons que
t'offre ! L'IA n'a pas besoin de temps, c'est instantané chez
elle, et non elle te voit pas, ton brouilleur fonctionne mon ami. Mon
ami, tu te souviens de la police municipale qui essayait comme des
cons d'envoyer des amendes électroniques, tu t'en souviens ? On
avait quoi, 15 ans ? Hé bien là c'est pareil ! Bon, d'accord,
c'est moins drôle je te l'accorde.
Joseph
écarquille les yeux et se passe une main dans ses cheveux
éparses.
Mon
Dieu, si je m'en souviens ? Putain la tête qu'ils faisaient en
regardant leur appareil qui refusait d'envoyer les données !
Arrête, tu me fait rire !
À
ce moment un drone apparaît au bout de la ruelle, les deux comparses
reprennent leur visage inexpressif habituel et se mette à marcher de
manière mécanique, le bras qui tient le téléphone tendu droit
devant, comme s'ils retenaient la laisse d'un chien, mais en
l'occurrence le pass sanitaire fut bien cette laisse et eux les
chiens. Le drone passe et s'éloigne. Joseph respire profondément,
mais il continue à regarder tout droit, il pose une question qui lui
fait battre le cœur, ce qui le panique encore davantage.
Bon,
l'IA comme tu dis est pas connectée à ma cervelle à travers la
nanopuce, mais le drone a bien dû décrypter nos visages, et puis un
lampadaire ou une boite aux lettres a certainement enregistré mes
battements de cœur !Tu sais ce qui se passe quand des
battements de cœur non autorisés sont détectés ?
Reda
lui met une main sur l'épaule.
T'inquiète,
tu risques rien, quand la connexion ne se fait pas avec ta puce, tout
le reste est analysé et enregistré comme un bug informatique, nous
avons tu vois une équipe formidable qui a planché là-dessus,
surtout le boss ! C'est ce que je voulais te dire, mais là t'en
as la preuve. Alors ?
Joseph
a les yeux qui brillent de malice, il sent une larme couler et
l'essuie.
Vous
leur avez envoyé un virus ! Putain c'est pas vrai ! Vous
les avez niqué ces salopards ! Retour à l'envoyeur chez ces
enfants de putes !
Une
demi-heure plus tard, après une marche laborieuse, les téléphones
à la main, Reda invite son ami d'enfance Joseph à pénétrer chez
lui. Il lui sert une infusion de plantes sauvages, mais pas de
beignet de criquet. D'un coffrage très habilement dissimulé dans un
mur, il sort laborieusement un petit écran plat protégé par une
couverture en aluminium, il l'installe sur une table basse et insert
une clef USB.
Joseph
a un mouvement de recul, il manque de trébucher et interloqué
regarde Reda. Un
écran ! Merde, un écran ! Depuis
l'arrivée de l'implant cérébral qui incarne l'ouverture au Monde,
qui diffuse directement l'information utile, qui surtout est en
symbiose avec l'IA, tous les écrans étaient devenus obsolètes,
puis furent interdits puisque ne passant pas par le filtrage du
ministère de la Vérité, ensuite ce dernier lui-même devint
inutile. Joseph regarde en tout sens, du côté du réfrigérateur,
de celui robot de cuisine, et vers l'aspirateur oublié dans un coin
mais dont la caméra ne bouge pas, tous ces objets obligatoirement
connectés pour scruter les faits et gestes de leur
propriétaires.
T'inquiète,
pas de panique !!! Le compteur d'électricité est entièrement
sous contrôle, il communique en boucle un programme aléatoire que
j'ai installé.
Joseph
se penche pour toucher le bord de l'écran, cela fait si longtemps,
il a du mal à y croire, surtout il n'entend plus ces voix dans sa
tête, et toutes les images ont disparu comme un brouillard emporté
par le vent. Joseph se laisse tomber dans le fauteuil, Reda appuie
sur un bouton d'une télécommande, une image s'anime à
l'écran.
C'était
il y a un an, dans la capitale.
Liberté !
Liberté ! Liberté !
Il
fait presque nuit, une foule immense marche en une colonne
interminable de plusieurs kilomètres de long, elle emprunte le
périphérique Nord débarrassé des véhicules qui autrefois servait
à les déverser. Au fur et à mesure que la tête du cortège arrive
au niveau des torches dressées de chaque côté, environ tous les
cent mètres, celles-ci sont allumées, la parade prend une allure
joyeuse de descente au flambeau. Des écrans géants sont dressés
sur le parcours, on y voit une fillette de vacciné ouvrir
consciencieusement le ventre d'un médecin de Big Pharma, arracher
avec autant de difficulté que d'obstination chacun des organes
sanguinolents, les soulever sans jamais trembler jusqu'au regard déjà
vitreux du moribond, en les citant tous par leurs nom et en énumérant
les fonctions organiques, puis les jeter le plus loin possible dans
la foule en liesse qui engloutit les morceaux. Les cadavres des
traîtres qui se faisaient passer pour des journalistes censés
éclairer les consciences populaires sont accrochés à des poteaux,
ils sont enduits d'huile et enflammés, désormais ils remplissent
leur rôle d'apporter, du mieux qu'ils ne l'eussent jamais fait, la
lumière dans les ténèbres.
Pour
rajouter de la lumière à la lumière, et offrir un feu d'artifice à
la hauteur de cette journée historique, toutes les antennes 9G
explosèrent aux alentours, les unes après les autres, dans une
cascade sonore qui rappela le roulement des tambours.
38) Mais
plein le C !
Préambule :
Lorsque
l'art chute du sacré vers la matérialité, il n'est pas rare qu'ils
descende jusqu'au pieds, auquel cas on dit communément dessiner
comme ses pieds, ou il s'arrête au niveau de l'anus pour une
déjection salutaire des déchets, comme si la civilisation
occidentale devenait victime d'une colique dont elle est la cause,
ainsi poussée par une pulsion de mort qui devient une nécessité
pour se débarrasser de ce qui est toxique pour renouer avec
l'origine ontologique de l'être, exposer ainsi au grand jour ces
immondices avec un rituel névrotique d'une thérapie de groupe où
les malheureux spectateurs partagent des névroses très semblables,
puisque au-delà du principe du plaisir enfoui plus profondément,
les névrosés du nihilisme en quelque sorte institutionnalisé
revivent interminablement les mêmes scènes d'une expérience
cauchemardesque qui a supplanté les rêves éveillés, le piège
devenant alors que cette pulsion de mort, ainsi doit-on la nommer
d'après la renaissance spirituelle qu'alors elle suggérerait, ne
soit finalement qu'une déliaison, une cassure, vouloir réduire à
néant une fausse représentation de la réalité, la ramener à un
état anorganique, mais alors un état où le principe de réalité
ne permet plus d'accepter qu'un fragment isolé du monde réel. Alors
le psychotique sombre dans le délire, il s'enferme dans une prison
de l'âme qui la retient, ce qui accorde le droit de dire que l'art
contemporain devient une représentation de l'Enfer.
Développement :
Jacob
est un artiste comblé. Comme il dit toujours :
« L'affaire
est dans le sac ! »
Le
sac, c'est son hobby depuis qu'il est tout petit. Il avait commencé
à en mettre un sur la tête du chien, l'animal le déchira avec ses
griffes et s'enfuit en dérapant quand il obliquait vers la cuisine,
ensuite il tenta l'expérience sur sa sœur, mais celle-ci hurla, ce
qui rameta les parents passablement en colère, il le posa sur la
tête de grand-mère qui était mourante, en prenant soin de bien
serrer le cordon, s’asseyant sur la chaise en posant la tête sur
ses mains croisés et les coudes posés sur les genou, il la regarda
se congestionner lentement par excès de dioxyde de carbone, jusqu'à
la suffocation par manque d'oxygène. C'est à lui que l'on dut la
mort des chats du quartier, encore à lui la mode divertissante de la
suffocation à l'école.
« L'affaire
est dans le sac ! »
Jacob
est un artiste. Il n'a pas seulement une âme d'artiste, il est un
artiste. Quand il passa son diplôme artistique, il s'était
trouvé en manque d'inspiration, même si d'habitude il est plutôt
du genre à vider son sac ou à le remplir. Mais là, rien, le vide
d'un parking de supermarché un jour de fermeture. Soudain son regard
fut attiré par la poubelle, il alla aussitôt la retourner pour en
vider le contenu à même le sol.
Mais
qu'est-ce qu'il fait lui là ? Oh ! Tu laisses ça toi,
c'est pas en saccageant les œuvres des autres que tu vas réussir
ton diplôme !
Jacob
qui tenait d'une main le chef d'œuvre de son camarade le reposa sur
le sol en le remettant à l'endroit, des parties se détachèrent, ce
qui fit vociférer encore davantage le râleur et lever un sourcil du
surveillant, puis il remarqua la vraie poubelle, ce grand cylindre
avec un sac en plastique translucide ceinturé par un arceau et un
couvercle métalliques, moins artistique que la précédente. À
la dernière minute, il posa précipitamment la chaise sur laquelle
il fut en maque d'inspiration sur la table qui lui était attribuée,
et l'introduisit dans le sac par le haut, avec les papiers froissés
et tous les gobelets écrasés qui transparaissaient dans la
structure presque transparente, ce qui pour le jury symbolisera
l'inactivité de rester assis et de ne rien faire dans un monde
fermé, étouffant, et envahi par ses déchets, alors que le
réchauffement climatique menace la Terre et tout se qui s'y trouve.
Premier prix du jury et diplôme en poche !
Alors
mon jeune ami, cela vous fait quoi d'avoir reçu la meilleure note du
jury ?
Jacob
ne sut pas trop quoi dire, son œuvre révélait des dimensions
artistiques qu'il n'avait pas soupçonnées, il bredouille pour
cacher son émotion, la conceptualisation n'étant pas son truc, mais
il est heureux de voir que le jury lui révèle son
talent.
« L'affaire
est dans le sac ! »
Depuis,
fort de cette reconnaissance, Jacob entreprit de tout mettre dans un
sac, des choses et des objets de plus en plus gros, et l'argent
arriva à flot pour le sponsoriser, il était prédestiné pour un
jour faire un triomphe.
Thomas,
un ancien camarade d'étude de Jacob, avait un entendement bien plus
limité, il ne comprenait strictement rien à l'art conceptuel, par
contre il parlait de ce que les yeux de son âme voyaient, des
arbres, la nature, les oiseaux dans le ciel, une beauté inhérente
au Monde, mais cela faisait à chaque fois s'esclaffer toute la
classe et attirait sur lui le regard noir de ses professeurs. Bien
entendu Thomas fut recalé au diplôme et se retrouva avec le RMI. Il
eut ensuite l'idée inconcevable d'écrire au ministère de la
Culture pour solliciter ses conseils ou une aide substantielle, son
dossier fut alors immédiatement envoyé au préfet, en quelque sorte
l'autorité artistique suprême, et ce dernier régla son cas en 48
heures. Radié ! L'écologie, la nature, et tout le bastringue,
c'est bien beau, mais cela doit rester conceptuel ou permettre de
justifier des taxes, sinon à quoi cela pourrait-il bien servir ?
T'as
qu'à regarder les artistes qui font du fric et faire comme
eux !
Thomas
regarde Jacob en secouant la tête pour marquer sa
désapprobation.
Mais
je vais pas faire de la merde quand même ! Si ?
Jacob
rit nerveusement, cette discussion il l'a eu cent fois.
Mais
c'est là que t'as bien tort ! Moi, regarde, j'ai dit que
l'affaire est dans le sac, OK d'accord j'aime ça enfermer les trucs,
oui mais qu'est-ce qui finalement vient maintenant tomber dans mon
sac ? Leur oseille pardi ! Et je leurs dis, c'est pour être
emporté ou consommé sur place ?
Jacob
s'arrête un instant, il est plié en deux à force de rire et en
pleure.
Tes
trucs de beauté des origines, le sens du sacré, ils comprennent
pas. T'arriveras à rien, depuis le temps qu'on te le dit !
Thomas,
qui ne croit lui aussi que ce qu'il voit, fait ses propres
recherches, il tombe, car il s'agit bien de tomber toujours plus bas
dans ce Monde, il tombe sur une vente aux enchères effectuée chez
Christie's à Londres le 16 Octobre 2015, où une boîte fut adjugée
pour 182.500 £, bien qu'un artiste danois possesseur d'une boîte
identique ait déclaré préalablement l'avoir jetée à cause de
l’odeur. Thomas a aussi compris depuis longtemps que l'argent n'a
pas d'odeur, que même là où ça pue, c'est là où il y en a le
plus. « Merda d'artista » de 1961, contenu net 30
grammes, sous la forme de 90 boîtes hermétiquement fermées et
signées, avec une valeur marchande indexée le jour même sur le
cours de l'or, mieux peut-être que la crypto-monnaie. Si Jacob
réussit à mettre les gens la tête dans le sac, pour qu'ils ne
puissent plus jamais se réveiller et sortir de l'hypnose, lui Thomas
transformera tout ce qu'il touche en or !
Zut !
Et merde !
Thomas
frotte son postérieur sur la sculpture d'une petite fontaine pour
commencer à un niveau raisonnable, la veille c'était une porte
historique, mais une fois la technique bien maîtrisée il
s'attaquerait à beaucoup plus gros.Tout à ses pensées, il lâche
une crotte qui glisse de la tête de la sirène pour venir faire un
plouc en tombant dans l'eau, les poissons rouges se précipitent
dessus, ils engloutissent une véritable fortune !
Merde !
Merde ! Et Merde !
À
cet instant un gyrophare est pointé sur la fontaine par des mains
expertes, Thomas y est vu accroupi dans une position qui n'est pas
vraiment à son avantage. La sirène de la voiture de police se met à
hurler pour qualifier l'intervention !
Il
est là ! Il est là ! Chef on a l'individu d'la porte
souillée ! Il est là ! II est là !
Le
moindre que l'on puisse dire, c'est que ces policiers n'ont pas
vraiment des têtes de critique d'art, ni d'expert chez Christie's,
il faudra voir si le concept de l’abstraction conceptuelle ne leur
est pas étranger. La sophistique, quand elle est éventée, produit
parfois un divertissement de courte durée, après elle devient si
lourde, et il n'est pas certain que la maréchaussée soit bien lotie
côté subtilité de la dialectique, ni ait un sens de l'humour ou de
la dérision particulièrement développé. Nous n'oublierons jamais
que ces policiers verbalisèrent des infirmières en pleurs pour
manifestation non autorisée, après les sacrifices qu'elles
consentirent pour le bien commun. Quant à Thomas, il n'avait
jamais cru vraiment devenir riche en se reniant, il en avait plein le
cul de cette société de malades et il voulait seulement s'en
libérer. Le policier avec une mine réjouie de vainqueur
s'adresse à son supérieur qui se rapprochait du bureau des
dépositions tout en lissant sa jupe.
Cheffe,
il a avoué Cheffe, l'affaire est dans le sac !
Décidément
pense Thomas, qu'est-ce qu'ils tous avec leurs sacs ? Il les
mettrait bien dedans et les jetterait dans un trou sans fond ou dans
un trou noir. La
cheffe dont les poils sur le visage commençaient à poindre en cette
heure tardive se tourne vers Thomas qui est toujours prié de ne pas
bouger de sa chaise.
Exhibition
sur la voie publique, dépose de déchets, manquement aux règles
élémentaires d'hygiène, dégradation d'un monument historique,
pollution, empoisonnement d'animaux, vous voulez peut-être rajouter
autre chose ?
Malgré
les menottes Thomas se gratte la tête et réfléchit, mais
malheureusement il se met à ricaner et cela éveille les
soupçons de la cheffe.
Création
artistique, comme le vagin de la reine, peut-être un plug anal
géant ?
La
cheffe prend la souris de l'ordinateur et pianote sur son
clavier.
Très
bien, je rajoute donc la haine et les discriminations anti-LGBT !
On va vous coffrer mon gaillard, cela va vous remettre les idées en
place ! Vous aimez la merde n'est-ce-pas ? On va vas
satisfaire vos désires.
Ailleurs,
dans une autre ville, dans la salle des coffres située au sous-sol,
le directeur de la banque, l'expression du visage acariâtre, et qui
se pinçait le nez, avait lui-même appelé Monsieur Dubois, à cet
instant, une clef à la main, il désigne d'un doigt qui s'agitait
nerveusement un coffre d'où s'écoulait un mince filet d'une matière
ocre.
C'est
bien votre coffre ?
Le client fait oui de la tête en soupirant, et il sort sa propre
clef. Le Banquier ouvre le coffre puis fait trois pas en arrière
sans ciller. Monsieur Dubois glisse sa tête à l'intérieur pour
constater les dégâts. Du fait d'une pression excessive des gaz, la
boîte avait fini par exploser, un risque connu de tous les
collectionneurs. Il sort de sa poche un petit sac en plastique et une
petite cuillère, il se met vite à récupérer tout ce qu'il peut de
la précieuse matière qui constituait une partie non négligeable de
ses investissements.
Je
n'en ai que pour un instant, tout n'est pas perdu, je vous remercie
de m'avoir appelé aussitôt, je vais subir une décote importante,
c'est tout.
Monsieur
Dubois connaissait l'histoire de la boîte qui avait été ouverte,
la baisse de sa valeur marchande avait été en réalité
considérable, mais pas totale, peut-être alors pourrait-il
compléter les grammes manquants et la faire réparer. Le
Banquier était retourné à l'entrée de la salle, esquissant un
grimace.
Bon,
comme on dit, Monsieur Dubois, je vais vous laisser vous démerder.
Euh, quand même, essayez de laisser l'endroit propre, vous savez,
nos clients...
39) Sentir
et ressentir !
Préambule :
Max
le chien trottine de travers comme à son accoutumé, le poil dru et
gris recouvert des traces des immondices qu'il glanait ici et là, la
truffe encore gonflée du combat de la veille avec un de ses
congénères. Survivre en ces temps difficiles réclamait à la fois
de la rage de vivre et de l'intelligence, et Max était pourvu des
deux, comme tout bâtard. Semblablement aux êtres humains trop bien
trop positionnés dans la société, et qui crurent les mensonges
qu'on leur distillait quotidiennement dans les médias, les chiens de
pure race furent les premiers à succomber, bien que pour être
honnête Max n'écoutait que d'une oreille dressée très discrète
ce qui pouvait se dire à la télévision, avant que son maître ne
le rejette à la rue quand il ne servit plus de prétexte pour
transgresser le couvre-feu en lui mettant une laisse. Le couvre-feu
ne présenterait plus aucune utilité, les personnes fragiles étaient
mortes faute d'être soignées, l'ingénierie sociale avait opéré
son dernier chantage coercitif, désormais le parasite Trypanosoma
cruzi, dont plusieurs variantes sont létales et constituent l’une
des nombreuses causes du syndrome du SIDA, avait été inoculé à
l'immense majorité des populations. Bien entendu, certains
scientifiques, comme le Dr Anne Anthonissen remarquèrent vite ce
corps allongé de 5 microns dont la présence ne s'expliquait pas
dans un vaccin, mais les chiens de garde mordirent où il fallait
pour que l'information se tarisse, beaucoup eurent pourtant des
sueurs froides avec le souvenir des molécules qui éradiquent les
parasites. Ce fut plus tard que les derniers survivants devinrent les
vivants-morts, à ce moment-là les instigateurs du complot ne furent
pas jugés, car des démons ne passent pas en jugement, ils furent
donnés à des chiens affamés qui les déchiquetèrent.
Développement :
Max
surgissait à l'orée de son grand territoire, au niveau d'un
croisement de deux artères il s'accroupit sur ses pattes avant et
lève le museau pour renifler l'air ambiant, indécis. Il fait trois
larges cercles les narines dilatées au ras du sol, puis son regard
est attiré par la structure pyramidale qui est érigée au milieu du
carrefour, à la croisée des chemins, bien qu'un chien de sa
condition ne puisse rien connaître aux structures pyramidales, ni à
aucune autre d'ailleurs. Il entend un bruit de frottement, de
succion, une chose ronde s'est détachée du sommet de la pyramide et
dévale la pente de plus en plus vite, rebondit plusieurs fois et
passe devant Max qui bondit et la saisit entre ses mâchoires. Il
entend aboyer derrière lui, le sale cabot de la veille est encore à
ses trousses, mais dans la course il l'a toujours dépassé d'une
tête.
Lucien
a une tête toute ronde, on le surnomme depuis toujours « roule
ta bille ». Roule ta bille, c'est donc son surnom, a un compte
à régler avec la tête des autres, surtout celles qui ne lui
reviennent pas, il enfile son gant en caoutchouc et dans le grand
panier en saisit une en décomposition, une tête en décomposition,
même si elle est plus difficile à tenir, présente moins
d'aspérités et donc elle roule bien mieux qu'une plus fraîche.
Malgré l'odeur, il la rapproche de la sienne, susurre quelques mots
doux à ce qui fut une oreille, effectue un balancier, puis avec un
mouvement ample il l'envoie rouler sur le sol, elle arrive en
chandelle.
Essayez
de faire mieux maintenant, tas de nuls !
Il
y avait là effectivement un magnifique carreau et ses adversaires ne
firent que chiquer, avec juste une tentative qui se résuma à une
casquette, car sa bille ne fut pas blessée, et c'est encore mieux
quand les billes ne sortent pas de la partie trop abîmées. Je
vous remercie d'avoir joué avec moi les filles et je vous dis à la
semaine prochaine, si vous le voulez bien !Ah ! Ah !
Ah ! Lucien
rit aussi en son for intérieur, car qui désormais se soucie encore
du jour de la semaine et de la date ? Mais quelle date ? Il
dépose dans son sac une à une les billes gagnées et s'en va en
sifflotant. Il aurait bien aimé siffloter une toute autre chanson
que celle-ci. Juste avant l'effondrement anticipé par la bombe
électromagnétique de la résistance, après que la population ait
fait la queue pour la puce dans le cerveau, tout le monde ou presque
sifflait ou chantait la chanson du jour, une chanson qui devint par
la force des choses l'unique chanson connue à ce jour. C'est en
chantant cette ultime chanson qui vantait des lendemains meilleurs,
que la population coupa les têtes de ceux qui avaient inoculé le
parasite. Quant à la puce incorporée de force dans la tête à la
naissance, ou plus tard et de force, elle était devenue inerte en ce
que les antennes de contrôle étaient grillées, inactives, ou tout
simplement détruites.
Marie
s'approche de Lucien qui est de retours, il porte la sangle de son
sac sur l'épaule, ce dernier semble bien lourd, le fond est
teinté de rouge.
Tu
as ramené des têtes ? Au fait, comment ça se fait qu'il y a
encore des têtes ?
Lucien
pose doucement le sac sur le sol, car les coups à la tête font mal
aux têtes.
Je
roule ma bille, tu te souviens ?
Lucien
sourit, puis il reprend une mine sérieuse.
Comment ?
Il y a en a toujours encore qui ont cru pouvoir s'échapper, le clan
à la hache noire en a débusqué tout un groupe qui s'était
retranché dans un entrepôt, cette fois-ci il y avait de la
marchandise encore fraîche à découper.
Marie
rit aux éclats en se mettant la main sur la bouche pour cacher ses
caries. Lucien sort les grosses billes et les dépose fièrement une
à une sur le muret.
Bref,
c'est une affaire qui fut bien tranchée ! Mais, fais voir un
peu celle-ci, oui, c'est bien le maire de mon village qui était allé
dénoncer toute une famille qui ne s'était pas fait piquer, ils ont
emmené les trois enfants de force et avec une telle sauvagerie ! Ce
sombre crétin n'a rien voulu savoir, ni voir.
Lucien
hausse les épaules.
Les
maires, ça regardait toujours du côté de leur propre intérêt, et
ça reniflait en permanence du côté du pouvoir avec des fausses
promesses.
Marie
s'avance d'un pas rigide vers les têtes.
Tu
sais qu'on les a jamais revu ces enfants, le père s'est suicidé en
se jetant sous son tracteur, et la mère est morte de chagrin.
Elle
saisit la tête du maire à deux mains et lui enfonce les pouces dans
les orbites, une fois satisfaite elle repose la tête là où elle
l'avait prise.
T'aurais
pas pu avoir le reste, que je décore notre pyramide avec des
guirlandes, les intestins font de très belles guirlandes tu sais ?
Au
fait, la tête du dessus n'a pas tenu, je ne l'ai pas retrouvée en
bas, c'est bien que tu en ramènes d'autres.
Lucien
gravit péniblement la pente de la pyramide. Si la base est rigide et
composée de crânes lisses assemblés au mortier, les niveaux
suivants sont plus glissants, plus instables, de temps en temps une
mâchoire se fait la malle, mais dans l'ensemble ces crânes ont la
tête dure comme celle qu'ils ont été auparavant. C'est étonnant
comme des personnes obtuses de leur vivant se retrouvent en fin de
compte pour composer une structure cadavérique dont la pointe
onirique pointe vers le firmament, ce qui ne représente pas tant de
différence quand on y pense. Chaque groupe de survivants en était
venu à édifier sa propre pyramide, comme l'ont toujours fait les
êtres humains qui se singent, d'abord pour marquer un territoire,
ensuite impressionner et se faire passer pour plus puissant, ceux-là
même qu'il faut respecter ou éviter. Ce carrefour est un point
stratégique qui se voit de loin, l'œuvre de Lucien envoie un signal
fort, comme le firent le yacht le plus long qui prolongeait l’espar
avec un bout-dehors, ou
la tour la plus haute avec une grande antenne.
J'y
suis presque ! Je n'ai pas dû mettre assez de ciment la
dernière fois, ou alors la tête du député était trop récente,
mais là ça devrait tenir un bout de temps.
Lucien
prend pied sur la dernière plate-forme, elle fait un peu plus d'un
mètre de côté, il s'assoie les jambes pendantes dix mètres
au-dessus du sol et défait son sac à dos d'où il sort la tête
qu'il désire fixer au sommet, un sommet qu'il finira prochainement
et qui fera l'admiration de tous, surtout ceux dont sa tête ne
revient pas.
Zut,
tu m'a mis la tête dont t'as crevé les yeux !
Marie
est restée en bas, les deux mains posées sur les hanches, elle le
regarde narquoisement tout en hochant la tête de haut en bas et en
tapotant du pied, Lucien pose alors à côté de lui la tête
défigurée et replonge la main dans le sac, il en sort une seconde,
celle-ci a conservé son regard vitreux. Lucien ouvre une boite en
plastique étanche qui était placée au fond du sac et plonge
complètement la main dedans, il s'agit d'un mélange humide de
matière fécale des latrines et de ciment, il en enduit la surface
sur laquelle il s'était assis, ainsi que la base de la tête, et
positionne cette dernière du mieux qu'il peut, avec le regard
orienté vers le monde extérieur.
PSSSS !
PSSSSSS ! PSSSSSTTTTTTTTTT !
Marie
le sifflait du bas avec deux doigts dans la bouche, elle agite
nerveusement de la main un petit morceau de papier, un morceau de
papier qui a mit le feu au Monde !
Ah
oui le billet vert, j'allais oublier !
Lucien
prend alors sa petite cuillère qu'il garde toujours sur lui et dont
il se sert pour manger le contenu très nourrissant des boites de
pâté pour chien et chat qui font leur quotidien, il la tourne pour
extraire méticuleusement un des yeux de la tête qu'il tient reposée
sur la paume de sa main libre, puis la refixe sur son socle avant que
le ciment ne coule, son unique œil grand ouvert regarde droit devant
lui, Lucien injecte avec une seringue une dose de formol pour
parfaire un chef-d’œuvre provisoire, après tout les mondialistes
ne s'affairaient-ils pas à atteindre l'immortalité ?
« signes
positifs de la sagesse, du savoir », c'est en ces termes, pour
faire un arrêt sur image, que les larbins de la propagande
anti-complotiste qualifiaient pour l'expliquer, au peuple esclave,
l’œil placé au sommet de la pyramide du dollar américain, mais
lui Lucien savait depuis sa jeunesse qu'il s'agissait davantage de
l’œil de Sauron que de celui de la Providence divine récupérée
à leur profit par les sociétés secrètes, et qui se concrétisa
avec le grand frère, les drones et la reconnaissance faciale.
Rêveur, avec les doigts pleins de ce ciment merdique non choisi
au hasard, Roule ta bille a le sentiment de viser juste avec son
œuvre architecturale, l'Humanité sent vraiment mauvais, non, elle a
toujours senti extrêmement mauvais.
Tu
vas te casser sale clébard ! Casse-toi j'te dis !
Marie
s'agite en bas et remue les bras en tout sens, elle semble chasser un
intrus ou un voleur de tête qui part de l'autre côté de la
structure. Ah, non, elle a dit un clébard. Lucien tourne la tête et
voit un chien gris squelettique qui avec ses crocs racle en pure
perte un crâne lisse, n'y laissant qu'un peu de salive. Il est
soudain pris de compassion humaine, il sent quelque chose en lui et
ressent la souffrance de l'animal, il saisit la tête encore fraîche
aux yeux qui ne voulaient pas voir la douleur ni l'angoisse de ses
semblables, et il la jette au chien qui vient la prendre délicatement
entre sa mâchoire, et s'en retourne en trottinant de travers, la
queue frétillant de plaisir.
Pourquoi
t'as donné une de nos têtes ? Ne sais-tu pas que nos
concurrents peuvent nous dépasser d'une simple tête ?
Lucien
rit aux éclats en commençant à redescendre.
Rassure-toi,
je ne perds pas la tête, mais ce chien, ce chien
famélique, on lui mange la nourriture qui lui était destinée,
considère ceci comme une espèce de troc ou une compensation, le
retour à nos valeurs de charité, et puis ton maire qui prenait les
gens pour des chiens, n'est-ce pas une fin magnifique ?
Marie
glousse à son tour.
Nous
ne sommes plus en 1935, mais je vais faire comme le Président
Franklin Roosevelt, j'approuve ta franche maçonnerie et j'établis
un nouvel ordre des âges, en premier lieu par la rédemption !
Marie
est magnifique, ses longs cheveux crasseux ondulent au vent quand il
souffle très fort, elle ferait un excellent fanion au sommet de sa
pyramide, Route ta bille se demande quel œil il gardera, puis il se
dit que cela n'aura aucune réelle importance.
40) Le
saut de l'ange !
Préambule :
Si
à la fin de la seconde guerre mondiale, des mères étaient
exécutées devant les fosses, leur enfant tendrement enlacé, il y
eut deux raisons à cela, la première était que la mère qui serre
son enfant tout contre elle accepte son sort car elle est accaparée
par le fait de réconforter l'enfant, la seconde moins humaniste
était d'économiser les balles. C'est sans doute ceci qui inspirera
bien plus tard l'idée d'interdire de soigner tout en injectant un
poison dans les veines, faire d'une pierre deux coups, ou plutôt
porter deux coups simultanés pour conduire à la pierre tombale.
Après les vieux dans leurs mouroirs, ce fut le temps des enfants. Un
pseudo-professeur honoraire nommé par l'International Open
University du Sri Lanka, mais dont heureusement la Presse libre et
éclairée avertit le peuple sur le fait évident que ses diatribes
ne sont finalement que des déclarations non-fondées sur la
pandémie, se permit de lâcher avec cette brutalité caractéristique
des complotistes : « La
BBC devrait être fermée immédiatement en tant que menace pour la
santé publique. Les cadres supérieurs devraient être arrêtés
pour avoir permis la diffusion de fausses informations susceptibles
d’entraîner des blessures graves et la mort, je pense que tout
médecin ou infirmière donnant l’un des vaccins contre le covid-19
à un adolescent ou à un enfant plus jeune, pourrait et devrait être
arrêté pour voies de fait et tentative de meurtre ».
Fort heureusement, la déclaration criminelle fut étouffée grâce à
la censure intégrale désormais appliquée sur toutes les vidéos
qui ne sont pas reconnues par le ministère de la Vérité.
Développement :
Certaines
familles aisées eurent accès à l'antiparasitaire interdit qui
venait à bout des organismes étranges découverts par le docteur
Carrie Madej dans les vaccins, cela signifie que la majorité d'entre
elles assistèrent, mais sans le comprendre vraiment, à la
dégradation de la santé de leurs mômes, d'abord le manque
récurrent d'oxygénation du cerveau avec les masques de papier
imposés à l'école par les psychopathes, ensuite l'augmentation des
problèmes cardiaques, la recrudescence des nombreuses maladies
auto-immunes. Beaucoup de ces mômes naquirent avec des handicapes
importants quand les mères ne faisaient pas de fausses couches, ce
qui était une bénédiction. Ensuite la marque de la Bête fut
imposée dans la tête avec l'implantation d'une micro-puce, ou
directement sur le front avec un code-barre quand il s'agissait des
résistants au progrès, selon les prévision de Klaus Schwab :
« Vous
ne posséderez rien, et vous
en serez heureux ».
Ce que les gens du tout petit peuple n'avaient pas pu comprendre, ou
qu'ils n'auraient jamais pu admettre si l'idée leur en était venue,
c'est qu'ils ne se posséderaient plus eux-mêmes, ni socialement, ni
cérébralement, ni physiquement. Le temps de Dieu et de l'Homme
était révolu, le dernier pape siégeait déjà devant une sculpture
infernale inspirée des films de possession, et la salle d’audience
était une représentation d'une tête reptilienne dont il ne manque
ni les écailles, ni les yeux, ni les crocs, car c'est désormais le
temps de la Bête et de l'ouverture libre des portes de l'Enfer,
l'intelligence artificielle permet aux démons de passer dans ce
monde qui leur était interdit, et le pape est assis précisément où
devrait figurer la langue du serpent, et le Père Mathieu qui est
décédé ne peut plus nous libérer du démon. Elon
Musk : « Nous
devons être très prudents vis-à-vis de l'intelligence
artificielle.
Si
je devais imaginer quelle serait la principale menace existentielle,
ce serait probablement cela. Avec l'intelligence artificielle, on
invoque le démon. Dans ce genre d'histoire, il y a toujours un type
avec une croix et de l'eau bénite qui dit : bien sûr qu'on peut
contrôler le démon. Mais pas vraiment, en fait ».
Viens
là ma chérie, viens tout contre maman, maman t'aime tu
sais.
Philémone
s'était dénudée, sa peau est d'une blancheur cadavérique, ses
yeux cernés par les nuits d'angoisse, d'une main tremblante elle
maintient entre ses seins sa fille dont la tête pend sur le côté,
et de l'autre elle se ceinture le torse avec une lanière en cuir.
Malgré le code-barre imprimé sur son front, pour la marquer de
l'infamie d'avoir cru en l'immunité naturelle, et peut-être même
avoir pensé que les essences naturelles ou l'homéopathie pouvaient
soigner, Philémone contrôle mal le fil de ses pensées, elle vient
pourtant de franchir le pas qui consiste à se jeter dans les bras
salvateurs de l'ange, afin que Dieu puisse ravir son âme et celle de
sa fille sacrifiée qu'elle entend soustraire à la Bête de
l'événement qui déjà est là. En tant que croyante, il lui est
impérativement interdit de se suicider comme le firent les Zélotes
qui préférèrent la mort à l'esclavage sur le piton rocheux de
Massada. Mais une légende s'est répandue comme de la poudre, une
légende qui dit que l'ange des chutes arrache les âmes au corps
juste avant qu'ils ne s'écrasent au sol, il ne s'agit donc pas à
proprement parler d'un suicide, quoi que se suicider en enfer permet
d'en sortir et pas d'y être envoyé, une chose est certaine, si
telle est la volonté de Dieu son enfant ne vivrait jamais dans cette
dictature numérique possédée par le prince des Ténèbres, mais
serait sous peu ravi à ce monde perverti pour se retrouver avec elle
au Ciel.
Bon,
c'est pour aujourd'hui ou pour demain ?
Derrière
Philémone, une grosse maman suintante s'impatientait,
comme s'impatientent toujours les gros, sans que l'on sache
pourquoi.
Vous
n'êtes pas toute seule ma p'tite dame, l'ange il est pas là que
pour vous !
Philémone,
dont les pieds nus s'étaient déjà engagés sur le tremplin, recule
et s'en écarte pour laisser la place à la grosse dame qui avance
d'un pas très décidé, un enfant tenu fermement dans chaque main,
sans lui jeter un regard. Au moment de quitter la longue planche
en bois qui vibre, un pied de la grosse glisse et fait une embardée
vers la gauche, ou alors c'est l'un des gamins, qu'elle tient à bout
de bras dans la posture de l'ange, qui est plus lourd et la fait
basculer. Toujours est-il qu'elle part en glissade en tournoyant sur
elle-même comme un bombardier qui vient de perdre une aile, et
hurlant comme le ferait une hélice qui s'emballe. On entend alors un
bruit mat d'éclaboussure remonter du sol 200 mètres plus bas,
certaines des mères regardent malgré tout vers le sol pour voir
l'effet de la chute, mais d'autres contemplent l'espace situé
au-dessus du tremplin au cas où l'ange, qui les surplombe de sa
bienfaisance, ferait enfin la grâce d’apparaître.
Ben
dis donc, j'suis pas convaincue là ! T'as vu son envol ?
On dit que la foi donne des ailes, mais là elle est tombée comme
une grosse vache !
Une
mère à côté d'elle fait son signe de croix.
C'est
parce qu'elle n'avait pas assez la foi !
Une
autre hoche de la tête pour signifier sa désapprobation.
Pas
du tout, elle était bien trop chargée aussi, vous avez pas vu le poids
des deux gamins, surtout celui de gauche, on n'a pas idée de se
présenter ainsi devant l'ange ! La gourmandise est un péché
mortel !
La
première est d'accord avec ce dernier commentaire.
Ah
ça c'est bien vrai, moi-même une fois on m'a refusé la valise à
l'embarquement, et mon pauvre mari a dû payer un supplément !
Pendant
que ces mères sont occupées à discutailler, une en profite pour se
présenter sur la piste d'envol, elle lisse soigneusement sa robe
rouge de poule de luxe qu'elle sort pour les grands jours, reprend
son nouveau-né et le sangle contre sa poitrine, elle prend son élan
avec les grandes enjambées d'une gazelle de course. Arrivée vite en
fin de piste elle saute à pieds joints sur l'extrémité de la
planche qui la propulse en hauteur avec les bras écartés à
l'horizontal, le temps reste alors suspendu comme doit l'être
l'éternité, mais les lois de la physique étant immuables, la
réalité la rattrape encore bien plus vite, elle tombe comme une
pierre ou un paquet, hurlant brièvement comme une folle. Depuis
qu'elles furent domestiquées, les poules ont beaucoup perdu en
capacité de vol, il y a comme un flottement parmi les dames,
quelques enfants, des petits aux moins petits, pleurent à chaudes
larmes, d'autres rient, mais sans avoir pourquoi, l'ambiance n'est
vraiment pas à la fête. Une autre femme s'était rapprochée de la
planche, mais elle est complètement ivre, une bouteille de whisky à
la main au trois quarts vide, elle titube et tombe dans le vide avant
même d'avoir atteint l'extrémité de la planche, la bouteille
toujours à la main. Une amie se précipite pour prendre son enfant
qu'elle a oublié sur le sol et le lui lance alors qu'elle a déjà
disparu des regards, il n'est pas certain que l'ange des chutes ait
été assez rapide cette fois-ci pour saisir la mère et l'enfant,
mais qui peut juger de ce dont un ange est capable ?
Enfin,
une mère est restée accrochée des deux mains à la planche du
salut, en battant des jambes elle refuse obstinément de se donner à
l'ange. Son fils a déjà fait le plongeon salvateur, mais elle
s'accrocheen hurlant, de bons coups de talon lui font
lâcher prise et libère enfin le plongeoir. C'est au tour de
Philémone.
Viens
avec moi ma chérie, reste tout contre maman, maman t'aime tu
sais.
Philémone
ne tarde pas, quand il faut y aller, il faut y aller. Elle pose une
main sur la tête de son enfant avec une infinie tendresse, puis elle
commence à courir doucement puis accélère, les deux cœurs se
mettent à battre simultanément et fusionnent.
Elle
quitte la planche avec une position parfaite, les bras bien en croix
comme ceux du Christ, les paumes bien à plat pour faire face au vent
relatif. Très vite cependant elle est aspirée par le vide, mais
elle ne ferme pas les yeux pour autant, c'est alors que sur sa
droite, et à hauteur de son visage, elle perçoit une forme
immaculée qui surgit, on dirait des plumes, mais oui ce sont des
plumes blanches, l'ange est donc venu, la légende est donc vraie,
les autres femmes ne ratent rien du miracle. Mais pourtant le sol se
précipite toujours vers elle, alors dans un réflexe désespéré
elle tend la main et saisit fermement le bras de l'ange venu la
sauver, elle s'accroche maintenant à lui le plus qu'elle peut, de
toutes ses forces.
C'est
donc ça l'ange ? On aurait pas dit un oiseau qu'est passé là
?
Une
autre dame n'est pas d'accord avec cette analyse, s'en offusque et hausse les
épaules.
Et
alors, personne a dit qu'un ange devait avoir une certaine taille, et
d'abord un ange est comme y veut, c'est pas à nous de dire à un
ange comment y doit être, vous vous y connaissez en gabarit d'ange peut-être
?
Mais
un enfant un peu plus âgé s'exclame alors :
Maman,
t'as vu l'oiseau ? Dis, y va repasser l'oiseau ?
La
stupeur passe de visage en visage, les mamans non encore libérées
avec leur progéniture s'approchent du vide que surplombe la terrasse
de la tour et regardent vers le bas, mais à cette hauteur rien ne
permet de distinguer de manière claire.
C'était
quoi la couleur de sa robe ?
Une
petite rouquine tente de scruter les corps, elle fait la moue.
Elle
n'en avait pas, elle a sauté à poil, probablement qu'elle ne
voulait rien emmener de ce monde des chutes, elle doit être partie
maintenant !
Une
petite plume blanche virevolte au-dessus du plongeoir, après
plusieurs mouvements de va-et-vient elle se pose délicatement sur la
planche en bois, les mères la contemplent avec respect, une petite
lueur d'espoir dans le regard ainsi captivé. Les hommes, quant à
eux, s'en étaient pris bien plus violemment aux institutions au
service des milliardaires psychopathes qui avaient ravagé leur
univers déjà moribond, mais les effrayants robots chiens de Boston
Dynamics, testés la première fois par la police du Massachusetts,
mais semblables désormais à des démons et dont la simple vue
donnait la nausée, les avaient méticuleusement déchiquetés.
Plus
bas, tout en bas, au-dessus d'un amas d'os et de chairs éclatées,
se dresse à la verticale un bras au bout duquel se trouve une main
qui enserre encore fermement le cou d'une malheureuse mouette, le bec
ouvert avec une expression de surprise, si tant est qu'une mouette
peut exprimer de manière posthume la surprise.
41) La
neige noire !
Préambule :
Après
que la ville de Dresde ait été bombardée avec les bombes
incendiaires, notamment celles utilisant de la thermite, l'emploi du
phosphore étant quant à lui encore discuté, il fut difficile de
quantifier le nombre de morts. Mais en descendant dans les abris
anti-aériens, les sauveteurs ne trouvèrent ni blessés ni cadavres,
ils pataugèrent cependant dans une boue épaisse de couleur marron,
à la fois visqueuse et glissante. Ce fut la découverte des os qui
baignaient dans cette boue qu'il fallut vider avec des pelles et des
seaux, qui fit comprendre enfin que sous l'effet de la chaleur les
corps avaient littéralement fondu.
Développement :
Hervé
pousse à fond sur ses bâtons et prend de la vitesse, il contourne
prestement un lampadaire, ramène une jambe qui s'était un peu trop
écartée dans la manœuvre, et traverse la chaussée pour arriver
sur le côté opposé où il s'immobilise sèchement avec un
dérapage contrôlé. C'est aujourd'hui une belle journée
ensoleillée, les rayons du soleil donnent à la neige une jolie
teinte cuivrée.
Fais
attention, tu as bien failli te manger le lampadaire !
Hervé
sourit jusqu'aux oreilles, dévoilant ainsi ses dents blanches avec
lesquelles il dévore la vie. Maryse est heureuse elle aussi, elle
n'aurait jamais imaginé pourvoir pratiquer de nouveau le ski, du
moins dans ces conditions, car la glisse sur la neige se développe
désormais en pleine ville, sur les trottoirs ou les chaussées
désertes.
Chiche,
je parie que tu peux pas me rattraper !
Maryse
le prend au mot et ressert donc à fond les boucles de ses
chaussures, elle vérifie que les spatules glissent bien, puis elle
s'élance dans la pente qui conduit au faubourg. Hervé positionne
son casque audio sur ses oreilles, il appuie sur la touche qui fait
défiler la vielle cassette, puis se lance doucement à ses trousses,
bien arqué sur ses deux jambes, bras serrés, tête en avant. Qu'il
est grisant de glisser tout en écoutant à fond les enregistrements
collectors des hurlements des hommes femmes politiques qui furent
conduits au supplice, ces supplices si raffinés que les survivants
infligèrent à ceux qui participèrent à l'effondrement ! En
faisant d'horribles grimaces, Hervé s'associe à pleins poumons aux
hurlements qui sont devenus mythiques, alors qu'il essaye de
rattraper Maryse. Mais il ne la voit plus, on dirait bien qu'elle a
pris de l'avance sur lui, il hurle de plus belle en s'engageant dans la grande
courbe.
STOP !
STOOOOOOOP ! ARRÊTE-TOI !
Hervé
n'a que le temps de tourner la tête sur la gauche pour apercevoir
Maryse qui est perchée sur une des grosse bites de trottoir qui
vantaient la virilité des élus. Il fait une grande embardée,
manque de perdre l'équilibre et se rétablit. Maryse
applaudit.
Qu'est
ce qui se passe ? Pourquoi tu t'es arrêté là ? Tu es
tombée ?
Maryse
descend de son perchoir.
Non,
mais la piste accroche, j'ai préféré m'arrêter avant de faire une
chute.
Il
passe ses doigts gantés sur le bitume et constate qu'il
accroche.
J'ai
remarqué aussi qu'il y avait quelques morceaux de crânes et des os
sur la piste, j'ai eu peur que tu t'en prennes un, ça peut être
plus grave que flinguer la semelle de tes skis. Bon, va falloir
vérifier les canons un par un, tu veux bien me donner un coup de
main s'il te plaît ?
Maryse
soupire, mais skier aujourd’hui nécessite de faire des sacrifices. Comme
il y avait les bacs à sable ou à gros sel des routes gelées, et
les canons à eau des manifestations d'infirmières et de pauvres, il
y a désormais les bacs à graphène et les canons à graphène des
pistes urbaines. Le couple se dirige vers le canon le plus proche
pour en vérifier le fonctionnement et le niveau. La plupart des eaux
minérales et celles du robinet avaient été polluées par du
graphène, cela se vérifiait très facilement avec l’aimantation
d'un résidu noir collé au verre après une électrolyse, mais il y
a longtemps qu'il n'y avait plus ni eau courante ni électricité.
Tu
m'étonnes que ça glisse pas, celui-ci est mort !
Maryse
fait l'étonnée, son index posé sur sa bouche.
Mort ?
Mais il est déjà raide mort, non ?
Hervé
allait dire quelque chose, en la regardant il comprend que sa
copine plaisantait, il rit avec elle de bon cœur en secouant la tête
et la barbe ! À
cet instant ils entendent un fort raclement qui provient du haut de
la grande courbe, une masse noire en équilibre sur une planche de
surf se précipite sur eux, semble se coucher sur le sol, se retrouve
sur le dos, et s'écrase contre la vitrine du grand magasin qui
éclate en mille morceaux.
Encore
un !
Ils
s'avancent vers le malheureux surfeur et évaluent vite les dégâts,
un réflexe indispensable si l'on veut survivre dans ce monde de la
glisse. Bon, la planche s'est brisée en plusieurs endroits et elle
n'est donc pas irréparable, le magasin de toute façon a déjà été
pillé de fond en comble, ils s'intéressent à l'individu habillé
de noir, avec la capuche de son sweat-shirt qui lui couvre la moitié
du visage. Il lève péniblement une jambe en espérant
peut-être se relever, elle retombe sur le carrelage blanc recouvert
des morceaux de verre, il gargouille des mots incompréhensibles, un
sang noir s'échappe de sa bouche et de son nez. Hervé retient son
amie.
Tiens
regarde, il vient de la zone, comme tu vois il est complètement
shooté au graphène.
Maryse
est malgré tout peinée.
On
ne peut rien faire ? Il bouge encore non ? Il n'est
peut-être que blessé ?
Hervé
pousse le corps avec le bout sa chaussure de ski, il revient à sa
position initiale.
Non,
à ce stade c'est un miracle s'il était encore capable de surfer,
mais tu sais, les surfeurs ont toujours pris des risques insensés,
et aussi bien pour eux que pour les autres, ils bravent ainsi la
mort, lui il l'aura bravée jusqu'au bout, ce qui est une belle fin
je trouve. Vois, son sang est déjà noir, c'est je dirais un cas typique d'overdose,
il a son compte.
Il
était d'usage de récupérer dans les habitations le graphène utile
à la pratique des sports de glisse, cette matière noirâtre était
tout ce qu'il restait des habitants une fois que les micro-caillots
sanguins avaient fait leur sombre office. Cela avait commencé par
quelques avions qui s'écrasent quand le pilote fait une crise
cardiaque, cela débuta sur les trottoirs par des traînées d'un
sang encore rouge qui sort du nez, des yeux, et des oreilles, un sang
aussi glissant que la glace en hiver, l'odeur des sapins en moins.
Certains survivant chaussèrent des bottes montantes en caoutchouc,
d'autres ressortir la paire de ski, avec un peu d'imagination on cru
à nouveau au père Noël, et la bûche devint celle que l'on plaçait
sous les corps pour en extraire non pas une huile très fine, comme
avec les cadavres des femmes sous la Révolution française, mais
l'oxyde de graphène aux multiples vertus pratiques, un matériau
d'avenir aux caractéristiques annoncées exceptionnelles. Tant pis
pour ceux qui n'avaient pas appris à skier.
Qu'est-ce
que tu fais ?
Hervé
avait pris le moribond sous les aisselles et le traînait
laborieusement.
Tiens,
si tu veux bien, prends le par les jambes, ça sera bien plus facile,
je vais l'accrocher dans la courbe, on dit que les anciens aimaient
être enterrés devant le paysage qu'ils aimaient de leur vivant. On
lui doit bien ça non ?
Le
surfeur anonyme est ficelé à barrière de protection qui longe le
trottoir, il fait face à la piste au lieu dit des courses effrénées,
quand ils étaient encore assez nombreux pour organiser des
compétitions en petit comité, insultant ou se battant souvent avec
des marcheurs qui avaient sorti les raquettes. Dans un dernier
sursaut de conscience, mais sans pouvoir relever la tête, le surfeur
inconnu ouvre des yeux déjà vitreux, il reconnaît semble-t-il la
piste, puisqu'un léger sourire apparaît brièvement sur ses lèvres.
C'est
bien, Hervé, ce que tu viens de faire là, tu as su rester très
humain.
Pendant
que Maryse lui tourne le dos pour vérifier les semelles de ses skis,
Hervé pousse discrètement du pied une bassine qui fait office de
seau, de telle sorte que le surfeur soit à l'aplomb. Ensuite, quand
sa copine s'est suffisamment éloignée pour aller vérifier les
autres canons à neige, c'est-à-dire les seaux déposés le long de
la piste, il soulève un à un les deux pieds du malheureux et les
lâche dedans. Il serait dommage de perdre de cette neige fraîche,
d'autant que la saison touche à sa fin. Le liquide goutte encore
lentement dans la bassine, les thanatopracteurs qui préparaient les
corps à la demande des familles, pour la veillée des défunts,
avaient alerté sur le nombre inhabituels de décès et souligné la
difficultés à vider le sang. Ceci dit, c'est ce qui faisait que
cette neige noire tenait relativement bien, mais Hervé qui est
captivé par le spectacle remarque que les minutes s'écoulent elles
aussi, il tourne la tête, il est temps de retrouver Maryse et de
voir si le bas de la piste est toujours praticable.
Les
planqués de la politique, des hommes gras et gros, très imbus de
leur personne juste avant de faire passer in extremis les lois pour
tenter de bloquer les poursuites pénales, avaient participé à
alimenter les stations urbaines de ski, mais les jours si heureux
sont derrière et les skieurs vont devoir se saigner pour vivre
encore leur saine passion. En grimaçant, Maryse s'approche du canon
à neige, le corps d'un publicitaire y est accroché, mais à
l'envers. Le métier de ces salauds consistait non pas à faire de la
réclame pour les nouveaux produits, ce qui aurait été légitime,
mais à violer l'esprit des victimes en le gavant jusqu'à plus soif
de débilités pavloviennes.
Alors,
on fait moins le malin ? Ça fait quoi d'être de l'autre
côté ?
La
chose ne répond pas, elle roule des yeux et souffle bruyamment par
l'appendice ou tuyau qui est cousu sur ce qui fut une
bouche.
J'espère
que tu vas te rendre utile aujourd'hui, n'est-ce-pas ?
N'est-ce-pas ?
La
chose ne répond pas, elle n'émet plus qu'un léger sifflement. Maryse
saisit alors le seau posé au pied du canon, elle le soulève le plus
haut qu'elle peut et fait couler du liquide qu'il contient dans
l'entonnoir. Hervé l'a rejoint à cet instant précis.
Alors,
il fonctionne toujours celui-là ? Il a l'air un peu ramolli,
non ?
Maryse
pose lentement le seau, penche de côté la tête vers Hervé, tout
en serrant les lèvres et fronçant les sourcils. Elle dégrafe son
blouson, elle remonte son pull-over et exhibe ses deux gros seins
qu'elle attrape à pleines mains en les faisant tournoyer, puis en
les pinçant, les tirant et les relâchant. Le tuyau ou l'appendice
de la chose se tend d'un coup sec, une neige noire commence à
jaillir.
(toutes
ces photographies sont faites en argentique
avec un Olympus OM1
de 1972 et le 100mm, pour ne plus perdre l'essentiel
: 0% cacanumerdique)
Gilles Peyrache
: « L'art est la nourriture de
l'âme. Et l'âme se nourrit de beauté. Parce que la beauté, par
l'harmonie qui la génère, éveille le souvenir de ce temps où
l'âme se connaissait elle-même dans la satisfaction de son amour ;
ce temps où rien ne la séparait de l'objet de ses désirs. Aucune
distance entre la nature et l'homme, entre l'homme et la femme, entre
la créature et Dieu. De ce point de vue l'art de la peinture est
post-lapsaire. L'humanité originelle n'avait nul besoin de peindre le
Monde ; et lorsque le chasseur, un jour, trace sur la paroi d'une
grotte l'image de l'animal totem, c'est un acte magique par lequel il
rejoint l'identité secrète de la bête et s'approprie son mana.
Peindre c'est abolir la distance qui nous sépare des êtres et des
choses, les réintégrer dans son cœur pour donner à voir aux
autres regards ce qu'elles ont d'essentiel et d'éternel. C'est dans
ce hiatus, entre la conscience de la séparation et l'élan vers
l'unification, que se déploie le champ de la peinture. L'œil de
l'artiste choisit parmi les objets du monde ceux qui éveillent en
lui l'écho profond de cette harmonie que la main de l'artisan
façonnera par la ligne et la couleur ».
|
|
Hommes
enchaînés, courbés et empalés devant le pôle-emploi
de Riom !
Cette sculpture est une juste représentation
de ce que sont devenus les hommes actuels, de l'endettement
à la servitude. Remarquez sur le cliché de droite comme les deux personnages de
derrière
ont
l'air de trucider celui les précédant ! Préparation
au monde du travail ? Il semble que le dernier
personnage bénéficie du meurtre, avec son
large sourire, de tous ceux le précédant, avec
le premier de la file qui s'écroule. Cette
sculpture, par le choix de son implantation, est
à même de terrasser le demandeur d'emploi avant
son entretien.
«
Comment
peux-tu te préoccuper de la réaction de commerçants
ivres ? Est-ce pour le bien de leur âme ou pour
le tiens que tu excelles dans ton art ? »
(Robert
Silverberg : «
Le château de Lord Valentin
»)
-
René Guénon
:
« La grande habileté des dirigeants, dans le monde moderne,
est de faire croire au peuple qu'il se gouverne lui-même (...)
C'est pour créer cette illusion qu'on a inventé le "suffrage
universel" (...) Il n'y a plus de place pour l'intelligence
ni pour tout ce qui est purement intérieur, car ce sont là des
choses qui ne se voient ni ne se touchent, qui ne se comptent ni ne
se pèsent : il n'y a de place que pour l'action extérieure sous
toutes ses formes, y compris les plus dépourvues de toute
signification (...) Une élite véritable, nous l’avons déjà
dit, ne peut être qu’intellectuelle ; c’est pourquoi la
"démocratie" ne peut s’instaurer que là où la pure
intellectualité n’existe plus, ce qui est effectivement le cas du
monde moderne. Seulement, comme l’égalité est impossible en fait,
et comme on ne peut supprimer pratiquement toute différence entre
les hommes, en dépit de tous les efforts de nivellement, on en
arrive, par un curieux illogisme, à inventer de fausses élites,
d’ailleurs multiples, qui prétendent se substituer à la seule
élite réelle ; et ces fausses élites sont basées sur la
considération de supériorités quelconques, éminemment relatives
et contingentes, et toujours d’ordre purement matériel. On peut
s’en apercevoir aisément en remarquant que la distinction sociale
qui compte le plus, dans le présent état de choses, est celle qui
se fonde sur la fortune, c’est-à-dire sur une supériorité tout
extérieure et d’ordre exclusivement quantitatif, la seule en somme
qui soit conciliable avec la "démocratie", parce qu’elle
procède du même point de vue (...) La lutte est
seulement entre des variétés de la "démocratie",
accentuant plus ou moins la tendance "égalitaire" ».
|